Que devrait-il choisir, selon vous, entre le pouvoir et la prison ? Ce serait faire preuve d'une profonde naïveté que de croire ou d'en faire accroire que le Pouvoir va se faire hara-kiri, en optant pour l'alternance… trop d'intérêts sont en jeu, ceux déjà accaparés par les rentes de situation et la corruption généralisée et ceux à récupérer durant le quatrième mandat(2). Mais revenons un peu en arrière et analysons froidement la situation de notre pays depuis le «départ accompagné» du feu président C. Bendjedid(3) qui va coïncider avec ce qu'il est convenu d'appeler «l'interruption du processus électoral de 1992»(4). L'histoire retiendra que notre pays va subir un drame multidimensionnel(5), vingt ans avant les «printemps arabes», ce qui va se solder, entre autres, par au moins deux cent mille victimes, comme vient de le déclarer A. Sellal, Président-Premier ministre, toutes victimes confondues et à 30 milliards de US$ de dégâts. Selon certaines ONG, ce chiffre dépasserait les deux cent mille victimes. Ce drame va naître d'une collusion favorable dévastatrice, entre deux courants naissants, l'un interne, l'islamisme politique algérien, incarné par la branche radicale du FIS, qui va passer à l'action armée après l'annulation des élections législatives, sous le sigle de l'AIS, puis se métastaser, créant différents groupuscules incontrôlables dont le FIDA, le GSPC, les GIA et le dernier en date, l'AQMI, avec un changement idéologique radical, les transformant en narcotrafiquants. L'autre externe provient de la montée en puissance d'Al Qaîda et de toutes ses sociétés franchisées, même si c'est l'émergence de ces deux organisations, au même moment et avec les mêmes objectifs, qui a rendu leurs actions très efficaces durant la première partie de leur existence, relations atypiques qui restent à analyser. Rappelons-nous qu'à cette époque, les pays occidentaux, à l'unisson, notamment les USA(6), soutenaient le courant islamiste algérien. En France, le défunt président F. Mitterrand avait exigé «le retour au processus électoral» et ses «officines diplomatiques» négociaient, déjà, les relations à mettre en œuvre avec la future «république islamique algérienne», en même temps qu'émergeaient les oracles de la campagne du «Qui tue qui ?». Le Royaume-Uni abritera sur son territoire les bases de soutien logistique et informationnel du FIS, puis des GIA. Les monarchies du Golfe vont, pour leur part, financer et abriter tous ces mouvements salafistes. Tous ces pays vont considérer que l'Algérie est en guerre civile et en conséquence ils qualifiaient de «résistance islamique» les diverses opérations terroristes commises au quotidien à travers notre territoire national. Cette position va demeurer jusqu'à ce qu'ils soient eux-mêmes victimes d'attentats (USA, France, Italie, Espagne, Royaume-Uni), que certains médias n'ont d'ailleurs pas hésité à imputer à l'actif des services secrets algériens ! La lutte antiterroriste menée par l'ANP et tous les services de sécurité va susciter de graves accusations à l'encontre de la haute hiérarchie militaire, tenue pour responsable des différents massacres commis (Bentalha, Raïs, Sidi Youcef…). Le TPI sera instruit pour prendre en charge les plaintes émanant de tout Algérien contre les chefs militaires en charge de la lutte antiterroriste, ce qui va créer un mouvement de panique généralisé au sein du Pouvoir, civil et militaire, en même temps que vont se fondre de solides solidarités corporatistes et surgir des trahisons et des changements de camp. C'est dans ce contexte, riche en événements nationaux et internationaux, que le conseil national pour la sauvegarde de l'Algérie (CNSA) va voir le jour, composé d'organismes, de partis politiques hétéroclites et d'organisations affiliées, comme l'UGTA, l'UNEP, le Snapap, l'Aitde, le Croissant-Rouge, la Ligue des droits de l'homme gouvernementale… Présidée par A. Benhamouda (assassiné, par la suite), secrétaire général de l'UGTA, cette structure va revendiquer l'arrêt du processus électoral en cours après le premier tour des législatives qui a vu le FIS largement l'emporter(7). Après le départ du président C. Bendjedid, c'est le Haut conseil de sécurité, présidé par les différents présidents successifs (M. Boudiaf, A. Kafi et L. Zeroual) et où le général K. Nezzar a siégé, qui va donner naissance au Haut comité d'Etat, le 12 janvier 1992 et sera constitué de cinq membres (T. Heddam, A. Kafi, A. Haroun, K. Nezzar et M. Boudiaf). Cet organe sera présidé par M. Boudiaf jusqu'à son assassinat et se fixera deux objectifs : la lutte contre le terrorisme(8) et le retour au pouvoir civil légal. Enfin, le Conseil consultatif National, composé de soixante membres et présidé par R. Malek au départ, puis par Benhadouga, (le premier ira rejoindre le HCE), sera créé pour jouer le rôle de pouvoir législatif, sans en avoir la légitimité. C'est en direction du CCN que le défunt M. Boudiaf avait déclaré : «Je n'arrive pas à trouver 60 hommes en Algérie !» Ce conseil va être remplacé par le Conseil national de Transition, constitué par des personnalités de tous bords et de tous horizons. Ce conseil, fort de quelque 200 membres, va jouer le rôle de Parlement transitoire. En outre, un organe consultatif sera mis en œuvre à travers la commission du Dialogue national, présidée par le colonel H. Khatib et composée de personnalités civiles (comme M. Kebir, Y. Tiar…) et militaires (les généraux T. Derradji et M. Touati…) et où A. Bensalah jouera le rôle de porte-parole. De très loin la période la plus sanglante et la plus meurtrière, cette étape se caractérise par une ascension fulgurante de l'islamisme salafiste, en même temps qu'une radicalisation de sa branche armée, du fait de sa reconnaissance générale par les plus grandes capitales au monde. Cette légitimation va le galvaniser et créer des alliances avec d'autres mouvements similaires, dessinant ainsi les contours d'une internationalisation du mouvement, avec la bénédiction des monarchies du Golfe qui le financent et l'appuient logistiquement, non sans avoir obtenu l'aval express des USA. Cette période chaotique et de déstabilisation extrême va fragiliser le Pouvoir dans tous ses compartiments, politique, institutionnel, économique et social, culturel et cultuel. Au même moment, des embargos multiples sur l'armement spécialisé (celui classique étant assuré par la Russie), réduira sensiblement les capacités de riposte de l'Algérie. Enfin, un Plan d'ajustement structurel va être imposé par le couple FMI/BIRD et signé par le gouvernement R. Malek en 1994, sur insistance lourde de la France. Ce PAS va ôter toute marge de manœuvre économique et financière à l'Algérie, puisque le marché financier international lui sera fermé. En outre, plusieurs ambassades étrangères, institutions et organismes internationaux, régionaux, multilatéraux vont fermer leurs locaux et ou s'installer dans les pays voisins (Tunisie). Plusieurs entreprises étrangères ou mixtes, notamment dans les secteurs vitaux, vont alléger leurs effectifs ou carrément quitter notre pays, ce qui va acculer l'Algérie à prendre des décisions de survie. La dégradation de la situation, tant au niveau interne qu'externe, va atteindre son paroxysme avec l'assassinat de M. Boudiaf, le 29 juin 1992, lors d'une visite présidentielle d'«inspection et de travail» à Annaba(9). Cette forfaiture va imposer au Pouvoir de faire appel à un officier supérieur à la retraite, le général L. Zeroual. A ce sujet, il ne faut pas oublier les circonstances de sa démission de l'ANP (il occupait le poste de commandant des forces terrestres). C'est son désaccord sur le plan de la restructuration de l'ANP, proposé par le général K. Nezzar (ministre de la défense) au président C. Bendjedid qui est à l'origine de son départ. Le président de la République, après avoir partagé la critique formulée par le général L. Zeroual, va se rétracter et rejoindre, in extrémis, la proposition de K. Nezzar, lors d'une réunion regroupant tous les chefs militaires au MDN. Ce désaveu, qui reste encore inexpliqué, conduira L. Zeroual à démissionner et après quelques mois passés au poste d'ambassadeur en Roumanie, à se retirer complètement de la vie publique et rejoindre sa résidence de Batna. Dès lors, personne