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Eclatée au grand jour en 2005, l'affaire refait surface : Détournement de lignes téléphoniques au profit d'un réseau dormant d'Al Qaîda
Publié dans El Watan le 02 - 12 - 2009

038 87 12 95, tel est le numéro de téléphone par lequel le scandale est arrivé à Algérie Télécom (AT) et grâce auquel les services de sécurité ont découert l'existence à Annaba d'un réseau dormant d'Al Qaîda. L'enquête judiciaire étant close, le dossier relatif à cette sensible affaire, qui avait éclaté au grand jour en 2005 et qui continue d'éclabousser les administrations centrale et locale d'AT, vient d'être transmis au parquet et cette dernière s'est constituée partie civile.
Plusieurs inspections d'AT avaient depuis été ordonnées par l'administration centrale. La dernière en date remonte à fin août-début septembre derniers. Durant près d'un mois, trois vérificateurs de Annaba, Guelma et Jijel ont passé au peigne fin le volumineux dossier afférent au scandale dit « 038 87 12 95 ». Cette ligne, pourtant résiliée en 2004, avait longtemps et clandestinement été utilisée par un étudiant en chimie de nationalité yéménite. En effet, un document portant le détail des communications, édité le 23 juillet 2005, fait ressortir une moyenne de 2000 appels internationaux par mois vers des pays où l'organisation terroriste Al Qaîda est présente – dont le Yémen, l'Irak, l'Arabie Saoudite, l'Afghanistan, le Pakistan, l'Inde, l'Indonésie, le Bangladesh, le Sri Lanka, les Philippines, la Malaisie, le Soudan, l'Ethiopie, l'Egypte, le Maroc, la Tunisie, la Libye, les USA et le Royaume-Uni – étaient effectués par l'étudiant yéménite. Celui-ci passait même des heures et des heures à communiquer via le système satellitaire Thuraya.
Etouffée depuis 2005, cette affaire a refait surface suite à un dépôt de plainte de deux des quatre agents d'AT ayant été traînés devant les tribunaux et suspendus de leurs fonctions durant plusieurs mois car accusés par leur hiérarchie de complicité dans la remise en fonction illicite de la ligne résiliée. Ces agents, par le biais de leur avocat, semblent déterminés à dévoiler les vrais coupables dans cette arnaque dont est victime Algérie Télécom, parmi lesquels figurent deux directeurs d'agence commerciale des télécommunications de Annaba et d'El Bouni. Cette affaire, qui illustre on ne peut mieux le laisser-aller qui caractérisait le fonctionnement des services d'AT, précisent des sources bien au fait du dossier, avait éclaté lors de l'arrestation par Interpol, durant le premier trimestre 2005, à Londres d'un terroriste de nationalité yéménite sur lequel a été découvert un numéro de téléphone fixe, le 038 87 12 95. Alertés, les services de sécurité concernés ont procédé aux contrôles d'usage et c'est ainsi que le pot aux roses a été découvert. Pour leur part, les agents de l'inspection de l'Unité opérationnelle des télécommunications (UOT) de Annaba étaient loin d'imaginer qu'ils allaient mettre la main sur un vaste réseau (de personnel et de cadres d'Algérie Télécom) spécialisé dans le détournement de lignes téléphoniques censées être résiliées pour les réattribuer clandestinement à des utilisateurs qui les exploitaient gratuitement, faisant ainsi subir à leur entreprise des pertes qui se chiffrent à plusieurs milliards de centimes.
Au terme de multiples enquêtes, il s'est avéré que les bénéficiaires des lignes téléphoniques appartenaient à un réseau dormant d'Al Qaîda à Annaba. C'est en tout cas ce qui ressort des différents rapports d'enquête et de la correspondance datée du 5 mars 2007 adressée au wali de Annaba par le directeur de l'UOT. En effet, les investigations effectuées par l'inspection des télécommunications de Annaba en mai 2005 ont permis de découvrir que le 038 87 12 95 signalé par Interpol était une ligne qui, théoriquement, était résiliée depuis le mois d'août 2003 ; elle appartenait à un certain K. M., habitant à Sidi Amar. Ce dernier avait demandé sa résiliation et a pu obtenir une autre ligne, le 038 87 61 10. Or, les vérifications effectuées ont laissé apparaître que la ligne 038 87 12 95 avait continué à fonctionner plus d'une année durant sans pour autant attirer une quelconque attention des services d'AT. Ce n'est qu'à la mi-mars 2005 que l'Actel central de Annaba, ayant reçu des états comportant de fortes consommations, s'était aperçue que la ligne en question avait enregistré une consommation de 12 320 504,24 DA, soit plus d'un milliard de centimes. D'après les mêmes sources, l'Actel d'El Bouni, détenant le dossier d'abonnement de la ligne piratée, procédait dans un silence absolu à sa résiliation.
