Il est de coutume d'évoquer avec force le climat des affaires et comment il influe négativement sur la création et le développement de nos entreprises publiques et privées. De nombreux chantiers complexes nous attendent pour domestiquer l'ensemble des contraintes qui brident le secteur économique : foncier, financement, bureaucratie, qualifications humaines, données statistiques et le reste. Ces problèmes sont réels et importants : tout le monde le reconnaît y compris les pouvoirs publics eux-mêmes. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit dans cette analyse. Il est intéressant de mettre aussi le nez dans les modes de fonctionnement de nos entreprises, afin de savoir si les choses s'améliorent de ce côté-là. Les spécialistes en management savent que les réussites des entreprises dépendent de nombreux facteurs dynamiques et complexes en interaction avec des situations particulières. Mais il y a des variables qui priment le reste. Le facteur-clé de succès qui rassemble le plus de consensus demeure le développement et l'utilisation des compétences des ressources humaines et surtout leur intelligence. Certes, nous ne pouvons pas mettre toutes les entreprises dans le même panier. Nous n'avons pas de statistiques très précises sur la plupart des pratiques managériales. Toute estimation serait subjective. Mais de par les dizaines de diagnostics d'entreprises publiques et privées et les nombreux mémoires et thèses de doctorat réalisés, nous estimons avec beaucoup de précautions et de modestie qu'entre 10 à 15% ont développé des procédés de gestion compatible avec une haute compétitivité. C'est-à-dire qu'elles peuvent, avec un meilleur climat national des affaires, protéger leurs marchés et exporter. Mais le reste ? Le problème de fond Des études très récentes menées avec beaucoup de rigueurs méthodologiques révèlent des pratiques très inquiétantes. Elles confirment les craintes que nous avons vis-à-vis du tissu d'entreprises dont nous disposons, exception faite des entreprises performantes que nous avons évoquées. Nous avons une situation où l'environnement de l'entreprise est problématique et constitue une source importante de réduction de la compétitivité. Mais nous avons également d'énormes inquiétudes de management interne au sein de nos entreprises économiques et nos institutions à but non lucratif. Le problème de ces dernières est très spécifique. Elles croient qu'elles ont peu besoin de management et de pratiques de rationalités. Elles se trompent lourdement. Elles ont besoin de plus et non de moins d'inspirations des bonnes pratiques nationales et internationales. La Géorgie a pu grandement améliorer son classement en matière de climat des affaires grâce à une forte volonté politique et un transfert intelligent des meilleures pratiques mondiales. Mais le cas des institutions à but non lucratif est quelque peu particulier. Nous allons l'approfondir ultérieurement. Mais lorsque nous avons un environnement des affaires défavorable, couplé à des pratiques d'entreprises déficientes, le défi devient très problématique. Pour se permettre de dire que nos entreprises sont généralement sous gérées, il faut prendre un échantillon suffisamment grand et analyser des dizaines de paramètres. Par ailleurs, il faut les situer par rapport aux pratiques et aux performances internationales. C'est ce qu'ont fait beaucoup de chercheurs algériens dans différentes thèses ou PNR (plan national de recherche). Les résultats sont plutôt décourageants. Nous ne pouvons pas présenter exhaustivement les données et leurs ramifications. Ceci exigerait plus de place et plus de temps. Prenons une seule variable : le développement humain. Déjà, les ressources humaines viennent frapper à la porte de nos entreprises avec des insuffisances théoriques et pratiques qui trouvent leurs origines dans le mode de management de nos universités. Il y a deux réalités dans ce domaine. Il est vrai que les sortants connaissent des insuffisances notoires. Cependant, la plupart ont une base qui peut leur permettre de se recycler et avec beaucoup d'efforts se hisser au niveau international : ce qui arrive à beaucoup d'entre eux qui partent à l'étranger. Dans cette division du travail, on a considéré que l'entreprise ferait un effort surhumain pour mieux qualifier ses ressources. L'essence du problème Les entreprises reçoivent des ressources humaines peu formées et peu qualifiées mais grandement perfectibles. Que font elles pour les hisser aux normes de qualifications mondiales ? La réponse est presque rien. Mettons de côté une infime minorité qui constitue nos meilleures entreprises ; celles qui réussissent bien grâce à des pratiques différentes : investir massivement dans le développement humain. Une étude très rigoureuse et très récente montre que moins de 15% des dirigeants des entreprises croient que la formation améliore la performance de leurs entreprises. Moins de 25% disposent d'un budget de formation. Le reste, 75%, ne consacrent presque rien au développement de leurs ressources humaines. Comment peut-on ignorer un élément aussi important, considéré ailleurs comme le facteur-clé de succès n°1 de la réussite des entreprises et prétendre défendre ses parts de marché et exporter ? On demande à l'Etat de faire des efforts, de réduire les taxes, d'améliorer l'environnement des affaires alors que le management interne est aussi médiocre que les pratiques administratives dont le pays est victime. Par ailleurs, moins de 3% des dirigeants dont les entreprises s'engagent dans la mise à niveau se forment eux-mêmes. Ils semblent dire à leurs subordonnés : «Formez-vous parce que nous, créateurs d'entreprises, nous avons respiré la science en marchant». Jack Welch, ancien PDG de la General Electric, neuf fois primé meilleur manager au monde et considéré par certaines revues comme le meilleur manager du XXe siècle, aime préciser qu'il se forme 45 jours par an. Trente jours, disait-il, c'est la norme et «quinze jours en plus parce que nous sommes dans des domaines technologiques très changeants et pour donner l'exemple à mon personnel». Qu'est-ce que c'est que ce complexe bizarre qui consiste à gérer une entreprise au XXIe siècle tout en refusant de se former ? Dans quelques années, la plupart de ces entreprises sera vite balayée par des entités nationales ou des entreprises internationales performantes. Ces mêmes dirigeants continueront à blâmer l'environnement sans se remettre en cause, et continueront à clamer haut et fort que «l'enfer c'est les autres».