ne pouvait imaginer son retour possible aux affaires et la réconciliation possible entre ces deux profils différents d'officiers généraux, l'un monté au maquis dès 1957, et l'autre, officier de l'armée française, rejoignant la zone 1, de la Base de l'Est comme adjoint de C. Bendjedid. C'est Si Lakhdar, aidé de M. Benououi (chefs historiques de la Wilaya I) qui vont développer des trésors d'intelligence pour leur réconciliation et la passation de pouvoir. Le nouveau président du HCE, A. Kafi, va alors procéder à la désignation de L. Zeroual au poste de ministre de la Défense, en juillet 1993, en remplacement de K. Nezzar (malade), mis à la retraite(10). C'est durant cette période qu'en coulisses le général à la retraite, L. Belkheir (écarté du pouvoir après l'assassinat de M. Boudiaf), va commencer à organiser le retour d'A. Bouteflika, avec l'aide B. Bekaïd (assassiné peu après) qui tiendra un PC de campagne à Zéralda. Le général L. Zeroual, ministre de la défense, va recevoir, seul, A. Bouteflika, au siège du MDN et lui proposer le poste de président d'Etat, pour une période de transition de trois ans. Ce dernier va accepter la proposition au départ, puis se rétracter quelques heures avant son intronisation (retournant à Genève dans l'après-midi), prétextant l'«illégitimité de l'organe de désignation» (la Conférence nationale), alors que son discours d'intronisation était déjà prêt et rédigé par une triplette de personnalités (S. Hamdani, A. Belkhadem, Amimour)… Le général K. Nezzar le traitera publiquement de «canasson» à cette époque. Il faut noter, à cet endroit, que quelque temps après, le concept du «moins mauvais des candidats» fut sorti de la «boîte noire». Devant ce refus irrévocable, la Conférence nationale, organe né de la Commission du dialogue national, va désigner L. Zeroual président d'Etat, pour assurer une période transitoire de trois ans. Avant la fin cette phase de transition, L. Zeroual va décider de l'organisation d'élections présidentielles anticipées et sera élu président de la République(11) le 16 novembre 1995, avec 61,3 % des voix(12) et un taux de participation inégalé, tant en Algérie qu'à l'étranger, depuis l'indépendance de notre pays. Dès son arrivée au pouvoir, le général L. Zeroual va tenter de prendre langue avec la direction du FIS (en particulier le duo A. Madani et A. Belhadj), pour trouver un compromis de sortie de crise et faire cesser l'effusion de sang et notamment pour lancer un appel à la cessation des hostilités. Mais cette dernière n'était plus en mesure de contrôler ses troupes qui lui échappaient au profit des courants les plus radicaux. C'est donc la voie dite «éradicatrice» qui va s'imposer à lui. Entre-temps, il procédera à l'amendement de la Constitution, en novembre 1996, augmentant considérablement les pouvoirs du président de la République mais limitant le nombre de mandats à deux quinquennats, de manière à amorcer «l'alternance politique». Cette Constitution va dissoudre toutes les constructions illégitimes horizontales et verticales des institutions transitoires. Entre-temps, une deuxième Chambre (le Conseil de la nation) va voir le jour de manière à verrouiller le pouvoir législatif et y «caser» les alliances sûres du Pouvoir et notamment des anciens moudjahidine (désignés sur quota du tiers présidentiel). Les puissances étrangères (essentiellement les USA, la France et les monarchies du Golfe) vont s'allier pour faire tomber le nouveau Pouvoir, incarné par L. Zeroual, considérant qu'il développait une idéologie nationaliste, chère au défunt H. Boumediene. Encourageant les actions subversives, portées par le terrorisme national et multinational, elles vont tenter de le faire tomber ou au moins de l'apprivoiser, voyant en lui un ennemi potentiel de leurs intérêts stratégiques respectifs. La France, (en cohabitation politique interne) tout en exigeant «la tenue du deuxième tour du processus électoral», va déstabiliser notre pays en décrétant un embargo sélectif informel, très efficace, qui aura pour conséquence de couper toutes les marges de manœuvre de notre pays. Cette tension va s'accroître après