Le SILA, le bien nommé Salon du livre d'Alger, est à sa onzième édition. Dans le climat de sinistrose algérienne ambiante, c'est une très bonne nouvelle. Vraiment. Sans crier gare, ce rendez-vous s'est fait une petite place comme vitrine de choix du livre dans le monde arabe. Une place d'autant plus honorable que, dans le monde arabe, le SIEL marocain, les salons du Caire et de Beyrouth et la Foire du livre de Tunis ont perdu de leur lustre. Durant douze jours, le livre sera dans tous ses états, sur tous les étals. Il sera à la fête avec 300 000 visiteurs attendus, chiffre en nette progression depuis 2004. Evénement grand public par définition, le SILA se professionnalise, fondé sur le triptyque éditeurs-importateurs-libraires. Il sera avant tout l'occasion de promouvoir la production locale. Il occupe donc une place majeure dans l'économie du livre et est l'occasion pour des libraires et des éditeurs en mal de chiffre d'affaires de faire du chiffre. C'est connu, l'occasion fait le larron et le salon, l'éditeur et le libraire. Questions récurrentes à chaque SILA : qu'est-ce qui pousse les Algériens à lire ? Et qu'est-ce qui incite leurs compatriotes écrivains à écrire ? Dans son célèbre cours parisien sur «la préparation du roman», Roland Barthes en a donné la réponse. C'est le «désir de lire» et le «désir d'écriture». Pour autant, quel sens donner à la quête du livre en Algérie en 2008 ? Le plaisir du texte, bien sûr, mais aussi le ludisme et l'instruction. Si le SILA d'Alger accueille autant de visiteurs qui sont autant de lecteurs potentiels, faut-il en conclure que le bonheur de lire est dans la poche ? Rien n'est moins sûr quand on estime l'accès à la lecture par rapport au revenu minimal des Algériens et à leur pouvoir d'achat. En Algérie, le livre reste un véritable objet du désir, inaccessible pour les étudiants comme pour les classes moyennes. De ce point de vue, notre chef de l'Etat, lecteur compulsif et chineur à ses rares heures perdues, devrait avoir la nostalgie du prix du livre soutenu. Ce soutien était l'honneur et la gloire du boumédiénisme équitable qui mettait l'encyclopédie Universalis à portée des bourses de smicards et d'étudiants désargentés. La nostalgie, c'est aussi un art de gouverner. Dans la foulée du souvenir révolutionnaire, le plus illustre d'entre les bibliophiles pourrait faire sien l'objectif d'un million de bibliothèques, de librairies et de bibliobus qui démocratiserait l'accès à la connaissance et au plaisir livresques. Il n'y a pas que le logement pour mériter son million, et l'intrusion brutale d'Internet et du multimédia dans la vie de nos concitoyens, gavés d'images, ne devrait pas les priver du bonheur de lire. Surtout, au moment où le monde de l'édition s'organise, se structure et apprend son métier sur le tas et de manière professionnelle. Et qu'il commence à acquérir la tradition de célébrer la culture. D'en honorer les producteurs, avec notamment des prix décernés à foison à l'occasion de chaque SILA. Seule ombre à ce tableau optimiste : le manque d'entrain des écrivains et auteurs algériens qui jouent petit bras. Ils produisent beaucoup moins que des auteurs de «petits» pays européens comme l'Albanie ou la Lettonie. Pour mémoire, de 1962 à 1980, les Algériens ont produit 1 800 titres, toutes disciplines confondues. Ces statistiques étiques incluent les monographies produites par les Collectivités locales ! Rageant et désespérant ! Ne dit-on pas cependant que seuls les peuples heureux n'ont pas d'histoire ? A l'opposé, en Algérie, l'histoire, avec un grand «H», connaît le plus souvent des accélérations dramatiques que ne recoupent pas les courbes de l'encéphalogramme algérien. N. K.