Point de bavardages donc pour dire ce que fut Djamel, lui dont la discrétion confinait à de la timidité, voire de la distance, pour ceux qui ne le connaissaient pas, et dont les paroles étaient toujours pesées, concises. Aucun rappel, fut-il le plus empathique, ne peut en effet restituer la richesse aussi bien que les fondamentaux du parcours d'un intellectuel qui ne s'est pas laissé prendre, à l'opposé de tant d'autres de sa génération, aux chants des sirènes et rets du pouvoir, des pouvoirs. Un intellectuel à la marge, exigeant avec lui-même comme avec les autres, tout à la fois attentif à la respiration de sa société et ouvert aux bruits du monde. Il lui est arrivé parfois de dire, concernant les intellectuels algériens : «Il y a ceux qui regardent en haut, vers le ciel ou le pouvoir, et il y a ceux qui regardent en bas, vers la société». Il faisait partie de ceux qui résolument, définitivement, regardaient en bas. A contre-courant du délitement généralisé, de l'instrumentalisation des hommes et des institutions, il tentait de faire son «métier de sociologue», observer, comprendre, mais surtout transmettre, passer aux jeunes générations, pour ne pas tuer l'espoir. Lui dont le dernier texte focalisait sur les «immolations», expressions ultimes du désespoir généralisé qui a gagné de larges pans de nos sociétés. Juste un souhait pour ne pas oublier Djamel, lire ses travaux, les débattre, les critiquer. Rien ne lui aurait fait tant plaisir que les désaccords exprimés publiquement avec ses thèses et analyses. Et je le vois essayer de convaincre, avec sa voix ferme et posée, de leur justesse. C'est en effet dans l'approfondissement d'un espace intellectuel d'altercation qu'il faut situer le présent ouvrage. Et le champ intellectuel algérien comme les nouvelles générations ne sont pas peu redevables à ce titre à Djamel et à beaucoup d'autres intellectuels de sa dimension (que je souhaite ici associer à cet hommage) que l'Algérie a perdu trop tôt et qui lui manquent en ces difficiles moments.