Au commencement, il y avait la Société nationale des travaux routiers (Sonatro). Fleuron de l'industrie algérienne, elle employait des milliers de travailleurs et engrangeait des bénéfices se chiffrant en milliards. Aujourd'hui, les activités du mastodonte moribond sont quasi nulles, ses dettes se chiffrent en milliards de centimes et jeudi prochain, il sera procédé à la vente aux enchères de son matériel et de ses engins, à El Harrach. Pis, ses ouvriers, plus de 1000 chefs de famille, la plupart à quelques années de la retraite, vivent dans des conditions des plus précaires. Car entre temps, « l'entreprise a été pillée », dénoncent, la mort dans l'âme, deux employés, Madjid et Ahmed. Tous deux activaient à Tindouf, dans un chantier de Sonatro. Ils étaient chargés de la réalisation du projet d'aérodrome « Jet 2 ». Toutefois, en plein travaux, le contrat est résilié. « Officiellement en raison de l'incapacité de Sonatro à finaliser le projet, car elle connaissait de graves difficultés financières », expliquent-ils. Mais, à leur avis, « cette faillite a été voulue, programmée. Pour d'occultes motifs, les responsables ont voulu voir l'entreprise mettre la clé sous le paillasson. Peut-être pour voir des entrepreneurs privés ou étrangers prendre sa place », avancent-ils. Des propos pleins de sous-entendus. D'ailleurs, les ouvriers portent de graves accusations de détournement et autres dilapidations à l'encontre de leurs directeurs. « Nous ne connaissons pas toute l'étendue des magouilles auxquelles ils se sont adonnés. Toutefois, nous disposons de preuves concernant un trafic d'agrégats ainsi que d'autres matériaux », clame Madjid, en exhibant un relevé topographique effectué en juin 2008. « Il a bien été établi qu'il existe un écart de 7628 mètres cubes entre les stocks théoriques facturés et les stocks physiques effectivement utilisés », expliquent-ils. « De même, il a été acheté pour une somme de 100 000 DA de madriers, et ce, sans que la facture passe par la comptabilité », ajoutent-ils. Mais là où le bât blesse, c'est que « jamais une telle cargaison n'est arrivée sur le chantier ». Et les falsifications, selon les deux ouvriers, ne concernent pas que les matériaux. « Il y avait aussi tricherie quant au pointage du personnel. De nombreux collègues s'absentaient, mais ils étaient inscrits présents sur le registre. Ou encore ils se faisaient porter présents les jours fériés ou les week-ends, pour ensuite être payés en heures supplémentaires », dénoncent les deux hommes. « Même les décisions de justice n'ont pas été appliquées » Alarmés et « meurtris » par ces agissements, les employés du site de Tindouf s'organisent en section syndicale et alertent leur direction. Ils demandent tout simplement au directeur général d'envoyer une commission d'enquête afin de « sauver ce qui restait à sauver » de l'entreprise. Action qui n'a jamais été effectuée par les responsables, qui ont argué de mille et un prétextes « afin de ne pas donner suite à cette requête ». Le collectif entame alors une procédure judiciaire pour vol contre les dirigeants incriminés qui, jusqu'à l'heure, est « en cours de traitement ». Ils rédigent aussi de nombreux courriers qu'ils expédient au président de la République et à des ministres, « restées lettre morte évidemment. Mais si ce n'était que cette gestion occulte de l'entreprise, ce serait demi-mal... ». Car en sus de dilapider les deniers de Sonatro, les dirigeants sont accusés d'avoir continuellement bafoué les droits des travailleurs. « Ils nous ont privés de nos allocations familiales, de notre droit aux congés payés, à la rémunération des heures supplémentaires et à d'autres primes et indemnités », s'insurgent-ils. Ne tenant plus, ils entament une grève qui dure deux mois. « L'inspection du travail, après étude du dossier, nous a donné raison et a ordonné à Sonatro de régulariser notre situation », affirment Madjid et Ahmed. D'autant plus que les griefs retenus à l'encontre de la direction sont accablants. « Les cotisations étaient prélevées de nos salaires. Toutefois, elles n'étaient pas reversées à la mutuelle », s'indignent-ils. Cependant, en dépit de cette décision en la faveur des travailleurs, « aucun des points n'a été appliqué par les directeurs », déplorent-ils. Quelque temps plus tard, les travailleurs du chantier de Tindouf sont démobilisés et affectés à la base de Oued Smar, où ils « croupissent » depuis plus d'une année. Car, non contents d'avoir réduit les activités de l'entreprise à néant, les responsables maintiennent leurs employés dans une sorte de « chômage technique ». Mais pas tout à fait. Car ils ont l'obligation de pointer tous les jours au risque de se voir congédiés sans autre forme de procès pour abandon de poste. Pis : cela fait plus de huit mois que leurs salaires ne leur ont pas été versés. L'enfer. « Vous imaginez ce que c'est de rester toute la journée à tourner en rond, à ne rien avoir à faire. C'est une torture », s'attriste Madjid, le plus ancien, qui cumule 28 années de service. Le « jeune » Ahmed, qui en a 20 à son actif, confie dépenser plus d'argent en déplacements et en nourriture qu'il n'en a gagné en près d'une année. « Et l'on ne peut même pas, afin de gagner quelques sous, travailler ailleurs. Ils nous refusent même les congés sans solde. Quant aux congés maladie, nous n'avons pas d'argent afin d'aller chez le médecin », dit-il, les larmes aux yeux. Ces milliers de travailleurs ne sont pas les seules victimes de la déchéance « programmée » par Sonatro. Plus de 320 autres ont été licenciés abusivement parce qu'ils avaient dénoncé les agissements frauduleux des responsables de l'entreprise, et attendent toujours d'être réintégrés ou du moins indemnisés.