Le Soir d�Alg�rie : Vous venez de publier un livre de nouvelles en Alg�rie. Le Cri de Tarzan est une sorte d�hymne � l'enfance, aux �tres qui la peuplent, aux lieux de l'enracinement. C'est maintenant que vous vous �tes senti pr�t pour ce retour � la g�ographie mentale de l'enfance ? Malek Alloula : Il s�agit d�un recueil de nouvelles plus ou moins ordonn�es chronologiquement. La narration part de l�enfance pour arriver � la longue maturit� en transitant par l��ph�m�re adolescence. L�on retrouve ainsi les classiques trois �ges de la vie. Et, comme par hasard � mais c�est r�ellement ce qui s�est pass� �, trois lieux se sont trouv�s affect�s � ces trois moments, ces suppos�s trois stades : le village (Oued-Imbert devenu A�n-el-Berd) ; la ville familiale (Oran devenue Wahran) et les capitales sym�triques (Alger et Paris). Trois lieux donc � la fois fondateurs et embl�matiques. A leur propos, j�aime � penser que je ne suis rien d�autre que ce que ces lieux ont fait de moi. Pour aller dans votre sens, je peux dire que, dans ce recueil, il s�agit en effet d�hymnes, mais d�hymnes qui sont diff�remment modul�s et dont chacun d�eux est dot� d�intensit�s variables. Cependant, la plupart de ces r�cits sont � prendre avec l�enjouement ironique, qui met l�g�rement les choses � distance, tout en laissant sa marque sur leur conception, leur �criture. Cela dit, je ne pense pas, tout au moins pour ce qui me concerne, qu�il y ait jamais eu un quelconque moment o� je me serais, sous l�effet de l��ge ou de tout autre facteur psychologique, dit : �C�est l�heure ! Je suis pr�t !� Si je fus pr�t un jour, je fus pr�t tout le temps. Comme s�il n�y avait pas de d�but. Ni de fin d�ailleurs. Un aveu : je suis un pi�tre et presque phobique voyageur. C�est mon c�t� paysan, faux citadin. Cette g�ographie mentale de l�enfance, que vous �voquez, je puis vous affirmer que je n�y ai jamais fait retour puisque elle fut toujours dans mes rares bagages rassembl�s pour de tout aussi rares trajets. Il y a comme une nostalgie dans ces r�cits. Mais la nostalgie, c'est ce qui fonde, en partie, la litt�rature avec le nostos grec, la madeleine de Proust, etc. Quelles figures �taient omnipr�sentes � votre esprit en �crivant ces r�cits ? Je pense que la nostalgie est une notion assez incommode dans la mesure o� elle recouvre une infinit� de choses, de pens�es, de postures, de r�actions, etc. C�est un grand sac sans fond. Notion donc �minemment floue, �quivoque, baignant dans une sorte de ti�de et glauque saumure psychologique. L��tymologie, d�autre part, fait qu�il y a dans le mot lui-m�me (le nostos grec) l�id�e d�un retour. Le grand et l�gendaire nostalgique serait Ulysse (�Heureux qui comme Ulysse a fait��). La nostalgie, j�y ai toujours vu un aveu de complaisance g�n�ralis�e. La rem�moration n�implique pas forc�ment la nostalgie. Il y aurait � mes yeux pas moins qu�une radicale incompatibilit�, en ce sens qu�elle n�est, par elle-m�me, ni cr�atrice, ni dynamique, ni ouverte. La claustration en serait l�ach�vement. C�est une digestion, une r�gurgitation morose et endeuill�e d�un pass� fig�. On se souvient du tenace chromo : l�apostrophe que provoquent chez sa m�re les nostalgiques plaintes de Boabdil apr�s la chute de Grenade. Aussi n�ai-je aucune nostalgie de cette enfance que j��voque et d�cris. Aucune nostalgie de ma propre histoire. Un �merveillement, au contraire, d�avoir v�cu cela et d�en retrouver tout frais le souvenir, d�en entendre encore le rire stimulant qui doit continuer de r�sonner dans les strates atmosph�riques de l��ternit�. C�est le bonheur d�avoir �t� pleinement parmi les miens, pleinement dans mon paysage. Le vrai probl�me technique, qui se pose alors et qui exclut tout recours � un exotisme biens�ant et quelque part d�gradant, consiste � trouver, plut�t � forger l�outil ad�quat n�cessaire � l��vocation narrative que m�ritent ces moments, ces