Azouaou Hamou L'Hadj, figure de proue de l'Association des victimes d'Octobre 1988 (AVO88), est appelé à comparaître le 26 décembre devant le tribunal de Sidi M'hamed (Alger). Azouaou est officiellement poursuivi pour «trouble à l'ordre public». Son seul tort, comme il l'explique à El Watan, est de s'être rendu au Palais du gouvernement pour demander audience au Premier ministre, Abdelmalek Sellal, à propos des revendications des victimes d'Octobre 1988. Azouaou, qui a perdu son bras gauche suite à la fusillade de Bab El Oued, le 10 octobre 1988, ne comprend pas les raisons de ce procès alors qu'il n'a fait que réclamer ses droits d'une façon pacifique. Le 5 octobre dernier, Azouaou a participé, comme chaque année, à la cérémonie du souvenir en hommage aux victimes tombées en octobre 1988. La place des Martyrs étant «fermée pour travaux», c'est au square Port-Saïd que Azouaou dépose sa gerbe de fleurs. «Il y avait un dispositif de police impressionnant, mais tout s'est déroulé sans le moindre incident», précise notre interlocuteur. Au lendemain de la cérémonie, Azouaou se rend au siège du Premier ministère pour demander audience à Sellal. «Et j'ai fait exprès de partir seul pour justement ne pas provoquer de troubles», explique-t-il. A peine s'étant approché du bâtiment de l'Exécutif qu'il se voit interpellé et conduit au commissariat du 6e. «J'ai été gardé là-bas jusqu'à 16h. On m'a fait signer un PV, on m'a fait passer une visite médicale puis on m'a relâché.» Le 8 octobre, Azouaou revient à la charge. «nous ne faisons que revendiquer nos droits» Dans sa main, «une lettre de doléances que je voulais remettre aux services de Monsieur le Premier ministre au nom des victimes d'Octobre 1988 et de leurs familles», indique Azouaou. Pour rappel, AVO88 milite depuis 25 ans pour exiger un statut pour les victimes d'Octobre qui sont toujours classées comme «victimes d'un accident de travail». «Nous ne faisons que revendiquer nos droits les plus légitimes», martèle le porte-parole de l'association. Alors qu'il ne demandait qu'à remettre son courrier au cabinet de M. Sellal, un agent de police fonce sur lui et lui demande ses papiers. «Par la suite, cinq policiers ont accouru et m'ont sommé de les suivre, j'ai refusé.» Devant son refus d'obtempérer, Azouaou est arrosé de mots grossiers et «embarqué de force» dans un véhicule de police. «Même amputé de mon bras gauche, ils m'ont jeté sans ménagement à l'intérieur du véhicule. Dans la foulée, ils m'ont cassé mes lunettes. Arrivés au commissariat du 6e arrondissement, ils m'ont placé en garde à vue de 9h jusqu'à 17h», poursuit Azouaou. A 17h, on lui signifie qu'il n'y a plus lieu de le retenir. dépôt de plainte Azouaou fait part de son intention de déposer une plainte contre les policiers qui l'avaient malmené «pour injures et destruction de biens d'autrui». «Un procès verbal a été établi, je l'ai signé et j'ai quitté le commissariat.» Un autre jour, Azouaou est convoqué pour confirmer sa plainte dans un commissariat sis à Soustara. Par ailleurs, le porte-parole d'AVO88 s'est rendu de son propre chef au commissariat central (siège de la sûreté de wilaya d'Alger) pour se plaindre du mauvais traitement qui lui a été infligé. «J'ai été aimablement reçu par le directeur de la sûreté de wilaya qui m'a écouté attentivement en m'assurant que les policiers n'ont aucunement le droit d'insulter ou de brutaliser un citoyen, même si c'est un voleur. Et voilà que je me retrouve poursuivi, alors qu'à la base, c'est moi qui ai fait l'objet d'une agression», s'indigne notre ami. Azouaou se sent «poignardé dans le dos». Au-delà de l'inversion des rôles en instrumentalisant la justice, ce qui émeut le plus Azouaou Hamou L'Hadj, c'est le fait de se voir, «50 ans après l'Indépendance», interdit d'accès au Palais du gouvernement de son pays, et le mépris affiché, une nouvelle fois, par les pouvoirs publics, à l'égard des victimes d'Octobre. «En 25 ans, aucun chef de gouvernement ou Premier ministre n'a daigné nous recevoir à l'exception de Sid Ahmed Ghozali», affirme Azouaou Hamou L'Hadj, avant d'ajouter : «J'avais espoir que Sellal, qui claironnait qu'il était à l'écoute de tous les Algériens, nous prête l'oreille. Finalement, il n'en est rien. Le mépris continue. Figurez-vous que je suis interdit de m'approcher à moins de 100 m du Palais du gouvernement !» Et de lâcher avec ironie : «C'est un drôle de cadeau de fin d'année. Voilà ce que je vais retenir de 2013 !» Oui Azouaou : au pays des «fakakir», le Palais du Docteur Saâdane est une citadelle inaccessible.