que les intérêts objectifs et subjectifs de la France, en Algérie, vont se voir de plus en plus réduits par le Pouvoir en place et atteindra son paroxysme avec l'annulation, par le président L. Zeroual, de l'entrevue prévue à New York avec le président J. Chirac, du fait des conditions inacceptables et indignes exigées par ce dernier pour sa tenue. Les USA vont développer un «discours évangéliste» à travers la feuille de route déposée par son sous-secrétaire d'Etat, R. H. Pelletreau,(13) de passage à Alger et contenant l'injonction stricte «…d'un élargissement de la base démocratique de l'Algérie par l'ouverture des négociations directes avec le FIS». Les monarchies du Golfe, essentiellement l'Arabie Saoudite et le Qatar, vont financer, héberger et servir de base logistique et de désinformation pour les divers groupes terroristes franchisés issus de l'AIS. C'est à ce moment précis que vont commencer à se multiplier des luttes fratricides entre les différents groupes terroristes pour le contrôle du pouvoir et de ses attributs (les moyens matériels et financiers), ce qui se traduira par des milliers de victimes. L'action déterminée du président L. Zeroual et de l'ANP dans la lutte contre le terrorisme va commencer à porter ses fruits au niveau sécuritaire et induire une stabilité relative de notre pays. Cette situation nouvelle va rouvrir les ambitions et appétits des divers clans conglomérés autour du Pouvoir. En effet, des tensions de plus en plus fortes pour son contrôle vont apparaître au grand jour, provenant de toutes ses composantes et menaceront la cohésion de l'institution militaire. Dès l'été 1997, le général M. Betchine, proche collaborateur du Président, alors ministre-conseiller, va tenter un coup de force pour contrôler totalement le Pouvoir (par notamment un redressement au FLN et la désignation de son sherpa, T. Benbibèche, au RND), ce qui va déclencher une violente campagne (notamment médiatique) contre lui par les autres clans du Pouvoir, jusqu'à son éviction humiliante en 1998. Cette situation périlleuse pour l'Algérie va amener le président L. Zeroual à annoncer, le 11 septembre 1998, dans un discours à la nation, la tenue d'une élection présidentielle anticipée pour février 1999 (normalement prévue pour 2000), à laquelle il déclare ne pas vouloir se présenter. Il quitte la présidence de la République le 27 avril 1999 pour des raisons qui restent encore inexpliquées. La cohésion de l'ANP peut être une des clés de lecture de sa décision. Certaines indiscrétions affirment même qu'il n'aurait pas apprécié que des négociations secrètes avec l'AIS (branche M. Mezrag) se déroulaient sans qu'il en fût informé préalablement et qu'il l'aurait appris au cours d'une audience avec K. Anane, en Afrique du Sud ? Pourquoi le président L. Zeroual a-t-il décidé de partir avant la fin de son mandat ? C'est dans ce contexte que la seconde tentative de désignation élective, proposée à A. Bouteflika, va être organisée autour d'un repas par le général L. Belkheir (décédé), le commandant Moussa (décédé), entre autres, avec comme invité d'honneur le général K. Nezzar. En effet, dès l'annonce du départ du président L. Zeroual, la deuxième tentative de proposition de désignation élective à A. Bouteflika va être décidée, avec succès cette fois, ce qui va permettre au général L. Belkeir de revenir aux premières loges du Pouvoir, après avoir été marginalisé durant plusieurs années. Cette candidature s'est faite contre l'assentiment d'autres centres du Pouvoir, puisqu'il est à peu près sûr que le candidat préféré des généraux, M. Lamari (décédé) et L. Zeroual, était A. Ouyahia, nommé d'ailleurs chef du gouvernement par ce dernier. Quant au général K. Nezzar, il continuait de porter sa préférence à S. A. Ghozali. Une coalition des centres du Pouvoir, interne et externe, va donc imposer A. Bouteflika, ce qui nous oblige à nous demander qui était derrière ce choix et quel rôle respectif a joué, chacun, dans cette opération ? En effet, il ne faut pas oublier qu'à cette époque, le Pouvoir va prendre très au sérieux les menaces du TPI et les diverses actions internationales