histoires, ces souvenirs. Donc, non pas l��vocation du pass� mais l��criture de ce qui passe, l�, maintenant et qui est d�hier. Il y a des figures tr�s vivantes dans les r�cits : celle de votre p�re, bien s�r, celles aussi de la bande de la �fraternit� oranaise�, etc. Est-ce en �crivant que vous avez l'air de vous apercevoir de la pr�gnance sur votre m�moire de ces figures ? Ces r�cits, de par leur nature autobiographique, mettent en sc�ne des personnages familiaux et autres. Ils se r�f�rent �galement � des lieux o� j�ai v�cu ainsi qu�� des �v�nements qui m�ont marqu�. Leur forte pr�gnance en fait des �l�ments incontournables et multiformes de ma m�moire. Ce sont des points d�ancrage tr�s profonds. Or ces souvenirs, quand il s�agit de les �voquer oralement ou de les restituer par l��crit, me reviennent toujours sous forme d�un r�cit �presque-d�j� organis�. Si je me fie � ma propre exp�rience, il me semble que, pour certains faits pr�cis, certains visages, situations non moins pr�cis, il ne s�est jamais agi, pour ce qui les concerne, d�un simple enregistrement passif. Non. Le texte est, � mon insu, d�j� � l��uvre dans la mati�re du m�moris�. Pour employer une expression du langage informatique, je dirai que ce travail sur la mati�re m�moris�e est �en cache�. Cette particularit�, cette disposition inn�e � doubler le souvenir de sa �l�gende� � tel qu�on le fait pour la photo en y ajoutant un commentaire plus ou moins d�taill�, �labor� � furent tr�s t�t pr�sentes. Les r�currentes r�apparitions de certains de ces souvenirs, avant qu�ils ne soient saisis dans une version toujours provisoire, ne pouvaient pas, dans mon esprit, �tre autre chose que des retours sur le texte du souvenir, retours qui s�op�raient en vue de l�amender sans fin, d�en retravailler la mati�re. Ce serait presque une mani�re de dire qu�un souvenir n�est jamais fix�, qu�il continue de vivre. A ce propos, je n�invente rien puisque c�est m�me connu de la sagesse populaire qui soutient que les souvenirs changent. Ce travail myst�rieux, cette sorte d�alchimie m�ont toujours fascin� au plus haut point : je ne suis pas loin d�imaginer la m�moire comme une immense machine fomentant du texte, toujours du texte � un peu dans le sens borg�sien. Vous �tes plut�t po�te. Comment s'op�re en g�n�ral le passage vers la prose : sont-ce des moments qui le d�terminent, des sujets, des sensations ? J�ai la faiblesse de croire et aussi de pr�tendre que l��criture po�tique est une sublimation de l�activit� scripturale. C�est un point de vue qui en vaut un autre, cela va de soi. Comme, d�autre part, je ne veux pas sacrifier au sempiternel exercice scolaire de la comparaison terme � terme de la prose et de la po�sie, j�appuierai mes dires sur ma seule exp�rience, ma seule pratique. Je dirai que, dans ma conception des choses, les domaines sont relativement �tanches, au point que je ne puis, contrairement � vous, me permettre d��voquer l�id�e de passage d�une �activit� � l�autre. Outre les vis�es, ce sont les dispositions techniques et �galement physiques qui sont radicalement diff�rentes pour moi. En po�sie, par exemple, l�oreille et la vue sont sollicit�es davantage qu�en prose. La forme typographique elle-m�me requiert le texte � la forme et le fond sont une seule et m�me chose. Il y a une tension torturante en po�sie. L�image, l�id�e ne vous l�chent pas � comme s�il s�agissait ici d�une question de vie ou de mort. Le texte po�tique �puise litt�ralement, c�est-�-dire physiquement. Pire, le temps, la chronologie disparaissent. Je suis un po�te extr�mement lent et j�aime cette lenteur, cette irr�pressible d�cantation du texte et de moi-m�me. En po�sie, je suis souvent parti d�une image, d�un mot, d�une phrase. C�est �minemment inconfortable d�s lors qu�on veut lever la t�te pour regarder au loin la ligne d�horizon et jouir d�une vue cavali�re. La vue n�est jamais dehors, c�est