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ENTRETIEN AVEC MALEK ALLOULA :
�L�enfance ? Aucune nostalgie, mais un �merveillement�
Publié dans Le Soir d'Algérie le 19 - 02 - 2009

Le Soir d�Alg�rie : Vous venez de publier un livre de nouvelles en Alg�rie. Le Cri de Tarzan est une sorte d�hymne � l'enfance, aux �tres qui la peuplent, aux lieux de l'enracinement. C'est maintenant que vous vous �tes senti pr�t pour ce retour � la g�ographie mentale de l'enfance ?
Malek Alloula : Il s�agit d�un recueil de nouvelles plus ou moins ordonn�es chronologiquement. La narration part de l�enfance pour arriver � la longue maturit� en transitant par l��ph�m�re adolescence. L�on retrouve ainsi les classiques trois �ges de la vie. Et, comme par hasard � mais c�est r�ellement ce qui s�est pass� �, trois lieux se sont trouv�s affect�s � ces trois moments, ces suppos�s trois stades : le village (Oued-Imbert devenu A�n-el-Berd) ; la ville familiale (Oran devenue Wahran) et les capitales sym�triques (Alger et Paris). Trois lieux donc � la fois fondateurs et embl�matiques. A leur propos, j�aime � penser que je ne suis rien d�autre que ce que ces lieux ont fait de moi. Pour aller dans votre sens, je peux dire que, dans ce recueil, il s�agit en effet d�hymnes, mais d�hymnes qui sont diff�remment modul�s et dont chacun d�eux est dot� d�intensit�s variables. Cependant, la plupart de ces r�cits sont � prendre avec l�enjouement ironique, qui met l�g�rement les choses � distance, tout en laissant sa marque sur leur conception, leur �criture. Cela dit, je ne pense pas, tout au moins pour ce qui me concerne, qu�il y ait jamais eu un quelconque moment o� je me serais, sous l�effet de l��ge ou de tout autre facteur psychologique, dit : �C�est l�heure ! Je suis pr�t !� Si je fus pr�t un jour, je fus pr�t tout le temps. Comme s�il n�y avait pas de d�but. Ni de fin d�ailleurs. Un aveu : je suis un pi�tre et presque phobique voyageur. C�est mon c�t� paysan, faux citadin. Cette g�ographie mentale de l�enfance, que vous �voquez, je puis vous affirmer que je n�y ai jamais fait retour puisque elle fut toujours dans mes rares bagages rassembl�s pour de tout aussi rares trajets.
Il y a comme une nostalgie dans ces r�cits. Mais la nostalgie, c'est ce qui fonde, en partie, la litt�rature avec le nostos grec, la madeleine de Proust, etc. Quelles figures �taient omnipr�sentes � votre esprit en �crivant ces r�cits ?
Je pense que la nostalgie est une notion assez incommode dans la mesure o� elle recouvre une infinit� de choses, de pens�es, de postures, de r�actions, etc. C�est un grand sac sans fond. Notion donc �minemment floue, �quivoque, baignant dans une sorte de ti�de et glauque saumure psychologique. L��tymologie, d�autre part, fait qu�il y a dans le mot lui-m�me (le nostos grec) l�id�e d�un retour. Le grand et l�gendaire nostalgique serait Ulysse (�Heureux qui comme Ulysse a fait��). La nostalgie, j�y ai toujours vu un aveu de complaisance g�n�ralis�e. La rem�moration n�implique pas forc�ment la nostalgie. Il y aurait � mes yeux pas moins qu�une radicale incompatibilit�, en ce sens qu�elle n�est, par elle-m�me, ni cr�atrice, ni dynamique, ni ouverte. La claustration en serait l�ach�vement. C�est une digestion, une r�gurgitation morose et endeuill�e d�un pass� fig�. On se souvient du tenace chromo : l�apostrophe que provoquent chez sa m�re les nostalgiques plaintes de Boabdil apr�s la chute de Grenade. Aussi n�ai-je aucune nostalgie de cette enfance que j��voque et d�cris. Aucune nostalgie de ma propre histoire. Un �merveillement, au contraire, d�avoir v�cu cela et d�en retrouver tout frais le souvenir, d�en entendre encore le rire stimulant qui doit continuer de r�sonner dans les strates atmosph�riques de l��ternit�. C�est le bonheur d�avoir �t� pleinement parmi les miens, pleinement dans mon paysage. Le vrai probl�me technique, qui se pose alors et qui exclut tout recours � un exotisme biens�ant et quelque part d�gradant, consiste � trouver, plut�t � forger l�outil ad�quat n�cessaire � l��vocation narrative que m�ritent ces moments, ces histoires, ces souvenirs. Donc, non pas l��vocation du pass� mais l��criture de ce qui passe, l�, maintenant et qui est d�hier.
