-Oran : condamnation unanime Le reportage sur les cités universitaires pour filles a suscité la colère et l'indignation. «On a été abasourdies de voir ce documentaire, d'une rare violence, sur nos cités. A cause de ces journalistes, nous voilà la risée de toute l'université, alors que nous sommes venues pour étudier et préparer notre avenir. C'est tout simplement honteux», nous dira Yasmina, une jeune interne dans la cité El Badr. Une autre nous raconte qu'elle se doit, chaque jour, de rendre des comptes à son père, ainsi qu'aux autres membres de sa famille, devenus d'un coup suspicieux à son encontre. «C'est comme si je suis condamnée pour un crime que je n'ai pas commis», nous dira-t-elle, confuse. Hayat Bouhali, ancienne étudiante, venant d'intégrer fraîchement le monde du travail, dira : «Les producteurs des journalistes ont-ils pensé aux conséquences de leur produit ? Ont-ils pensé aux milliers de jeunes filles qui vont être privées d'enseignement supérieur, et qui vont être rappelées à rentrer chez elles ?» Fatma Boufenik, militante féministe, déclare : «Le système d'hébergement des étudiantes est lamentable et discriminatoire, puisque les résidences des ‘‘filles'' ferment les portes à 20h. Ce n'est pas une pension, et cette procédure met souvent les étudiantes à la merci des gestionnaires et surtout des agents de sécurité qui utilisent leur pouvoir pour leur ouvrir ou leur refuser l'entrée.» -Tlemcen : des centaines d'étudiantes expriment leur colère Dimanche, des centaines d'étudiantes des cités U de Mansourah et Imama sont sorties dans la rue pour dénoncer avec colère le reportage. Les manifestantes ont exigé l'ouverture d'une enquête et des excuses des responsables de la chaîne incriminée. A son tour, l'Union générale des étudiants algériens a indiqué dans un communiqué que le phénomène de la «déviation dans le milieu estudiantin est connu, mais ne représente qu'une frange très infime des étudiantes.» Cette organisation a interpellé le ministre de l'Enseignement supérieur pour «déterminer toutes les parties qui étaient derrière cette campagne qui a sali la réputation des étudiantes et a appelé à l'ouverture d'une enquête…». Quant au responsable des œuvres universitaires, Chawki Benaïssa, il a précisé, lors d'un point de presse, que «les enquêtes préliminaires de la police judiciaire ont abouti au fait que les séquences montrées dans le reportage de la chaîne étaient filmées au complexe touristique de Hammam Boughrara (12 km de Maghnia) et non dans la chambre B12…». Des organisations syndicales des étudiants exigent des excuses de la chaîne qui «a porté préjudice à la famille universitaire et poussé certains parents à retirer leurs filles des résidences universitaires au lendemain du reportage incriminé…». -Mascara : «Non à la provocation » «J'ai appris que certaines étudiantes ont été victimes d'attitudes négatives de leurs pères et frères. Elles ont été rappelées à l'ordre, les informant qu'elles doivent cesser leurs études à la fin de cette année universitaire», déclare Zohra, étudiante en 1re année master résidant à la Cité universitaire 1000 lits. De son côté, Asma, 21 ans, étudiante en lettres et résidente à la cité des 2000 lits, a tenu à manifester sa colère : «C'est honteux ce qu'a fait cette chaîne satellitaire qui n'a même pas respecté les principes élémentaires de la déontologie journalistique. L'objectif de l'enquête sur les résidences universitaires des filles est clair : noircir l'image des étudiantes pour des fins qui me sont encore obscures.» Selon Sabah, 22 ans, résidant à la cité des 2000 lits, «les sujets à sensation ne manquent pas, comme par exemple la corruption, la politique et autres. Je ne comprends pas pourquoi cette chaîne a porté atteinte à l'image des étudiantes ? Nous sommes des étudiantes, pas des militantes de partis.» Ce lundi 16 décembre 2013, les étudiantes de l'université de Mascara étaient nombreuses à nous annoncer leur adhésion à la démarche du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. «Nous adhérons à l'idée de poursuive cette chaîne devant la justice pour diffamation et intention de nuire à l'image des étudiantes», dira Faïza, 21 ans, résidant à la cité des 2000 lits. -Mostaganem : «Nous sommes livrées à nous-mêmes» Dans les principales résidences «des 1500 lits», de l'ex-ITA ou de Kharrouba, là où sont hébergées les jeunes filles originaires des wilayas limitrophes, c'est à peine si les résidentes acceptent d'aborder la question. Ainsi, Siham, étudiante en communications, originaire de Tiaret, préfère mettre l'accent sur les insoutenables conditions de vie des internes. Elle déplore également l'absence de vie collective. «Une fois dans l'enceinte de la résidence, souligne-t-elle, nous sommes livrées à nous-mêmes». Kheira, qui loge avec elle dans une chambre exiguë, dénonce le confinement et l'absence de commodités qui «poussent nos camarades à aller de temps à autre souffler dehors». Pour ce qui est des sorties nocturnes, nos interlocutrices soutiennent qu'elles sont vraiment marginales : «Celles qui