ainsi. Pour les textes et ouvrages en prose, je suis moins contraint, plus libre de mes mouvements. Je peux varier les approches, les styles, le ton. Je peux �tre tour � tour dans le ludique ou le s�rieux, le grave ou primesautier, etc. Je r�sume : entre po�sie et prose, ce n�est jamais la m�me respiration, le m�me rythme cardiaque, les m�mes tropismes, les m�mes tremblements de terre. En po�sie, il y a toujours l�urgence du vivant, m�me pour un po�te tel que moi, si lent, si lent. Cette po�sie que j�aime, j�y reviens toujours. Aussi, je me retrouve dans cette d�finition de la fid�lit� que donne Pascal et cit�e de m�moire : �tre fid�le, ce n�est pas n�avoir jamais quitt�, mais �tre le plus souvent revenu. On vous pr�sente, � juste raison, comme une �figure discr�te et essentielle� de la litt�rature alg�rienne. Vous y reconnaissez-vous et, si c'est le cas, pensez-vous que pour �crire heureux, il faut �crire cach� ? Le c�t� furtif, clandestin, de l��criture me trouble fortement. L�image du fouissement m�excite en m�me temps. Nous sommes, me semble-t-il, dans le domaine d�une intimit� inviolable, inconnaissable. D�o� vient, en po�sie, ce pouvoir de l��criture � cr�er le vide, � rar�fier l�air autour de doigts qui pianotent sur un clavier ou s�agitent autour d�une feuille malmen�e ? Il me semble que, pris dans les rets de son �criture, le po�te, essentiellement lui, vit dans une sorte de �second life� non virtuelle. La m�ritoire discr�tion que vous voulez bien me reconna�tre, croyez bien qu�elle n�est pas l�effet d�une quelconque timidit� paralysante ou d�une maladive introversion � loin de l�. Elle serait paradoxalement, cette discr�tion, le signe �vident de la conscience d�un �cart entre le po�te dans et hors de son texte. C�est, je pense, une position de retrait respectueux qui invalide toute vell�it� d�ostentation. Le po�te � parce qu�il sait depuis Rimbaud que �la main � plume vaut bien la main � charrue� �, le po�te donc se tient � sa place, d�cal�. C�est un homme de mots, mais de mots silencieux, rares. Cette discr�tion dans la pr�sence est �minemment caract�ristique des po�tes et a �t� souvent relev�e. Je n�ai pas l�exclusivit� du comportement. Quant au dire po�tique, comment ne pas �tre sensible � sa fragilit�, � sa t�nuit� vibratile ? Comment ne pas retrouver, dans certains et nombreux vers de l�universelle po�sie, les �chos de tant d�indubitables, irr�pressibles, frissons de vie ? Vous faites partie de la g�n�ration des ann�es 1970. Quel regard portez-vous sur la litt�rature produite depuis ? J�ai effectivement �t� le t�moin et tr�s souvent l�ami de ces �crivains alg�riens que l�on d�signe, dans la terminologie du d�coupage d�cennal du temps, comme �tant ceux de la g�n�ration des ann�es 1960. J�arrive, pour ce qui me concerne, dans le wagon de la d�cennie suivante. Je suis plein d�admiration et de r�v�rence pour les �uvres des pr�d�cesseurs, leurs personnalit�s, leurs trajets � leur aura en quelque sorte. Ce sont les grands a�n�s lus et relus avec passion et aussi envie. Des mod�les, bien s�r, en fonction de nos choix personnels. Nous pouvions nous faire une id�e de la valeur de leur �uvre, tout en sachant que, t�t ou tard, allait arriver l�heure de la confrontation � l�heure iconoclaste de l�affirmation de soi en tant qu��crivain. Il n�y a l� rien que de biologiquement naturel. Cela fait que nous sommes toujours meilleurs juges des �uvres de ceux qui nous ont pr�c�d�s que de celles de ceux qui vont nous suivre. Ne me sentant ni l��me ni la qualit� d�un juge, je vous ferai une r�ponse tautologique � souhait : il y a, dans la litt�rature produite jusqu�ici par cette rel�ve de la g�n�ration de 1960, le meilleur et le pire. Comment d�finirai-je le pire ? Voici le second aveu de notre discussion : j�abhorre � l�extr�me ces textes que porte et soutient l�exotisme le plus trivial (i.e. la version relook�e de l�indig�nisme