Il y a des figures tr�s vivantes dans les r�cits : celle de votre p�re, bien s�r, celles aussi de la bande de la �fraternit� oranaise�, etc. Est-ce en �crivant que vous avez l'air de vous apercevoir de la pr�gnance sur votre m�moire de ces figures ?
Ces r�cits, de par leur nature autobiographique, mettent en sc�ne des personnages familiaux et autres. Ils se r�f�rent �galement � des lieux o� j�ai v�cu ainsi qu�� des �v�nements qui m�ont marqu�. Leur forte pr�gnance en fait des �l�ments incontournables et multiformes de ma m�moire. Ce sont des points d�ancrage tr�s profonds. Or ces souvenirs, quand il s�agit de les �voquer oralement ou de les restituer par l��crit, me reviennent toujours sous forme d�un r�cit �presque-d�j� organis�. Si je me fie � ma propre exp�rience, il me semble que, pour certains faits pr�cis, certains visages, situations non moins pr�cis, il ne s�est jamais agi, pour ce qui les concerne, d�un simple enregistrement passif. Non. Le texte est, � mon insu, d�j� � l��uvre dans la mati�re du m�moris�. Pour employer une expression du langage informatique, je dirai que ce travail sur la mati�re m�moris�e est �en cache�. Cette particularit�, cette disposition inn�e � doubler le souvenir de sa �l�gende� � tel qu�on le fait pour la photo en y ajoutant un commentaire plus ou moins d�taill�, �labor� � furent tr�s t�t pr�sentes. Les r�currentes r�apparitions de certains de ces souvenirs, avant qu�ils ne soient saisis dans une version toujours provisoire, ne pouvaient pas, dans mon esprit, �tre autre chose que des retours sur le texte du souvenir, retours qui s�op�raient en vue de l�amender sans fin, d�en retravailler la mati�re. Ce serait presque une mani�re de dire qu�un souvenir n�est jamais fix�, qu�il continue de vivre. A ce propos, je n�invente rien puisque c�est m�me connu de la sagesse populaire qui soutient que les souvenirs changent. Ce travail myst�rieux, cette sorte d�alchimie m�ont toujours fascin� au plus haut point : je ne suis pas loin d�imaginer la m�moire comme une immense machine fomentant du texte, toujours du texte � un peu dans le sens borg�sien.
Vous �tes plut�t po�te. Comment s'op�re en g�n�ral le passage vers la prose : sont-ce des moments qui le d�terminent, des sujets, des sensations ?
J�ai la faiblesse de croire et aussi de pr�tendre que l��criture po�tique est une sublimation de l�activit� scripturale. C�est un point de vue qui en vaut un autre, cela va de soi. Comme, d�autre part, je ne veux pas sacrifier au sempiternel exercice scolaire de la comparaison terme � terme de la prose et de la po�sie, j�appuierai mes dires sur ma seule exp�rience, ma seule pratique. Je dirai que, dans ma conception des choses, les domaines sont relativement �tanches, au point que je ne puis, contrairement � vous, me permettre d��voquer l�id�e de passage d�une �activit� � l�autre. Outre les vis�es, ce sont les dispositions techniques et �galement physiques qui sont radicalement diff�rentes pour moi. En po�sie, par exemple, l�oreille et la vue sont sollicit�es davantage qu�en prose. La forme typographique elle-m�me requiert le texte � la forme et le fond sont une seule et m�me chose. Il y a une tension torturante en po�sie. L�image, l�id�e ne vous l�chent pas � comme s�il s�agissait ici d�une question de vie ou de mort. Le texte po�tique �puise litt�ralement, c�est-�-dire physiquement. Pire, le temps, la chronologie disparaissent. Je suis un po�te extr�mement lent et j�aime cette lenteur, cette irr�pressible d�cantation du texte et de moi-m�me. En po�sie, je suis souvent parti d�une image, d�un mot, d�une phrase. C�est �minemment inconfortable d�s lors qu�on veut lever la t�te pour regarder au loin la ligne d�horizon et jouir d�une vue cavali�re. La vue n�est jamais dehors, c�est ainsi. Pour les textes et ouvrages en prose, je suis moins contraint, plus libre de mes mouvements. Je peux varier les approches, les styles, le ton. Je peux �tre tour � tour dans le ludique ou le s�rieux, le grave ou primesautier, etc. Je r�sume : entre po�sie et prose, ce n�est jamais la m�me respiration, le m�me rythme cardiaque, les m�mes tropismes, les m�mes tremblements de terre. En po�sie, il y a toujours l�urgence du vivant, m�me pour un po�te tel que moi, si lent, si lent. Cette po�sie que j�aime, j�y reviens toujours. Aussi, je me retrouve dans cette d�finition de la fid�lit� que donne Pascal et cit�e de m�moire : �tre fid�le, ce n�est pas n�avoir jamais quitt�, mais �tre le plus souvent revenu.