quittent l'enceinte de la cité se comptent sur les doigts d'une main». Hayette, 22 ans, inscrite en master de français, soutient que jamais ses parents ne l'auraient laissée poursuivre ses études loin de Mostaganem, «ils sont très conservateurs et m'ont signifié que si je voulais poursuivre des études supérieures, il me fallait me contenter des filières disponibles à Mostaganem». Pour ce qui est du reportage incriminé, elle déclare : «En tous cas, ça ne donne pas envie de vivre dans une cité ‘‘U'', et lorsque j'entends mes camarades internes parler de la restauration, de l'absence de loisirs, je ne regrette pas d'avoir écouté mes parents, car si j'avais été interne, je suis certaine qu'après ce reportage je serais déjà revenue à la maison». -Constantine : calme sur les résidences L'enquête diffusée sur l'enceinte des cités U pour filles d'Alger n'a pas eu de feedback à Constantine. C'est ce que nous avons relevé dans les témoignages recueillis auprès de résidentes des cités U suivantes : Fatma N'soumer et Ali Mendjeli 1, 2, et 3, de Constantine, où nous nous sommes rendus. Les jeunes filles que nous avons approchées nous ont précisé qu'aucune d'entre elles ou de leurs camarades résidentes n'ont quitté la cité suite à une quelconque pression familiale. Beaucoup de résidentes que nous avons rencontrées étaient unanimes à déclarer que «l'enquête a porté atteinte à des milliers de filles qui n'ont rien à voir avec les faits rapportés». A titre d'exemple, Mouna, étudiante en psychologie, condamne fermement ce reportage qui, selon elle, «n'a pas pris en considération les mentalités rétrogrades et le niveau d'instruction limité d'un large pan de la société qui est régie par les tabous». Elle nous dit à ce propos : «J'ai vécu trois ans à la résidence Ali Mendjeli 2, et je peux témoigner que certaines filles mènent une vie plutôt dissolue, mais je vous assure que leur nombre est très minime.» Et d'ajouter : «Nous sommes des adultes, j'estime que chacune peut et doit assumer ses actes ; c'est pourquoi il ne fallait pas généraliser». On notera toutefois le cas de l'étudiante à l'université des sciences islamiques Emir Abdelkader, résidant à la cité U Nahas Nabil, dont le père a émis le souhait de la retirer, voire d'interrompre carrément les études, mais qui a été «dissuadé par un conseil d'enseignement». -Annaba : «La raison l'emporte sur la rumeur» Le tapage médiatique n'a pas eu des conséquences majeures sur la plupart des étudiantes résidentes dans la wilaya de Annaba. C'est du moins ce qui ressort des déclarations de plusieurs directeurs de ces résidences relevant de l'Office national des œuvres universitaires (ONOU). Contactés par El Watan étudiant, ces derniers ont affirmé : «Ils étaient nombreux les parents des étudiantes à venir, le lendemain de la diffusion du reportage, pour s'enquérir des conditions dans lesquelles vivent leurs filles. Après un constat approfondi, la majorité a été rassurée. La raison l'a emporté sur la rumeur et tout baigne dans l'ordre dans nos résidences universitaires à Annaba». Pour expliquer cette retenue, le directeur de l'ONOU de Sidi Amar, Laïd Remita, évoque au moins trois raisons : «Le dépôt de plainte par l'ONOU contre la chaîne satellitaire pour la diffusion de ce reportage jugé diffamatoire et portant atteinte aux résidences universitaires, l'appel et les assurances de Mohamed Mebarki, le ministre de l'Enseignement supérieur via les médias, et surtout l'avenir des études supérieures de leurs enfants». L'université Badji Mokhtar de Annaba compte plusieurs milliers d'étudiantes résidentes, dont quelque 1500 ressortissantes africaines. Elles sont abritées, entre autres, aux cités de Chaïba, Chlef, 19 Mai, El Bouni, Safsaf, Plaine Ouest, les Crêtes et Bouhdid. -Batna : la peur de ne plus revenir à l'université après les vacances Les résidentes des cités universitaires de Batna vivent dans l'angoisse depuis la diffusion du reportage. Les cités U ont connu un afflux inhabituel des parents qui ont pris pour argent comptant la version du média incriminé. Un groupe de filles venues des différentes mechtas disséminées à travers la wilaya, réunies dans une chambre, essayaient de contenir le stress et la peur à l'idée de ne plus pouvoir revenir après les vacances d'hiver. «Je suis sûre que mon père ne me laissera pas revenir à l'université après les vacances», nous a confié l'une d'elles. Sa camarade de chambre a eu droit à une surveillance rapprochée. «Depuis la diffusion du reportage, mon frère ne me laisse pas de répit. Il est en faction devant le portail et lorsque je sors pour rejoindre le campus, il me file jusqu'à l'amphi, surveillant mes faits et gestes», confie-t-elle. Par ailleurs et depuis le passage de ce reportage, les téléphones portables n'ont pas cessé de sonner. «Tous les membres de ma famille m'ont appelée le lendemain de la diffusion. Convaincu que tout ce qui a été raconté me concernait, mon père n'a pas arrêté de proférer des menaces au bout du fil, m'intimant l'ordre de quitter la cité illico presto», nous a déclaré une résidente.