Pas tous, il est vrai, puisqu'il y avait des de Bollardière qui méritent notre respect. Aussaresses, qui a avoué avant sa mort que sur directives de Massu et des politiques qui couvraient la répression, il avait bien, comme pour Ali Boumendjel, Larbi Ben Mhidi et combien d'autres donné l'ordre d'assassiner Maurice Audin. Le combat mené depuis le milieu du siècle dernier pour faire éclater la vérité n'aura pas été vain, même si des dizaines de milliers d'autres cas attendent encore, non leur confirmation, puisqu'elle ne fait pas de doute, mais reconnaissance aux yeux des générations qui n'ont pas vécu cette terrible époque. L'intérêt de «l'aveu» d'Aussaresses s'il en est un, est peut-être moins dans la revendication du crime commis que dans le commentaire qui l'accompagnait en affirmant à la veille de sa mort au journaliste Jean-Charles Deniau : «On l'a tué au couteau pour faire croire que c'étaient les Arabes qui l'avaient tué.» En plus du fait que nous avons eu affaire là à une sorte de remake des bombes de la rue de Thèbes à la Casbah d'Alger, ce ne sont pas de vains mots dits par le bourreau de Maurice Audin et de nos autres compatriotes et qui par ailleurs avec la division de parachutistes dirigée par Massu venait de s'exercer à combattre d'autres Arabes, en Egypte (après la nationalisation du Canal de Suez) d'où ils avaient été «rapatriés» sans gloire en Algérie, à quelques mois de la Bataille d'Alger. Nous sommes en fait au cœur de l'idéologie des dominants de l'époque et de leurs fantasmes morbides. Toute une production pseudo-académique avait en effet été concoctée après le débarquement de 1830 et notamment dans le cadre de l'Université algéroise de l'époque, «l'Ecole d'Alger» comme on disait, pour légitimer «l'œuvre civilisatrice» en stigmatisant les Nord-africains considérés comme des criminels «ataviques». En usant des stéréotypes racistes en vogue à l'époque, la littérature pseudo-savante pérorait avec zèle sur la manie des Arabes «à user du couteau» pour n'importe quel prétexte.Dans une tentative de déconstruction de l'idéologie coloniale, Frantz Fanon s'y était intéressé dans Les Damnés de la terre, en notant : «L'Algérien, vous dira-t-on, a besoin de sentir le chaud du sang, de baigner dans le sang de la victime». L'administration française et les services de répression étaient formatés en conséquence pour gérer la société algérienne. En 1958 encore, le 5e bureau de l'état-major français créé au cours de la Guerre de libération sentant venir le dernier quart d'heure, devait réajuster une approche désormais improductive dans un manuel de Formation critique et morale du contingent, qui exprimait cependant une sorte de chant du cygne de la psychologie et de l'ethnologie coloniales. On pouvait y lire encore que «le Français musulman est sentimental… impulsif… (au) caractère rancunier… (ayant un) amour du gain… orgueilleux, parfois arrogant… croyance dans les puissances surnaturelles et occultes… mémoire extraordinaire qui entraîne chez lui un amoindrissement de la faculté de raisonner et un manque d'imagination…manque d'esprit critique, crédule il n'invente pas et se contente d'imiter». Les atrocités chez nous de la décennie noire auront sans doute contribué à faire renaître des stéréotypes qui peuvent donner l'illusion que tout a été toujours nickel dans l'histoire des autres sociétés et que dans ce domaine aussi nous serions «exceptionnels». La récente plaisanterie parisienne du président Hollande à propos de son ministre de l'Intérieur revenu «sain et sauf» d'Alger peut participer à ce jeu, même si des données plus ou moins fortuites pourraient expliquer aussi cette indélicatesse vis-à-vis des Algériens exprimée devant une association à vocation communautaire. Toujours est-il, et malheureusement pour tous que contrairement à Manuel Valls, Maurice Audin et les autres militants de la cause algérienne n'auront pas eu cette chance face aux couteaux des sinistres Massu, Aussaresses et autres émanations de la «colonisation positive».