On vous pr�sente, � juste raison, comme une �figure discr�te et essentielle� de la litt�rature alg�rienne. Vous y reconnaissez-vous et, si c'est le cas, pensez-vous que pour �crire heureux, il faut �crire cach� ?
Le c�t� furtif, clandestin, de l��criture me trouble fortement. L�image du fouissement m�excite en m�me temps. Nous sommes, me semble-t-il, dans le domaine d�une intimit� inviolable, inconnaissable. D�o� vient, en po�sie, ce pouvoir de l��criture � cr�er le vide, � rar�fier l�air autour de doigts qui pianotent sur un clavier ou s�agitent autour d�une feuille malmen�e ? Il me semble que, pris dans les rets de son �criture, le po�te, essentiellement lui, vit dans une sorte de �second life� non virtuelle. La m�ritoire discr�tion que vous voulez bien me reconna�tre, croyez bien qu�elle n�est pas l�effet d�une quelconque timidit� paralysante ou d�une maladive introversion � loin de l�. Elle serait paradoxalement, cette discr�tion, le signe �vident de la conscience d�un �cart entre le po�te dans et hors de son texte. C�est, je pense, une position de retrait respectueux qui invalide toute vell�it� d�ostentation. Le po�te � parce qu�il sait depuis Rimbaud que �la main � plume vaut bien la main � charrue� �, le po�te donc se tient � sa place, d�cal�. C�est un homme de mots, mais de mots silencieux, rares. Cette discr�tion dans la pr�sence est �minemment caract�ristique des po�tes et a �t� souvent relev�e. Je n�ai pas l�exclusivit� du comportement. Quant au dire po�tique, comment ne pas �tre sensible � sa fragilit�, � sa t�nuit� vibratile ? Comment ne pas retrouver, dans certains et nombreux vers de l�universelle po�sie, les �chos de tant d�indubitables, irr�pressibles, frissons de vie ?
Vous faites partie de la g�n�ration des ann�es 1970. Quel regard portez-vous sur la litt�rature produite depuis ?
J�ai effectivement �t� le t�moin et tr�s souvent l�ami de ces �crivains alg�riens que l�on d�signe, dans la terminologie du d�coupage d�cennal du temps, comme �tant ceux de la g�n�ration des ann�es 1960. J�arrive, pour ce qui me concerne, dans le wagon de la d�cennie suivante. Je suis plein d�admiration et de r�v�rence pour les �uvres des pr�d�cesseurs, leurs personnalit�s, leurs trajets � leur aura en quelque sorte. Ce sont les grands a�n�s lus et relus avec passion et aussi envie. Des mod�les, bien s�r, en fonction de nos choix personnels. Nous pouvions nous faire une id�e de la valeur de leur �uvre, tout en sachant que, t�t ou tard, allait arriver l�heure de la confrontation � l�heure iconoclaste de l�affirmation de soi en tant qu��crivain. Il n�y a l� rien que de biologiquement naturel. Cela fait que nous sommes toujours meilleurs juges des �uvres de ceux qui nous ont pr�c�d�s que de celles de ceux qui vont nous suivre. Ne me sentant ni l��me ni la qualit� d�un juge, je vous ferai une r�ponse tautologique � souhait : il y a, dans la litt�rature produite jusqu�ici par cette rel�ve de la g�n�ration de 1960, le meilleur et le pire. Comment d�finirai-je le pire ? Voici le second aveu de notre discussion : j�abhorre � l�extr�me ces textes que porte et soutient l�exotisme le plus trivial (i.e. la version relook�e de l�indig�nisme d�antan) que vient conforter un autod�nigrement de bon aloi et tous azimuts, qui dans cet Occident triomphant sont devenus la monnaie indispensable pour avoir droit � un bien d�risoire ticket d�entr�e. Tout se passe, dans ce pire litt�raire ainsi d�sign�, comme si nous n�avions jamais eu de valeurs culturelles propres et que, de ce fait m�me, celles-ci devaient obligatoirement se r�sumer, se ramener � des valeurs et des id�es d�emprunt (i.e. la francophonie � vaste rayon d�action � celle du formatage esth�tique et id�ologique). Vous voulez un exemple de phrase digne du pire litt�raire ? Voici : �Ce jour-l�, ma m�re posa sur la ma�da familiale un plat de barbouche odorant et d�fit la ceinture de son seroual et appela khalti qui��
Ce recueil de nouvelles est d�di� � Abdelkader. Voudriez-vous en dire deux mots ?