des ONG à son encontre (notamment l'Human Right Watch, d'Amnesty International, de l'ACAT et de l'ATD quart monde). A titre d'exemple, le général K. Nezzar s'est fait «évacuer» en urgence, de Paris vers Alger, pour ne pas avoir à subir les interrogatoires d'un juge d'instruction parisien après qu'une plainte eut été déposée contre lui. De même qu'il a dû, récemment, passer plusieurs heures dans les bureaux d'une juge helvétique à répondre à ses questions. Pour les contrecarrer, le Pouvoir va mettre en place une stratégie de «distanciation formelle» vis-à-vis de l'exercice du pouvoir(14), tout en continuant à le gérer par «télécommande»(15) et notamment en fixant les «lignes rouges» que personne ne devait jamais franchir. Pour ce faire, il va donc créer, en laboratoire, de véritables «avortons invertébrés» qu'il va distribuer dans tous les postes de décision, de manière à lui servir de janissaires inconditionnels. Ainsi, un réseau et une trame vont apparaître et contrôler notre pays dans tous ses compartiments (les partis, l'économie, le sport, la culture, le culte, l'éducation, l'université, la diplomatie, la justice, la sécurité…). Or, ce réseau s'est aujourd'hui «émancipé» de ses donneurs d'ordre, ce qui va entraîner une catastrophe, car beaucoup d'entre eux échappent désormais à tout contrôle, plaçant notre pays aux dernières places de la communauté internationale, pratiquement dans tous les domaines (corruption, gouvernance, éducation, climat des affaires, droits de l'homme, émancipation des femmes, libertés individuelles, justice, croissance…) ! Même la mission du futur Président avait été très clairement définie et sa feuille de route rédigée sans aucune ambiguïté. Il devait, prioritairement, lever tout soupçon sur la gestion sécuritaire sanglante passée, présente et future et satisfaire aux critères d'éligibilité fixés par la communauté internationale pour son retour en son sein et notamment par la satisfaction des trois sacro-saints canons, fixés à cette époque, à savoir, la démocratie, l'économie de marché et le respect des droits de l'homme… Les règles non écrites étant gérées par l'intermédiaire des officines classiques. Cette «feuille de route» fera d'ailleurs réagir le Président actuel, dans plusieurs discours, où il affirmera qu'il n'acceptera jamais d'être un «trois-quarts Président», signifiant, par-là, qu'il entendait récupérer la totalité du Pouvoir. Ce bras de fer va se traduire par l'éviction, sans ménagement, du général L. Belkeir de la présidence de la République, celui-là même qui avait convaincu tous les clans que cette candidature bénéficiera à la consolidation de leur Pouvoir ! C'est donc au moment où se déroulait la campagne présidentielle plurielle, promise transparente, par le président L. Zeroual, qu'il est apparu au grand jour, aux autres candidats(16), que le vote des corps constitués et des bureaux itinérants avait été entaché de multiples irrégularités et que les dés étaient «pipés». Tirant les conséquences de cette situation, les six (les 5+1) candidats, sur les sept retenus, se retirèrent du scrutin, provoquant une crise aiguë au sein du Pouvoir, car la promesse du président L. Zeroual d'un scrutin «propre et honnête» venait d'être remise en cause sur le terrain. La demande d'audience des six candidats, à L. Zeroual, au matin du troisième jour des élections, leur fut refusée par ce dernier, qui les invita à recourir aux instruments légaux prévus par la loi, à savoir le Conseil constitutionnel, seul habilité à agir en l'espèce. Son attitude «légaliste» fut considérée politiquement, par beaucoup, comme une seconde démission ! Le seul candidat restant, A. Bouteflika, a, de son côté, violemment réagi et exigé un taux de participation et de voix supérieurs à ceux obtenus lors de l'élection de L. Zeroual (61%), menaçant le Pouvoir de retourner chez lui «si ce pays ne me mérite pas !». Les résultats officiels affichés vont satisfaire le seul candidat restant (plus de 70% de voix) et humilier les autres, absents du scrutin mais néanmoins affublés de moins de 2% des voix. Les puissances étrangères (USA, France et les monarchies