d�antan) que vient conforter un autod�nigrement de bon aloi et tous azimuts, qui dans cet Occident triomphant sont devenus la monnaie indispensable pour avoir droit � un bien d�risoire ticket d�entr�e. Tout se passe, dans ce pire litt�raire ainsi d�sign�, comme si nous n�avions jamais eu de valeurs culturelles propres et que, de ce fait m�me, celles-ci devaient obligatoirement se r�sumer, se ramener � des valeurs et des id�es d�emprunt (i.e. la francophonie � vaste rayon d�action � celle du formatage esth�tique et id�ologique). Vous voulez un exemple de phrase digne du pire litt�raire ? Voici : �Ce jour-l�, ma m�re posa sur la ma�da familiale un plat de barbouche odorant et d�fit la ceinture de son seroual et appela khalti qui�� Ce recueil de nouvelles est d�di� � Abdelkader. Voudriez-vous en dire deux mots ? Cette d�dicace est une sorte de clin d��il, plein d�une toujours vive �motion, � la m�moire de quelqu�un qui n�est d�sormais plus l� mais demeure, dans ces courts textes, pr�sent, telle l�ombre port�e d�un v�ritable et irrempla�able alter ego. Nous avons, Abdelkader et moi, grandi dans les m�mes lieux, ri des m�mes situations, v�cu de semblables situations, partag� les m�mes juv�niles secrets. Nos m�moires d�adolescents �taient en quelque sorte compl�mentaires. Je lui offre, en hommage posthume et tout simplement, mon propre compl�ment de m�moire. Propos recueillis par Bachir Agour Malek Alloula I. � Biographie : N� � Oran en Alg�rie. Etabli � Paris depuis 1968. Travaille chez un �diteur parisien II. � Bibliographie : Po�sie Villes & Autres Lieux (C. Bourgois, Paris, 1979. R��dition, Barzakh, Alger, 2008 ) R�veurs / S�pultures (Sindbad, Paris, 1981. R��dition, Barzakh, Alger, 2008 ) Mesures du vent (Sindbad, Paris, 1982. R��dition Barzakh, Alger, 2008) L�Acc�s au corps (Horlieu, Bourg-en-Bresse, 2005) Prose Mes enfances exotiques (in Une enfance alg�rienne, Gallimard, Paris 1997) Belles Alg�riennes de Geiser (Marval, Paris, 2001) Les Festins de l�exil (Fran�oise Truffaut, Paris 2003) Le Cri de Tarzan, la nuit, dans un village oranais (Barzakh, Alger, 2008) Essais / Livres illustr�s Le Harem colonial (Slatkine, Paris,1980 , S�guier, Paris, 2004) Alger photographi�e au XIXe si�cle(Marval, Paris, 2001) Lent mouvement vers la lumi�re. La Peinture de Benanteur (Institut du monde arabe, Paris, 2003) Les Miroirs voil�s. De Delacroix � Renoir (Institut du monde arabe, Paris, 2003) Vivre l�. Les photographies d�Etienne Sved : Alg�rie 1951 (Le Bec en l�air, Manosque, 2005) L�Espace grand ouvert de Dalloul (Centre culturel Jacques Brel, Thionville, 2006) � SIGNET Le retour Le recueil de nouvelles de Malek Alloula, Le cri de Tarzan, la nuit, dans un village oranais est succulent. C�est un de ces livres qu�on savoure car il est empli de cette fra�cheur de l�enfance coriace, qui r�siste au temps et qui sait percer en toutes circonstances. Elle perce de la rigueur de l��crivain au mot pr�cis et � l�exigence esth�tique �lev�e. Elle perce de la lourdeur des temps. Et Malek Alloula est d�abord po�te et, � ce titre, il ne badine pas avec le sens. Son mot est pr�cis, son image jamais banale. Ce recueil de nouvelles �crit avec la plume du po�te privil�gie certes, comme il se doit, le langage sans pour autant en faire une fin en soi. Le r�cit est aussi l�, avec ses r�gles, ses d�cors, ses personnages attachants, rendus dans une splendide v�rit�. Un r�gal que ce livre, qui signe le retour de Malek Alloula dans l��dition alg�rienne. Bachir Agour On vous parle d'Oran Le dernier recueil de Malek Alloula, Le Cri de Tarzan, la nuit dans un village oranais, rassemble des textes �pars �crits �au gr� d'une inspiration nomade�. Ils sont travers�s par un m�me souffle, empreints d'une m�me qu�te, celle d'une �langue fant�me� porteuse de bribes de souvenirs. L'ordre chronologique, suivant les �ges de la vie, donne � l'ensemble une