Cette d�dicace est une sorte de clin d��il, plein d�une toujours vive �motion, � la m�moire de quelqu�un qui n�est d�sormais plus l� mais demeure, dans ces courts textes, pr�sent, telle l�ombre port�e d�un v�ritable et irrempla�able alter ego. Nous avons, Abdelkader et moi, grandi dans les m�mes lieux, ri des m�mes situations, v�cu de semblables situations, partag� les m�mes juv�niles secrets. Nos m�moires d�adolescents �taient en quelque sorte compl�mentaires. Je lui offre, en hommage posthume et tout simplement, mon propre compl�ment de m�moire.
Propos recueillis par Bachir Agour
Malek Alloula
I. � Biographie : N� � Oran en Alg�rie. Etabli � Paris depuis 1968.
Travaille chez un �diteur parisien
II. � Bibliographie :
Po�sie
Villes & Autres Lieux (C. Bourgois, Paris, 1979. R��dition, Barzakh, Alger, 2008 )
R�veurs / S�pultures (Sindbad, Paris, 1981. R��dition, Barzakh, Alger, 2008 )
Mesures du vent (Sindbad, Paris, 1982. R��dition Barzakh, Alger, 2008)
L�Acc�s au corps (Horlieu, Bourg-en-Bresse, 2005)
Prose
Mes enfances exotiques (in Une enfance alg�rienne, Gallimard, Paris 1997)
Belles Alg�riennes de Geiser
(Marval, Paris, 2001)
Les Festins de l�exil (Fran�oise Truffaut, Paris 2003)
Le Cri de Tarzan, la nuit, dans un
village oranais (Barzakh, Alger, 2008)
Essais / Livres illustr�s
Le Harem colonial (Slatkine, Paris,1980 , S�guier, Paris, 2004)
Alger photographi�e au XIXe si�cle(Marval, Paris, 2001)
Lent mouvement vers la lumi�re.
La Peinture de Benanteur (Institut du monde arabe, Paris, 2003)
Les Miroirs voil�s. De Delacroix � Renoir (Institut du monde arabe, Paris, 2003)
Vivre l�. Les photographies d�Etienne Sved : Alg�rie 1951 (Le
Bec en l�air, Manosque, 2005)
L�Espace grand ouvert de Dalloul (Centre culturel Jacques Brel, Thionville, 2006)

SIGNET
Le retour
Le recueil de nouvelles de Malek Alloula, Le cri de Tarzan, la nuit, dans un village oranais est succulent. C�est un de ces livres qu�on savoure car il est empli de cette fra�cheur de l�enfance coriace, qui r�siste au temps et qui sait percer en toutes circonstances. Elle perce de la rigueur de l��crivain au mot pr�cis et � l�exigence esth�tique �lev�e. Elle perce de la lourdeur des temps. Et Malek Alloula est d�abord po�te et, � ce titre, il ne badine pas avec le sens. Son mot est pr�cis, son image jamais banale. Ce recueil de nouvelles �crit avec la plume du po�te privil�gie certes, comme il se doit, le langage sans pour autant en faire une fin en soi. Le r�cit est aussi l�, avec ses r�gles, ses d�cors, ses personnages attachants, rendus dans une splendide v�rit�. Un r�gal que ce livre, qui signe le retour de Malek Alloula dans l��dition alg�rienne.
