Si les résultats du référendum sont annoncés, samedi, les tendances prédisent un «oui» écrasant, d'autant plus que cette participation est déterminante pour le nouvel homme le plus fort et le plus populaire du pays, Abdelfatah Al Sissi, qui a destitué le président islamiste Mohamed Morsi, le 3 juillet dernier. Le chef de l'armée avait exprimé ses ambitions présidentielles en appelant à voter massivement pour le «oui» malgré les détracteurs qui ont appelé à boycotter ce vote. Mercredi matin, les bureaux de vote ont connu leur pic d'affluence durant la matinée. Nous sommes dans le quartier cairote de Giza. Une longue file attend devant un bureau de vote. L'ambiance est plutôt festive, des youyous résonnent partout, alors que l'épicerie du coin de la rue enclenche la chanson Teslam el ayadi, chanson de propagande pour l'armée regroupant plusieurs artistes égyptiens. Les femmes présentes affichent de larges sourires en scandant ensemble : «Tahya Masr !» (Vive l'Egypte), «Al Sissi Ra'issi» (Sissi est mon président). Eman, quadra fonctionnaire est venue accompagnée de ses trois enfants : «Je veux que tous les médias voient que le peuple est mobilisé». En les aidant à tremper leur doigt dans l'encre rose, elle poursuit : «Je les ai ramenés pour avoir une idée sur ce référendum. Là, je peux dire que nous avons voté petits et grands !» Amru Salahuddin, écrivain et photojournaliste, se révolte sur sa page facebook : «Une participation de plus, avec une tranche d'âge qui frôle la mort, c'est triste de voir des gens se précipiter pour donner leur avis virtuel sur ce référendum.» Légitimité Si en Egypte, les critiques envers les participants à ce référendum, majoritairement des femmes et des plus de 60 ans, sont nombreuses sur les réseaux sociaux, rien ne semble affecter l'opération. La plupart des Egyptiens ont affiché fièrement leur intention de voter «pour le général Al Sissi» et «contre les Frères musulmans», désormais considérés comme «terroristes» après avoir remporté toutes les élections depuis la chute de Hosni Moubarak en 2011. Pour le pouvoir de transition, réussir ce référendum, le premier depuis la destitution de Mohamed Morsi, est une étape majeure. Obtenir un «oui» à cette Constitution traduira les intentions d'une transition démocratique promise par l'institution militaire égyptienne, mais aussi prouvera sa légitimité, démontrera qu'il ne détient pas le pouvoir à la suite d'un coup d'Etat militaire, mais bien pour répondre à la volonté du peuple, de ces millions d'Egyptiens descendus dans les rues le 30 juin 2013. Et peut-être d'en finir avec la polémique du coup d'Etat, un débat qui nourrit la presse internationale et locale depuis plus de six mois. «Anti-frérisme» A la banlieue d'Héliopolis, l'ambiance est la même. Une jeune voilée nous lance : «Pourquoi les gens s'étonnent-ils qu'on vote en faveur du référendum ? On va jusqu'à nous accuser de favoriser l'armée. J'ai personnellement pris part au référendum de 2012 avec un grand «Oui», mais on finit par être arnaqués par le gouvernement des Frères musulmans, c'est à cause de leur ingérence et leur entêtement que nous sommes dans ce chaos. On est tous là pour l'Egypte, peu importe ce que peuvent raconter certains médias.» Mais cette vague anti-islamiste a dépassé le cap de l'Egyptien ordinaire, devenant le centre du débat entre politiques et académiciens qui défendaient à tout prix la démocratie à la chute de Moubarak, à l'image du romancier Alaa Al Asswani, dont la photo le montrant en train de voter, a fait le tour des médias sociaux. Ordures Il est désormais devenu périlleux de vouloir exprimer un «non» à cette Constitution dans un climat de répression, depuis que le gouvernement chasse les récalcitrants et les affiches «Naam li Dustour» (oui à la Constitution) inondent le pays ainsi que les chaînes de télévision nationales. Ibrahim et Mohamed originaires d'Assouan et gardiens d'immeuble dans la banlieue chic de Zamalek au Caire mènent un débat houleux avec le buraliste du coin. «Qui t'a dit que nous soutenons tous l'armée ? C'est faux, c'est ce que vous voulez voir», lâche Mohamed en ajoutant : «Je n'irais pas par principe, je ne suis ni avec Al Sissi ni avec Morsi, je suis un homme qui bataille pour nourrir ses gosses, quand j'ai voté en 2012, on a mis ma voix dans les ordures, alors c'est inutile de le refaire maintenant au retour de la dictature.» Mais cette répression qui visait au tout début l'éviction radicale des islamistes et la confrérie des Frères musulmans qui ont été déclarés par la suite «organisation terroriste» s'est finalement répandue jusqu'à ceux qui ont essayé de contester l'autorité de l'armée, en particulier les jeunes révolutionnaires de 2011, dont plusieurs leaders ont été emprisonnés pour avoir dénoncé une loi restreignant le droit de manifester. Plus de vingt personnalités publiques, dont le journaliste-écrivain progressiste Amr Hamzaoui, sont interdites de quitter le territoire égyptien pour avoir porté atteinte à l'institution juridique et feront l'objet d'investigation dans les jours qui viennent. Malgré les dispositifs musclés de sécurité déployés par les autorités égyptiennes qui ont déployé environ 160 000 soldats et près de 200 000 policiers dans tout le pays, des affrontements ont eu lieu dans certaines zones de la capitale durant des manifestations pro-Morsi, tandis qu'une bombe de faible puissance a explosé au Caire avant l'ouverture des bureaux de vote. Durant les deux jours, plus de 350 personnes ont été arrêtées pour avoir perturbé les opérations de vote, selon le ministère de l'Intérieur. A l'heure actuelle, le ministère de la Santé a établi un bilan de plus d'une dizaine de morts en 48 heures.