L'énigmatique ligne utilisée par un étudiant yéménite affilié au terrorisme international
L'enquête alors menée par les services de l'inspection d'AT Annaba a permis de découvrir qu'une première facture de ligne résiliée a été éditée durant le bimestre mai/juin 2004 et qu'elle avait été transmise à M. K., qui s'était manifesté immédiatement auprès de l'Actel d'El Bouni. Or, « rien n'a été entrepris par l'Actel d'El Bouni qui aurait dû alerter la tutelle puisqu'aucun dossier d'abonnement concernant cette ligne n'existait à son niveau », ont indiqué ces sources. La première facture a enregistré une somme de 6 054 816,13 DA, soit plus de 600 millions de centimes. Une deuxième facture, éditée pour juillet/août 2004, s'élevait à 8 808 619,52 DA ; une troisième à 9 976 519,22 DA, soit un total de 12 320 504,24 DA.
Pendant tout ce temps, les responsables de l'Actel d'El Bouni n'ont pas réagi. Pourquoi ?, s'interrogent les agents incriminés puis réhabilités. « Pour que cette ligne piratée puisse fonctionner, il faut impérativement qu'elle soit programmée à partir de l'Actel Port de Annaba et branchée au niveau du central de Sidi Amar. Qui a programmé cette ligne au niveau de l'Actel Port de Annaba ? Qui l'a branchée au central de Sidi Amar ? », s'interroge une autre source ayant requis l'anonymat. Si l'enquête interne ne dit rien à ce sujet, elle a, néanmoins, permis d'établir que la ligne piratée (038 87 12 95) fonctionnait 24h/24 pour joindre des numéros dans plusieurs pays du Golfe, du Moyen-Orient, d'Asie, etc. L'enquête a également relevé que la ligne piratée appelait le numéro mobile 0661 32 19 19 de l'étudiant yéménite, alors résidant à la cité universitaire 2000 lits Chaïba Sidi Amar.
Le 30 janvier 2006, une deuxième enquête a été ouverte à propos de 11 autres lignes piratées localisées, dont deux concernaient l'Actel d'El Bouni pour un montant avoisinant les deux milliards de centimes. Les 9 lignes restantes concernaient l'agence commerciale Bouzered Hocine et ont enregistré une consommation dépassant les 5 millions de dinars. Selon les mêmes sources, là aussi, l'enquête était restée silencieuse sur les responsables des actes frauduleux puisque n'ayant pas été directement concernés. Cependant, elle avait établi un lien direct avec l'utilisateur de la ligne de Sidi Amar 038 87 12 95 utilisée par l'étudiant yéménite. Ces lignes appelaient les mêmes pays que ceux appelés à partir de la ligne de Sidi Amar. Le préjudice financier subi par Algérie Télécom concernant les 12 lignes piratées s'élève à 47 098 924,41 DA. Or, en dépit de ce grave préjudice subi par AT, aucune sanction administrative n'a été prise à l'encontre des principaux responsables, indiquent nos sources, qui ajoutent : « L'affaire aurait été passée sous silence si ce n'était le dépôt de plainte effectué par le directeur de l'UOT de Annaba le 9 septembre 2006 et qui concernait uniquement la ligne piratée 038 87 12 95. »
Fait remarquable dans cette plainte outre qu'elle était déposée contre « X », elle citait les noms de 4 employés. Suspendus de leurs fonctions car condamnés en 2e instance à une année de prison ferme puis réintégrés après qu'ils eurent démontré à la tutelle les anomalies entachant le dépôt de plainte à leur encontre qu'ils estimaient abusif ainsi que les incohérences de l'enquête administrative, deux d'entre eux ont décidé d'intenter une action judiciaire en mai 2009 contre le premier responsable de l'UOT pour avoir dissimulé la vérité aux autorités. Toujours d'après les mêmes sources, l'affaire a été reprise à zéro par les services de sécurité de Annaba, notamment le Centre territorial des recherches et investigations (CTRI) compte tenu de sa relation directe avec la sécurité du pays.
C'est ainsi que des documents nouveaux, dissimulés auparavant, ont été déposés pour appuyer la plainte des deux agents. Ces documents font ressortir le montant réel du préjudice ainsi que les véritables coupables, dont certains responsables des Actel d'El Bouni et de Annaba (correspondance AT/DTT/AFG/09/2006 du 22 septembre 2006). L'enquête judiciaire étant close, les résultats finaux ont été transmis au procureur de la République près le tribunal de Annaba. L'affaire sera enrôlée dans les mois à venir, a-t-on appris auprès des mêmes sources.


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