C 'est un recueil de poésie de composition de l'auteur. Amokrane Rachid est mathématicien de profession, co-auteur de manuels scolaires et parascolaires de mathématiques. Il a enseigné à Médéa, Bouzaréah et Alger, avant de prendre sa retraite en tant qu'inspecteur général de mathématiques. Son penchant pour la poésie et la littérature d'une manière générale ne l'a jamais quitté. Les poèmes de Rachid sont un cri de colère si intense qu'il évolue vers le délire. Il en est ainsi de la douleur qu'un supplicié finit par ne plus ressentir tellement le mur de la souffrance est dépassé. A longueur de poésie, l'auteur dépeint la situation que le pays a vécue durant les «paquets» d'années noires. D'entrée de jeu, Rachid Amokrane présente sa dédicace et la présentation de son recueil en poèmes. Il nous donne l'impression de ne pas vouloir perdre un seul espace des quarante-quatre poèmes étalés sur 189 pages et qui se soutiennent les uns les autres, comme pour dénouer le jeu de la colère et du délire entre lesquels la raison se fraye péniblement un chemin. Dans le long poème intitulé Introspection, le poète peint le récent intervalle obscur du pays au cours duquel les forces du mal ont usé de «mots grandiloquents dont-ils font étalage», car, écrit-il, «c'est dans l'anarchie que s'expriment tous les ressentiments». Il regrette cependant que la classe intellectuelle n'ait pas massivement exprimé son ressentiment à la mesure de son statut. Pour lui, les intellectuels se sont éclipsés du champ de la bataille idéologique. Il ne ménage pas également les zélateurs qui, dit-il, «comblent leurs maîtres de courbettes et de rondeurs». Quant à la souffrance, elle est laissée aux autres. Il est vrai, écrit-il, que «la tristesse de l'hiver n'est perçue que par ceux qu'il fait souffrir… Mais les longs parcours voilés de brume finiront solitaires aux pieds de la conscience…». Tout au long de sa prosodie, Amokrane n'oublie pas de rendre hommage à l'Ecole normale de Bouzaréah, où il entame ses classes d'éducateur en 1959. Hocine Sahnoun, dans sa préface, note que «les thèmes abordés sont divers, riches de sens, à la mesure de la culture de ce normalien et des expériences multiples qu'il a vécues». Plus loin, le préfacier souligne que le recueil d'Amokrane Rachid est «un jeu de mots qui se taquinent, se télescopent et s'articulent avec plein de significations, de rimes très variées et beaucoup de rythmes». En cela, le préfacier n'omet pas de souligner à ce propos que la formation mathématique de Rachid n'est pas étrangère à la précision des termes, à leur concision, ainsi qu'à leur force de persuasion et d'évocation, car mathématique et poésie y célèbrent une parfaite union. En effet, étrangement, on constatera depuis la plus lointaine Antiquité que derrière presque chaque homme de science se blottit une personne façonnée par le monde de la littérature et les arts. Leur pointillisme scientifique est-il à l'origine de leur penchant littéraire ? Mais des spécialistes en psychopédagogie pensent plutôt que le monde littéraire, des arts et de la culture en général, habite l'enfant dès son jeune âge et devient un facteur précoce de développement de ses capacités qui le prédisposent à entrer dans le monde du savoir scientifique. Presque tous les scientifiques connus sont aussi des hommes de lettres et des arts. Il en est ainsi de Leonard de Vinci, physicien, inventeur et ingénieur, également auteur de célèbres peintures artistiques comme La Joconde et La Cène. Galilée, le pionnier des mathématiques appliquées, fut un érudit de musicologie. Avicenne (Ibn Sina), de l'ancienne Perse, fut médecin, savant, astronome et homme politique, mais aussi auteur d'ouvrages de renom en philosophie. Omar Khayam, brillant mathématicien et astrophysicien, a légué à l'humanité, parmi ses ouvrages littéraires, le célèbre recueil de poésie intitulé Les Quatrains, d'une valeur philosophique encore inépuisée toujours à découvrir. Tout près de nous, Tahar Djaout, ce mathématicien invétéré devint un excellent écrivain, poète et journaliste de renommée mondiale. Les écrits de leurs genres littéraires respectifs sont aussi précis que leurs conclusions scientifiques. L'équation littérature/science et science/littérature est-elle alors inversement alternative ? Dans tout son panoramique poétique, Rachid Amokrane use de la troisième personne du singulier pour s'identifier comme pour se placer lui aussi en perspective et sujet à la critique. D'habitude, nos poètes utilisent la première personne du pluriel. Ce choix du singulier n'est-il pas lié au souci de la singularité que veut s'imposer le poète ? Mais que serait en réalité une vie sans la remise en cause de soi ? L'olivier évoqué dans le poème Poste vie et par lequel se termine le recueil semble être le témoin éternel du poète puisqu'il désire être enterré au pied du légendaire arbre séculaire. Voilà pourquoi en conclusion de sa courte préface, Sahnoun, après avoir disséqué le recueil, alloue qu'on peut en effet être profond en peu de mots ?