du Golfe)), quant à elles, retrouvaient, dans la candidature d'A. Bouteflika, leurs intérêts stratégiques, puisque le futur Président était loin de l'idéologie développée par L. Zeroual, qu'il ne sortait pas du moule de l'institution militaire et qu'il était prêt à «pactiser»(17) avec la mouvance islamique. Les monarchies du Golfe, totalement acquises à cette candidature, vont agir sur deux tableaux : l'inflexion de la politique menée par l'Algérie et la prise de parts de marché dans la rente. C'est à partir de cette période que leurs investissements, dans la rente, vont s'intensifier, obtenus de «gré à gré», dans divers secteurs (gestion portuaire, industries tabagiques, foncier, services, finances, les télécommunications, les services, l'énergie, le commerce, le transport, le tourisme…). Ce premier mandat sera riche en «discours à géométrie variable» et en multiples déplacements à l'étranger. Il ne se passera pas un mois sans que le Président s'envole vers une destination étrangère, même pour des réunions mineures, voire futiles, ce qui va lui permettre d'échapper aux pressions internes, exercées par les autres centres du Pouvoir et d'exercer un chantage au retour, tout en tissant également de solides relations extérieures. Une redistribution des cartes au sein du Pouvoir, en même temps qu'un partage de rentes entre les anciens et les nouveaux prédateurs, occupant une place dans le premier cercle concentrique du Pouvoir, vont dès lors s'opérer. Ce «new deal» va se solder par la consolidation du pouvoir de certaines personnalités et l'éviction d'autres acteurs de ce même Pouvoir. Le général L. Belkheir, artisan zélé du retour d'A. Bouteflika, va être la première victime importante de la polarisation du Pouvoir autour de la famille du Président et de son clan. Pour la première fois, dans le lexique du vocabulaire politique de notre pays, un ministre, C. Khelil, déclarera publiquement l'existence du clan présidentiel. Sans nul doute, le cercle le plus proche, imposé par le Président, sera celui de sa propre famille, au sens le plus large du terme. Cette concentration du Pouvoir va pousser, à mi-mandat du premier mandat, certains exclus du Pouvoir(18), à exiger le départ du Président, stigmatisant ses discours hostiles à leur égard et à l'institution militaire. Qui va permettre au Président de sortir victorieux de ce deuxième bras de fer ? C'est dans ce contexte, tout à fait particulier, que deux éléments majeurs, sur le plan international, vont encore une fois permettre une redistribution des cartes entre les différents clans de Pouvoir dans notre pays : les attentats du 11 septembre 2001 et l'amélioration substantielle des prix internationaux des hydrocarbures ! Le premier événement est considéré aujourd'hui par les politologues émérites comme une date historique dans les relations internationales(19), au même titre que la Seconde Guerre mondiale. En effet, les conséquences de l'attaque du 11 septembre 2001 et les répliques qui vont suivre dans différents pays (Espagne, France, Royaume-Uni, Italie…) vont radicalement changer la perception de l'Occident sur l'islamisme politique et remettre en cause les alliances incestueuses qu'il entretenait avec lui. A titre d'exemple, les USA demandaient, avant cette date, avec force à notre pays de négocier avec le FIS et ses démembrements. Après le 11 septembre, ces organisations et toutes les autres furent inscrites par les USA sur la liste noire des organisations à éradiquer. En effet, pendant longtemps, les USA avaient utilisé l'islamisme politique comme un rempart idéologique contre le communisme et personne n'oublie que Ben Laden, lui-même, fut un agent de la CIA et qu'il a été doté d'un armement sophistiqué (missile Stringer) utilisé en Afghanistan contre l'armée rouge, puis contre le régime communiste de ce pays. Ce retournement de situation va être au cœur de toutes les révisions stratégiques des états-majors et des services de sécurité dans les pays occidentaux et le reste du monde. Dès lors, pour notre pays, les relations bilatérales, avec les USA d'abord, puis avec ses alliés dans le pacte atlantique, ensuite, vont