Malgré la résurgence des réflexes protectionnistes un peu partout dans les cinq continents, l'économie demeure dans son ensemble mondialisée et globalisée. Par conséquent, toute entreprise baigne dans un environnement compétitif, turbulent et incertain. Elle ne peut aspirer à la pérennité qu'en se dotant d'un management de classe mondiale. Tout analyste de la situation économique nationale ne peut manquer de relever les nombreux obstacles auxquels font face nos managers : ressources humaines peu qualifiées, hyper centralisation et bureaucratisation, système financier inerte, problèmes du foncier industriel, etc. Cependant, un manager résolu élabore en interne un management des plus efficaces. Il doit prendre toutes les mesures d'efficience. Quelques rares entreprises l'ont fait dans notre pays ; ce qui devrait inciter le reste à en faire autant. Les contraintes extérieures sont réelles, lourdes, pénalisantes et parfois source de graves déstructurations financières. Mais nous les avons maintes fois traitées et les analyserons encore ultérieurement. Le manager est plus crédible s'il met en place tous les mécanismes d'une saine gestion et par la suite réclame un environnement des affaires plus incitatif. Mais lorsque son entreprise recèle des lacunes criantes, ses revendications apparaissent inappropriées. Les facteurs-clés de succès Beaucoup de nos analystes et de nos penseurs ont, dans leurs écrits, développé chez nos managers des complexes d'infériorité vis-à-vis des systèmes de gestion pratiqués ailleurs. La classe politique des pays arabes a lamentablement échoué dans ses tentatives de développement.Tout au plus, certains pays se sont extraordinairement modernisés sans se développer. Les décideurs ont volontairement ou pas diffusé ce complexe à leur population. Nous avons un petit échantillon d'entreprises de classe mondiale déjà dans notre pays. Elles ne sont pas nombreuses, certes, mais leur existence prouve que malgré toutes les difficultés, les contraintes et parfois même des embûches volontaires, et sous certaines conditions, on peut créer une entreprise de classe mondiale. Bien évidemment, nous allons donner quelques orientations générales et ne pas prétendre à l'exhaustivité. De nombreuses facettes seront occultées. Mais nous évoquerons l'essentiel de ce qui constitue une entreprise de premier rang. En premier lieu, les entreprises de l'élite mondiale sont focalisées sur les facteurs-clés de succès universel, qui sont les fameux trois i (intelligence humaine, information et innovation). Tout en gérant judicieusement la productivité (gestion de la production, systèmes d'incitation, pratiques de gratification, de reconnaissance, respect, etc.) elles arrivent à mobiliser les énergies et l'intelligence de tous ses membres pour s'améliorer dans tous leurs compartiments. Un des critères les plus importants d'évaluation des gestionnaires à tous les niveaux est le nombre de suggestions émises par personne par an ainsi que leur taux de mise en exécution ; ceci s'ajoute à l'établissement d'objectifs vérifiables et concertés au sein des structures-clés. Beaucoup d'entreprises avaient démarré des activités qui produisent des milliards de dollars de chiffres d'affaires sur la base de simples suggestions de travailleurs en bas de l'échelle. Elles ont compris que les travailleurs, à tous les niveaux, ne sont pas moins intelligents que le PDG. Ils peuvent contribuer également et surtout par leur cerveau (qu'il convient de développer et d'utiliser par la formation et les travaux en groupe) à améliorer leurs performances. Les entreprises du Tiers- Monde considèrent que seul le premier responsable, ou tout au plus, un petit cercle de cadres peuvent apporter un plus.En second lieu, les entreprises leader investissent énormément pour moderniser et faire usage d'un système d'information de gestion des plus modernes. Dans ce contexte, l'information externe doit être privilégiée : un suivi permanent et régulier des motivations clients, des pratiques des concurrents nationaux et internationaux et une réactivité rapide aux mutations décelées est incontournable pour créer une entreprise de rang mondial. Il est décevant de voir que dans beaucoup de nos grands groupes publics et privés, nous ne trouvons dans les organigrammes ni direction, ni sous-direction, ni même département chargé de l'information, ou de l'intelligence économique. L'information est le second facteur-clé de réussite des entreprises. La structure qui la gère devrait être positionnée très haut. Le processus d'innovation se gère. Il est intégré dans la politique générale de l'entreprise. Il devient une seconde nature chez les entreprises performantes. Tous les mécanismes convergent pour améliorer cette fonction-clé. Au début on commence par le «reverse engineering» c'est-à-dire décortiquer les produits des concurrents pour trouver des pistes d'amélioration des siens. C'est une opération