Les Egyptiens ont commencé à voter mardi à l'occasion d'un référendum sur une nouvelle Constitution, scrutin dont le nouvel homme fort du pays, le général Abdel Fattah al Sissi, pourrait se servir comme d'un tremplin vers la présidence. Cette consultation, qui se prolongera mercredi, est le premier vote organisé en Egypte depuis que l'armée a évincé en juillet le président démocratiquement élu un an plus tôt, Mohamed Morsi. Première étape de la "feuille de route" présentée par l'armée après son coup de force, la Constitution a été rédigée par une commission dont étaient exclus les islamistes, sur fond de répression implacable contre les Frères musulmans, dont était issu Mohamed Morsi, de violences et d'attentats. Chef d'état-major de l'armée, le général Sissi, dont le portrait orne de nombreux bâtiments, a lié à demi-mot sa candidature à l'élection présidentielle, qui pourrait se tenir en avril, au "mandat populaire" que lui conférerait, selon lui, une forte participation et une large - et prévisible - victoire du "oui" à la Constitution. A 59 ans, le général Sissi est présenté par ses partisans comme un sauveur, seul en mesure de ramener le calme et la stabilité dans le pays après trois années de chaos consécutives à la révolution ayant emporté Hosni Moubarak, lui-même issu de l'armée. "C'est un homme à poigne", dit de lui Oum Sami, habitante d'un bidonville du Caire, résumant le sentiment de nombreux Egyptiens qui appellent de leurs vœux un retour des militaires au pouvoir même si le prix à payer est un recul des libertés acquises en 2011. "SISSI EST MON PRESIDENT" "La situation ne nous plaît pas, mais nous allons voter 'oui' et si Dieu le veut, les choses iront mieux", ajoute-t-elle avec fatalisme. Patientant dans la file d'attente formée devant un bureau de vote du Caire, Gamal Zeinhom, un électeur de 54 ans, confirme : "On est ici pour deux raisons : éradiquer les Frères (musulmans) et inscrire nos droits dans la Constitution." "Que Dieu apporte la victoire à Sissi", a crié un autre homme après avoir voté, en brandissant son doigt teinté d'encre pour montrer qu'il avait accompli son devoir. Certains affirment qu'ils n'ont même pas lu le projet de Constitution avant de voter "oui". La télévision d'Etat a diffusé des images du général Sissi, en tenue militaire de couleur sable et lunettes de soleil sur le visage, inspecter les opérations de vote dans un bureau. Le ministère de l'Intérieur a fait état d'une forte participation. "Il n'y a eu aucune stabilité depuis trois ans. C'est le chaos. Nous venons ici pour choisir quelque chose de meilleur pour le pays", explique Nayer al Masri, ingénieur télécoms de 35 ans interrogé au milieu d'une file d'attente de centaines d'hommes dans le quartier résidentiel de Zamalek. Non de loin là, une affiche sur un mur montre le chef de l'armée à côté d'un lion et proclame "Sissi est mon président". Pour s'assurer la mobilisation des électeurs, les autorités ont permis aux Egyptiens de voter là où ils se trouvent, ce qui leur évite d'avoir à rentrer dans les villes où ils sont enregistrés sur les listes électorales. Face aux interrogations suscitées par cette mesure pour la transparence du vote, le pouvoir a assuré que les bases de données électroniques permettraient d'éviter les fraudes, le bourrage des urnes et les votes multiples qui étaient la norme à l'époque où Hosni Moubarak était président. Ancien candidat à la présidentielle, l'homme de gauche Hamdine Sabahi n'a pas été autorisé à voter car les autorités l'ont inscrit dans un bureau de vote en Arabie saoudite, a dit son mouvement, le Courant populaire. MOUBARAK VEUT VOTER Détenu dans un hôpital militaire du Caire dans l'attente de son nouveau procès pour la mort de manifestants en 2011, Hosni Moubarak a pour sa part demandé à pouvoir voter, a dit son avocat, Farid el Dib, à Reuters, en précisant qu'il souhaitait "bien sûr" voter "oui". Le gouvernement a annoncé un déploiement massif de policiers et de militaires pour garantir la sécurité des électeurs. Déclarés "organisation terroriste" par les autorités le 25 décembre, les Frères musulmans ont appelé à boycotter le référendum. Discrédités par leur année au pouvoir et par la campagne de propagande qui, depuis leur éviction, les a accusés de tous les maux de l'Egypte, ils n'ont toutefois plus le poids qui leur avait permis de remporter tous les scrutins depuis la chute d'Hosni Moubarak. Leurs partisans ont organisé de petites manifestations dans plusieurs villes. L'un d'eux a été tué par balles lors de l'un de ces rassemblements à Beni Suef, à 110 km au sud du Caire. Au Caire, une bombe de faible puissance a explosé juste avant le début de vote près du tribunal du quartier populaire d'Imbaba, mais aucune victime n'a été signalée. Pratiquement aucune force politique n'a appelé à voter "non" au référendum. Les seuls qui s'y sont risqués, des militants du parti L'Egypte forte, dirigé par un dissident de la confrérie, ont été arrêtés pour possession d'affiches et de tracts, selon les organisations des droits de l'homme. Si elle est adoptée, la nouvelle Constitution renforcera l'indépendance de l'armée, s'affranchira des ajouts d'inspiration islamiste figurant dans le texte actuel et interdira entre autres les partis politiques sur des bases religieuses. La commission internationale des juristes (ICJ) considère que ce texte comporte de graves imperfections. "La campagne référendaire s'est déroulée dans un contexte de peur, d'intimidation et de répression, ce qui remet en cause l'intégrité de l'ensemble du processus", écrit cet organisme basé à Genève dans un communiqué.