changer du tout au tout, puisque les aspects sécuritaires vont devenir l'élément essentiel structurant nos relations, avant même les relations idéologiques, politiques, judiciaires, économiques et financières. Cette donnée va sensiblement changer la problématique du premier mandat présidentiel, puisque la mission de bons offices auprès de l'étranger, confiée comme priorité au président, n'était plus à l'ordre du jour et que seule la dimension sécuritaire (qui échappait au Président) de ces relations devenait durablement prioritaire avec un contact direct avec ses principaux décideurs et responsables (et notamment des services de sécurité). Ce contexte nouveau va, dès lors, ouvrir la voie à une autre candidature au poste de président de la République(20), pour la désignation élective de 2004. La seconde donnée et non des moindres repose sur la revalorisation des prix des hydrocarbures(21)qui caracolaient, sur le marché international, à des sommets jamais égalés, ce qui va se traduire, pour notre pays, par une augmentation substantielle des recettes d'exportation et une certaine aisance financière. Cette manne financière va permettre l'achat temporaire de la paix sociale et la sortie des «fourches caudines» des institutions financières internationales (FMI/BIRD) et de leurs conditionnalités contenues dans leur PAS. Ces deux événements conjugués vont également jouer en faveur de ceux qui pensent qu'il faut trouver un remplaçant au président en poste. C'est sans doute, à cette période, qu'on a fait miroiter à A. Benflis (il n'est pas le seul) cette perspective et qu'il a entamé son premier «tour de piste d'échauffement», après avoir subi la patine du poste de chef du gouvernement et de secrétaire général du FLN. D'autant plus que l'équipe économique gouvernementale, composée essentiellement d'expatriés, ramenée dans les bagages du Président, donne des signes d'incohérence flagrants, en plus de leur apparence de «débutants érudits». Durant ce premier mandat, ce Pouvoir va introduire un mode de gouvernance complètement dominé par le clanisme, le népotisme, le régionalisme et la corruption. Si on ajoute à cela un changement de cap idéologique tous azimuts vers une économie de marché sauvage et incontrôlable, qui va exacerber tous les déséquilibres de notre économie, nous aboutissons aux résultats enregistrés depuis quinze ans d'une croissance molle malgré des investissements publics colossaux ! C'est la période bénie de la «croissance économique par les privatisations» massives (elles auront beaucoup plus un caractère de spéculation foncière) et avec de l'ouverture totale du marché algérien. Tous ces slogans sont contenus dans le «Programme économique du Président», que la coalition gouvernementale (FNL/RND/HAMAS), va adouber ! Ce programme, qui n'est qu'une agrégation des projets sans cohérence interne, ni vision à moyen et long termes, aura des conséquences catastrophiques sur tous les marchés et fera fonctionner, à plein régime, la seule variable d'ajustement encore disponible dans notre économie, à savoir les importations de tous nos biens et services, ouvrant grande la voie à la corruption généralisée. Enfin, la remise en cause brutale du contrôle majoritaire de l'Etat sur les ressources naturelles et notamment minières, exigée par le lobby pétrolier international (et notamment à travers la compagnie Haliburton), va entraîner la modification de la loi sur les hydrocarbures et aboutir à de profondes fractures idéologiques, politiques, économiques et sociales. En effet, cette loi va faire l'objet d'un véritable bras de fer entre deux clans de rentiers au Pouvoir. Celui qui souhaitait une répartition de la rente via l'Etat algérien (incarné notamment par N. Y. Zerhouni) et ses démembrements, et notamment Sonatrach, et celui (incarné par C. Khelil) qui considérait que le partage de la rente devrait se réaliser à travers des firmes multinationales et en particulier celles anglo-américaines. Signée par ordonnance dans un premier temps au profit des derniers, elle va être abrogée, au profit des premiers, par la suite, dans les mêmes formes juridiques. Le