Mai - décembre. Huit mois. Période durant laquelle 320 pères de famille, qui ont travaillé avec probité durant des dizaines d'années à la Sonatro, n'ont pas perçu de salaire. Huit mois, presque un an, durant lesquels ces pères de famille, nombreuse dans la plupart des cas, sont restés, et restent toujours, sans revenu aucun. Vacances, rentrée scolaire, rentrée universitaire, Ramadhan, Aïd El Fitr, Aïd El Adha. Autant de fêtes et d'évènements qui se sont transformés en cauchemars, en humiliations pour eux. Ces employés de la Société nationale des travaux publics ont été licenciés du jour au lendemain, sans ménagement et en toute illégalité. « Nous avons été virés sans préavis, sans indemnités, sans droits de congé ou de récupération, et sans solde de tout compte », s'insurge Brahim Bouzina, secrétaire général du syndicat Sonatro et secrétaire général de la Fédération des travaux publics, ajoutant : « C'est non seulement contraire à la loi, mais aussi inhumain. » Certaines des familles que faisait vivre cette entreprise se retrouvent d'ailleurs dans une précarité alarmante. « Déjà que nos salaires nous permettaient à peine de vivre décemment, alors imaginez des mois entiers sans recevoir un seul sou », s'attriste-t-il. Il poursuit : « Pas d'argent pour scolariser dignement mes enfants. Ceux en âge d'aller à l'université ont renoncé à leurs études. Ils se sont débrouillés des emplois afin de subvenir aux besoins élémentaires de la famille. » Car, en plus d'être privés de salaire, les travailleurs ont vu leurs allocations familiales suspendues, ainsi que leurs droits aux remboursements par la sécurité sociale, ou encore à toutes autres aides sociales. Licenciés pour avoir réclamé leurs droits Comment en sont-ils arrivés là ? « Ils avaient tout simplement demandé leurs droits », de répondre M. Bouzina. En avril dernier, ces employés de la Sonatro, qui traversait une crise des plus aiguës, ont organisé un mouvement de revendication afin de contester la gestion catastrophique et occulte de l'entreprise. Ils demandaient le départ du directeur de la Sonatro, et ce, pour donner une chance à l'ancien mastodonte de l'industrie algérienne de renaître de ses cendres. Décriant les conditions de travail intenables auxquelles ils étaient confrontés, ils exigeaient surtout le versement de six mois de salaire impayés, de novembre 2008 à avril 2009. Les représailles ne se font pas attendre. Ils reçoivent, des mains d'un huissier de justice, des notifications de radiation. Motif : abandon de poste. « Ce n'est rien d'autre qu'une mesure antiréglementaire, puisque la décision a été prise par une commission ad hoc. Cette dernière n'est prévue ni par le règlement intérieur ni par la convention collective », indique M. Bouzina. « Des employés, qui cumulent pour la plupart une vingtaine d'années, si ce n'est plus, de bons et loyaux services au sein de cette entreprise, se voient congédiés sans ménagement aucun. Tout cela parce qu'ils demandaient à percevoir leur dû, à toucher le fruit de leurs durs labeurs. Au lieu de les recevoir, de parlementer et de trouver un terrain d'entente qui servirait avant tout les intérêts de l'entreprise, les responsables les chassent », plaide-t-il. Mais la précarité, tant financière que professionnelle, guette aussi les employés qui n'ont pas fait les frais des foudres de la direction de la Sonatro, et qui exercent toujours, « du moins officiellement ». Ils sont près d'un millier à être « pris en otages par les responsables de l'entreprise », raconte M. Bouzina. Il poursuit : « 370 d'entre eux ont même été mis en "récupération par anticipation", aberration inventée par la direction pour camoufler sa faillite. » L'entreprise est viable pour peu que des managers intègres la prennent en main Les autres se présentent donc tous les jours dans les locaux de l'entreprise moribonde, pour « tourner en rond ». Et il semble qu'ils ne soient même pas rémunérés. « Les salaires n'ont pas été versés depuis avril 2009. Seulement, pour les amadouer, la direction leur a donné une sorte d'avance, une petite somme, et ce, durant le mois de juillet. Mais depuis, ils n'ont rien eu », affirme M. Bouzina, rapportant le récit de la situation fait par ces derniers. Et pour cause : la Sonatro est vraisemblablement dans un coma profond, puisque, contrairement aux affirmations des responsables de l'entreprise, elle est à l'arrêt et ne connaît « aucune activité », assure M. Bouzina. « Mais peut-on vraiment les appeler des responsables, eux qui ont œuvré au déclin et à la mort de la société, qui était pourtant viable, pour peu que des managers sérieux et intègres la prennent en main », conclut-il, amer. Les travailleurs attendent donc qu'une solution soit trouvée, réintégration et relance des activités ou dépôt de bilan et rémunération. D'autant plus que leur dossier a été transmis par l'Ugta au Premier ministre, Ahmed Ouyahia. « Il a même dénoncé les agissements des dirigeants de la Sonatro durant une intervention à l'APN. Nous avons donc un espoir de voir notre calvaire prendre fin », conclut M. Bouzina. Mais les promesses sont, à cette heure, restées lettre morte.