qui est à la limite de la légalité mais la vaste majorité des grands groupes mondiaux la pratiquent. Par la suite, les entreprises seraient capables de développer elles aussi leurs propres produits en s'appuyant surtout sur le savoir-faire de leurs scientifiques. Des dispositions universelles Depuis longtemps, le management a développé des principes très utiles à la conduite des affaires. Certains préceptes sont primordiaux pour construire une grande entreprise. Le premier responsable doit s'entourer des meilleurs compétences possibles qui à leur tour vont recruter les personnes les plus efficaces et ainsi de suite. L'entreprise ne peut exceller que si elle absorbe autour d'elle tout ce qui est excellence en ressources humaines. Dans le contexte algérien de sous-qualification de ressources humaines, l'entreprise n'a d'autre choix que de recycler au maximum les meilleurs membres qu'elle peut recruter en plus d'importer de l'intelligence. Beaucoup de nos entreprises trouvent normales d'importer des équipements de qualité, mais pas de la matière grise permanente alors qu'elle est beaucoup plus rentable. On a un fameux adage en management qui stipule que «Le meilleur manager est celui qui sait se rendre inutile». Il recrute les meilleurs. Il met en place un système de planification, une organisation, une gestion de la qualité, une concertation de tous, un grand projet, un mode de motivation performant et un processus de contrôle de qualité ; et lorsqu'il n'est pas présent tout fonctionne à merveille. Il a construit une horloge qui fonctionne d'une manière autonome. Il fait confiance. Il décentralise mais avec un contrôle performant et motivant. Mais le manager peut faire plus pour que son horloge fonctionne bien. Il peut donner l'exemple par son comportement : se former lui-même, ne pas prendre des primes faramineuses lorsque son entreprise va mal, descendre sur terrain périodiquement pour s'informer des problèmes d'entreprise à la source, exiger une qualité sans faille, etc. Le manager efficace diffuse une vision grandiose et la fierté d'y travailler pour sa réalisation : par exemple se fixer comme objectif de figurer parmi les dix meilleures entreprises dans son domaine à l'horizon 2030. Ce sont les défis grandioses qui sont la source d'inspiration et de réussite des grands groupes mondiaux. Par ailleurs, les meilleures entre prises s'améliorent toujours partout et dans tous les domaines. Il est relativement facile de savoir si vous serez parmi les meilleures entreprises mondiales dans le futur. Le premier test est celui de la gestion des trois i (intelligence, information, innovation). Le second est celui du traitement de vos ressources humaines : les considérez-vous comme des annexes de l'outil de production ou comme des êtres humains possiblement plus intelligents que vous et par conséquent on utilise aussi bien leurs muscles que leur cerveau ? Troisièmement, est-ce que vous êtes focalisé sur le marché et les clients pour coller parfaitement à leurs besoins ? Quatrièmement, est-ce que vous améliorez toujours et partout tous vos processus ? Par exemple, si votre système de gestion des stocks est demeuré absolument le même ces trois dernières années, il y a 99% de chances que vous ne ferez pas parti des meilleures entreprises mondiales dans les dix ou vingt prochaines années. Conclusion Nous avons énuméré les pratiques les plus importantes qui caractérisent les entreprises qui se sont hissées au niveau des meilleures firmes mondiales. Nous avons évacué beaucoup d'autres aspects. Trop de managers des pays sous-développés, complexés par leurs gouvernements ou leurs économistes, pensent que leurs entreprises ne peuvent pas accéder à un tel rang. Mais nous avons les preuves du contraire : Embrayer au Brésil, MittalSteel en Inde, Huawei Technologies en Chine ont réussi à le faire. Alors on se réfugie derrière la sempiternelle remarque que ces disposition sont théoriques, qu'elles ne s'appliquent pas à notre contexte et à notre culture. Quelle belle façon de se dédouaner ! Ces «théories» sont des pratiques dans les entreprises qui réussissent. Et on en trouve dans toutes sortes de pays et de cultures. Il y a des environnements plus contraignants que d'autres. Mais le manager a pour responsabilité d'utiliser toutes les marges de manœuvre à sa disposition. Ce n'est qu'après qu'il est en droit de critiquer l'environnement. Un jugement sur l'extérieur passe mieux si en interne nous avons créé un superbe climat de confiance, de décentralisation, de motivation, de concertation, de contrôle responsable, de développement humain et de mobilisation de tous autour d'un projet ambitieux. Nous avons en Algérie très probablement une poignée d'entreprises qui sont à ce niveau-là. Il leur manque un environnement externe assaini pour devenir des entreprises de classe mondiale. Mais beaucoup d'autres ont intérêt à les imiter et le plus rapidement possible.