continuit� p�renne. L'homme devient un chef-d'�uvre en voie d'accomplissement. Le petit village de la prime enfance, Oued Imbert, refl�te l'ordre colonial. Deux mondes s'y c�toient � distance, s'observent et se jaugent. Recto, �les petits camarades de l'autre bord�, pleins de morgue et de suffisance, ma�tres du monde visible, rang�, ordonn�. Mais des ma�tres entrav�s, musel�s, contraints au �silence mortuaire�. Verso, �nous, ce vulgum pecus mal d�barbouill� �, passagers de l'invisible et cependant joyeux, bruyants, curieux et ironiques. Fran�ois, le garde champ�tre tambourinaire, donne le ton. Au rythme �crescendo et molto vivace� du roulement de son tambour, il r�gle la vie d'un village �mac�rant dans d'�puisantes et poisseuses sudations�. Le cin�ma ambulant exerce ses sortil�ges et le cri de Tarzan jubilatoire r�sonne comme �le plus formidable appel � l'aventure�. Cri de joie, de bonheur restitu�, repris par la bande de gosses comme la pr�figuration d'une autre lib�ration. �Attrape mon zeb, toi ! Toi !�. Le sexe brandi par le garnement pour ridiculiser et insulter l'instituteur, le �bourreau en sarrau noir�, lib�re lui aussi de la morne torpeur villageoise. Et c'est le tekouk qui s'empare des b�tes comme des hommes sans distinction ni d'�ge, ni de sexe. Paulo, le menuisier �m�tamorphos� en cochon truffier labourant autour d'une aromatique perle noire� lutine Arlette, la pr�pos�e des postes, sous le regard fripon des gamins embusqu�s dans les fourr�s. Un bonheur modestement villageois �un infime rien (qui) prend aussit�t les allures de miraculeuses aubaines.� Ces petits riens de la banalit� du quotidien provoquent des souvenirs en cascade, �claboussures d'images, sensations visuelles et tactiles. Le rasage du matin convoque l'image du p�re dans le miroir. Le rituel aff�tage du rasoir, une op�ration quasi initiatique et pour le moins magique�, auquel assistait le narrateur enfant suscite une r�flexion sur le passage du temps et sur l'amour complice et silencieux que se vouaient ses parents. Pr�sence du p�re toujours lorsqu'� l'�ge de seize ans, �villageois na�f, mal d�grossi�, il part � la connaissance de la ville d'Oran dans laquelle il emm�nage. L'approche de la cit� se fait par ses eaux, l'eau saum�tre qui annonce, comme en un r�ve, l'avanc�e de la mer sur la ville, et l'eau douce des marchands : �Ce sont les deux eaux de ma ville. Ces �l�ments primordiaux qui me portent�. Cris, appels, bousculades, courses, invectives, tintement des clochettes et des tasses qui se choquent... Son p�re le sauve des effets comateux d'une grave insolation gr�ce � l'eau miraculeuse. Dans le souvenir, si Oran est associ�e au chahut et � la tr�pidance, elle �voque aussi un univers gustatif li� aux joies et aux rires. La fraternit� oranaise des fines gueules, dont la vocation quasi sacerdotale �tait d'organiser et d'animer les banquets, r�v�le une soci�t� conviviale apte � �magnifier l'acte de manger�. Acte �lev� au rang de la liturgie par le personnage d'un ma�tre d'h�tel qui, dans une gargote, transforme la lecture de la carte en po�me incantatoire : �Cette cuisine de gargote, tout aussi ordinaire, pauvre et commune qu'elle peut �tre [...] voici qu'un verbe en transmue la banalit� nourrici�re, en ach�ve l'�l�vation liturgique.� Oran, enfin, per�ue depuis Paris � travers le souffle obs�dant d'une voix au t�l�phone, silence lourd d'une menace qui allait s'accomplir dans l'annonce d'une terrible nouvelle : �Il n'aurait plus � sa disposition que cet immense et cauchemardesque silence dans lequel il allait sombrer pour longtemps, tr�s longtemps.� L'�criture de Malek Alloula transforme la banalit� en un moment d'all�gresse. Ses nouvelles sont un d�luge d'images et de mots cisel�s qui nous font entrer en litt�rature par la porte de la sublimation. Meriem Nour Le cri de Tarzan, la nuit, dans un village oranais, Malek Alloula, �ditions Barzakh, octobre 2008.