De mémoire de Libanais, aucun rassemblement n'a réuni autant de monde que celui d'hier à la mémoire de l'ancien Premier ministre libanais assassiné il y a exactement quinze jours, malgré l'interdiction décidée dimanche par le gouvernement libanais. Plus qu'un hommage ou une marche funèbre, c'est un véritable défi lancé au pouvoir libanais et à la Syrie appelée à retirer son armée du Liban. En effet, plus de 20 000 Libanais se sont rassemblés hier sur la place des Martyrs au cœur de Beyrouth, à l'appel de l'opposition, selon l'estimation d'un officier de l'armée libanaise, mais bien plus jusqu'à 50 000 personnes, selon la télévision LBCI et des témoins. L'autre particularité de ce rassemblement, et comme pour les funérailles de Rafic Hariri, les manifestants d'hier représentaient les différentes régions et communautés libanaises, et tous portaient le drapeau national rouge et blanc frappé du cèdre. La place des Martyrs, rebaptisée « place de la Liberté » par les manifestants, était noire de monde au moment où le Parlement entamait un débat de politique générale crucial pour l'avenir du gouvernement et du pays. Dans une déclaration lue par haut-parleur, l'un des chefs de l'opposition libanaise, le leader druze Walid Joumblatt, a salué les manifestants rassemblés. « Tous ensemble, nous voulons un Liban souverain et indépendant, le départ des services de renseignement syriens et surtout la vérité : qui a tué Rafic Hariri ? », a-t-il déclaré. « Nous voulons l'amitié du peuple syrien mais nous voulons le départ de l'armée syrienne. Nous leur disons : “partez” pour que nous puissions construire un Liban indépendant et démocratique », a-t-il ajouté. « Appliquez les accords de Taef, même en retard, mais partez », a-t-il dit à l'adresse des Syriens. Les autorités syriennes ont annoncé jeudi qu'elles s'apprêtaient à appliquer l'accord de Taef en vertu duquel elles auraient dû redéployer leurs troupes dans la plaine libanaise de la Békaa depuis 1993, mais cinq jours après cette annonce aucun mouvement de troupe n'était signalé. L'appel au rassemblement « de soutien au soulèvement pour l'indépendance » est soutenu par l'opposition libanaise qui demande le retrait des forces syriennes du pays. En effet, la séance du Parlement libanais s'est ouverte comme prévu par une minute de silence à la mémoire de Rafic Hariri, assassiné le 14 février. Le président du Parlement, Nabih Berri, a indiqué que l'Assemblée s'était portée partie civile dans l'affaire de l'attentat qui a coûté la vie à Hariri, qui a grièvement blessé le député Bassel Fleyhane et dans celle de l'attentat auquel a échappé l'ex-ministe Marwan Hamadé en octobre 2004. Il a ajouté : « Le Parlement libanais, le peuple libanais tout entier veulent savoir qui a tué Rafic Hariri. » « Mais nous exhortons toutes les parties à ne pas lancer des accusations sans fondement qui risquent de diviser le peuple libanais et de porter atteinte aux relations du Liban avec son environnement », a-t-il ajouté. L'opposition antisyrienne, qui se prépare à déposer une motion de défiance contre le gouvernement, a rejeté sur le pouvoir libanais et la Syrie la responsabilité de l'attentat contre Hariri, qui a fait 17 morts. Des questions se posent avec insistance : pourquoi la Syrie et maintenant très précisément, alors que ce pays a été reconnu en 1996 comme un acteur majeur au regard de l'accord quadripartite (Hezbollah libanais, Israël, Etats-Unis, Syrie) qui avait mis fin à une situation de crise grave ? Et qui, en fin de compte, avait intérêt à tuer Rafic Hariri ? Les Libanais mènent l'enquête, et l'ONU la sienne sans que l'on sache si une réponse sera apportée à des questions aussi essentielles. Une chose est certaine : la pression de la rue a fini par payer. Au moment où nous mettons sous presse, nous avons appris l'annonce par le Premier ministre libanais pro-syrien, Omar Karamé, de la démission de son gouvernement devant le Parlement. La réunion de l'Assemblée libanaise a été organisée à la demande des députés de l'opposition qui font assumer au gouvernement la responsabilité de l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, le 14 février. Les dizaines de milliers de manifestants rassemblés depuis dimanche soir sur la place des Martyrs, au centre-ville de Beyrouth, à quelques centaines de mètres du Parlement, ont aussitôt laissé éclater leur joie, entonnant l'hymne national et agitant les drapeaux.