Bachir Agour
On vous parle d'Oran
Le dernier recueil de Malek Alloula, Le Cri de Tarzan, la nuit dans un village oranais, rassemble des textes �pars �crits �au gr� d'une inspiration nomade�. Ils sont travers�s par un m�me souffle, empreints d'une m�me qu�te, celle d'une �langue fant�me� porteuse de bribes de souvenirs. L'ordre chronologique, suivant les �ges de la vie, donne � l'ensemble une continuit� p�renne. L'homme devient un chef-d'�uvre en voie d'accomplissement. Le petit village de la prime enfance, Oued Imbert, refl�te l'ordre colonial. Deux mondes s'y c�toient � distance, s'observent et se jaugent. Recto, �les petits camarades de l'autre bord�, pleins de morgue et de suffisance, ma�tres du monde visible, rang�, ordonn�. Mais des ma�tres entrav�s, musel�s, contraints au �silence mortuaire�. Verso, �nous, ce vulgum pecus mal d�barbouill� �, passagers de l'invisible et cependant joyeux, bruyants, curieux et ironiques. Fran�ois, le garde champ�tre tambourinaire, donne le ton. Au rythme �crescendo et molto vivace� du roulement de son tambour, il r�gle la vie d'un village �mac�rant dans d'�puisantes et poisseuses sudations�. Le cin�ma ambulant exerce ses sortil�ges et le cri de Tarzan jubilatoire r�sonne comme �le plus formidable appel � l'aventure�. Cri de joie, de bonheur restitu�, repris par la bande de gosses comme la pr�figuration d'une autre lib�ration. �Attrape mon zeb, toi ! Toi !�. Le sexe brandi par le garnement pour ridiculiser et insulter l'instituteur, le �bourreau en sarrau noir�, lib�re lui aussi de la morne torpeur villageoise. Et c'est le tekouk qui s'empare des b�tes comme des hommes sans distinction ni d'�ge, ni de sexe. Paulo, le menuisier �m�tamorphos� en cochon truffier labourant autour d'une aromatique perle noire� lutine Arlette, la pr�pos�e des postes, sous le regard fripon des gamins embusqu�s dans les fourr�s. Un bonheur modestement villageois �un infime rien (qui) prend aussit�t les allures de miraculeuses aubaines.� Ces petits riens de la banalit� du quotidien provoquent des souvenirs en cascade, �claboussures d'images, sensations visuelles et tactiles. Le rasage du matin convoque l'image du p�re dans le miroir. Le rituel aff�tage du rasoir, une op�ration quasi initiatique et pour le moins magique�, auquel assistait le narrateur enfant suscite une r�flexion sur le passage du temps et sur l'amour complice et silencieux que se vouaient ses parents. Pr�sence du p�re toujours lorsqu'� l'�ge de seize ans, �villageois na�f, mal d�grossi�, il part � la connaissance de la ville d'Oran dans laquelle il emm�nage. L'approche de la cit� se fait par ses eaux, l'eau saum�tre qui annonce, comme en un r�ve, l'avanc�e de la mer sur la ville, et l'eau douce des marchands : �Ce sont les deux eaux de ma ville. Ces �l�ments primordiaux qui me portent�. Cris, appels, bousculades, courses, invectives, tintement des clochettes et des tasses qui se choquent... Son p�re le sauve des effets comateux d'une grave insolation gr�ce � l'eau miraculeuse. Dans le souvenir, si Oran est associ�e au chahut et � la tr�pidance, elle �voque aussi un univers gustatif li� aux joies et aux rires. La fraternit� oranaise des fines gueules, dont la vocation quasi sacerdotale �tait d'organiser et d'animer les banquets, r�v�le une soci�t� conviviale apte � �magnifier l'acte de manger�. Acte �lev� au rang de la liturgie par le personnage d'un ma�tre d'h�tel qui, dans une gargote, transforme la lecture de la carte en po�me incantatoire : �Cette cuisine de gargote, tout aussi ordinaire, pauvre et commune qu'elle peut �tre [...] voici qu'un verbe en transmue la banalit� nourrici�re, en ach�ve l'�l�vation liturgique.� Oran, enfin, per�ue depuis Paris � travers le souffle obs�dant d'une voix au t�l�phone, silence lourd d'une menace qui allait s'accomplir dans l'annonce d'une terrible nouvelle : �Il n'aurait plus � sa disposition que cet immense et cauchemardesque silence dans lequel il allait sombrer pour longtemps, tr�s longtemps.� L'�criture de Malek Alloula transforme la banalit� en un moment d'all�gresse. Ses nouvelles sont un d�luge d'images et de mots cisel�s qui nous font entrer en litt�rature par la porte de la sublimation.
Meriem Nour
Le cri de Tarzan, la nuit, dans un village oranais,
Malek Alloula, �ditions Barzakh, octobre 2008.


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