puissant ministre de l'Intérieur en paiera le prix par son éviction du Pouvoir ! La deuxième désignation élective de 2004 va donc se présenter avec une véritable fracture entre deux clans du Pouvoir, violemment opposés et prêts à en découdre. Qui va, une nouvelle fois, peser de tout son poids, dans l'équilibre précaire du Pouvoir, pour renouveler le bail du palais d'El Mouradia, à l'actuel Président ? (A suivre) ——————————————– Notes : 1)- Qu'A. Saadani puisse jouer le rôle que d'autres lui ont dévolu est dans la logique du Pouvoir, car c'est pour lui une question de vie ou de mort ! Désigné SG du FLN, vu la composante du CC, c'est normal. En faire un président de la république, pourquoi pas ? 2)- La manne financière qui risque d'entrer dans les caisses de l'Etat via les recettes d'exportation jusqu'à 2019 peut atteindre quelque 500 Milliards de US$. 3)- Dans ses mémoires bizutées, son «accompagnement au départ» a été un compromis acceptable par toutes les composantes du Pouvoir, mais l'histoire réelle de l'interruption du processus électoral reste à écrire. 4)- Feu A. Mehri avait déclaré, lorsqu'on l'accusait d'avoir trahi l'Algérie en se rendant à San-Egidio, que «ceux qui sont venus après moi ont accepté des concessions plus importantes que celles proposées au sein de cette communauté !». 5)- La «décennie noire», c'est l'euphémisme inventé par notre pays pour désigner cette période sanglante. 6)- Les USA abritaient A. Haddam, membre de la direction du FIS, sur son territoire, avec rang d'«ambassadeur». 7)- Légalisé sous le gouvernement d'A. Khalef , alias K. Merbah (assassiné), le FIS, parti de l'opposition, va contrôler le scrutin et arriver à le manipuler en sa faveur. Les commanditaires des «listes indépendantes», qui ont affaibli le FLN, sont une séquence encore inexpliquée. 8)- Toutes les tentatives de trouver une issue «politique» à la crise de pouvoir seront écartées au profit de la lutte antiterroriste, thèse du courant dit «éradicateur». 9)- Convaincu de retourner en Algérie, par A. Haroune, après un exil au Maroc de plusieurs années, il fut assassiné à Annaba par M. Boumaarafi. 10)- Il vient de déclarer, sur le web, que son amitié pour le commandant du DRS se bonifiait avec le temps. 11)- Dans une interview avant le scrutin, M. Hamrouche avait déclaré «qu'il ne se présentera jamais contre un candidat de l'armée !». 12)- Ce scrutin paraît pour beaucoup d'analystes nationaux et étrangers comme celui le moins truqué. 13)- Robert H. Pelletreau entre au Foreign Service et il va être au service politique de l'ambassade des USA en Algérie. Il devient assistant du ministre de la défense de 1980-1981 et de 1984 à 1987 et enfin conseiller du président à partir de 1994. 14)- Plusieurs présidents, (Boudiaf, Kafi, Zeroual, Bouteflika) et plusieurs chefs de gouvernement éjectables (S. A. Ghozali, A. Belaïd, R. Malek, M. Sifi, A. Ouhiaya, A. Benbitour, A. Belkhadem, A. Benflis, A. Sellal) donneront l'illusion qu'un pouvoir civil détient réellement le Pouvoir. 15)- Maladroitement, A. Saadani vient de déclarer que «Le DRS continuera à jouer son rôle mais ne sera plus impliqué dans la vie politique, dans les partis, les médias et la justice»… Ce qui signifie qu'il le faisait avant ! 16)- Les deux candidats crédibles, incarnés par M. Hamrouche, pour le courant nationaliste, et A. Taleb Ibrahimi, pour le courant islamiste, affichaient une volonté réelle de changement de système. 17)- Les différentes mesures d'amnistie, de concorde nationale et les divers élargissements entrent dans le cadre de cette politique. 18)- Cette fronde ouverte est incarnée, en particulier, par le général de corps d'armée M. Lamari, chef d'état-major de l'ANP. 19)- Le Pr R. Tlemçani parle d'un nouveau type de «légitimité sécuritaire, de légitimité du sang pour pallier l'absence de légitimité démocratique», in El-Watan du 3 novembre 2013. 20)- C'est ce même clan qui va penser pouvoir lui barrer la route du deuxième mandat. 21)- Les prix courants du Brent (WTI) passent de 18 US$ le baril en 1999, à quelque 145 US$ le baril en 2009. Ils se situent actuellement autour de 110 US$ le baril.