De Aïn Sefra à Mécheria en passant par Naâma, des enfants parcourent tous les jours des kilomètres à pied, bravant chiens errants, oueds en crue et chauffards pour rejoindre les bancs de l'école et échapper à leur vie de berger. El Watan Week-end a suivi ces petits Algériens que l'analphabétisme rattrape trop souvent. « Chaque jour que mes enfants rentrent de l'école sains et saufs est un miracle que le Bon Dieu fait pour nous. » Yamina, 37 ans, soupire. Veuve, elle vit « pour le moment » à Aïn Sefra, dans la wilaya de Naâma, seule avec ses trois enfants. Les deux aînés de cette famille de nomades, M'barka, 11 ans, et Abdallah, 10 ans, font la navette quotidiennement entre l'école primaire Didi Lahbib, dans le village de Belhandjir, et leur tente située à El Hammar. Ils parcourent environ 7 km en une heure et demie de marche, chaque matin et chaque fin d'après-midi. Le trajet n'est pas sans risque. « De bon matin, il nous arrive de rencontrer des chiens errants. Cela effraie les plus jeunes mais nous, qui sommes en 3e, 4e et 5e année, on est habitués à ces bêtes ! On arrive même à les faire fuir en les attaquant avec des pierres ! », raconte fièrement M'barka, l'écolière brune au regard brillant. Sous la tente montée en flidj (de la laine) ou en haillons, et recouverte de sacs de semoule et de sacs-poubelles noirs pour résister à la pluie, M'barka pense déjà à son avenir. « Je rêve de devenir enseignante à l'école primaire et de vivre dans une maison « normale », où je pourrai lire même le soir », confie-t-elle. Pour l'instant, ce n'est pas le cas. Les devoirs doivent se faire rapidement avant la tombée de la nuit. Il y a bien la bougie mais encore faut-il qu'elle reste allumée… Enseigner est le métier rêvé pour de nombreux enfants nomades. Probablement, le seul métier qu'ils connaissent à part celui de leur père et grands frères, bergers. Orpheline, M'barka a perdu son père. Sa mère explique qu'il s'est suicidé « suite à une longue maladie qu'il ne pouvait traiter faute de moyens, et à cause des conditions de vie misérables de sa famille ». Depuis ce jour funeste, c'est Fatma, la benjamine de 4 ans, qui a pris en charge le troupeau de quelques moutons. Depuis des siècles, l'activité pastorale dans les steppes de Naâma est assurée par les nomades. Selon les derniers chiffres de la direction de la planification et de l'aménagement du territoire, la wilaya compterait un peu plus de 15 000 nomades sur ses quelque 210 000 habitants. Mais la désertification pousse un peu plus les populations du Sahara, en quête d'herbe et d'eau, vers le nord. Cette transhumance, imposée à leurs enfants en âge de rejoindre les bancs d'école, est souvent à l'origine de leur échec scolaire – dans le cas où ils ont le privilège d'être scolarisés. Et dans ce cas, le chemin du savoir est parsemé d'embûches. A commencer par la durée du trajet, car les écoles se trouvent la plupart du temps à des kilomètres de la tente. Des kilomètres à parcourir sous les températures extrêmes du climat aride spécifique de la région, moins de 10°C l'hiver et plus de 45°C l'été. Quand ce ne sont pas les chauffards qui menacent directement leur vie, il arrive qu'au cœur de l'hiver, des oueds en crue emportent les écoliers en chemin. Mohamed, lui, a perdu sa mère comme ça il y a quatre ans. Traumatisé, il traverse tous les jours la même chaussée où l'oued est venu lui ravir ce qu'il avait de plus cher. Plus grave encore, les écoliers sont menacés par les mines coloniales, déplacées par les crues des oueds et dissimulées par l'ensablement. « J'ai toujours entendu parler des mines, mais je ne sais pas où elles se trouvent ni comment elles sont faites, affirme Zoubir, 13 ans. Un jour, un enfant a perdu sa tête en ramassant une mine pour jouer avec. » Le jeune garçon a arrêté l'école depuis trois ans pour « aider son père ». Ses traits innocents contrastent avec sa maturité, témoin des responsabilités que les enfants de nomades endossent très jeunes. Scolarisés ou non, ils n'échappent pas au travail… prioritaire sur l'école. Si les parents sont souvent à l'origine de l'abandon de la scolarité, les filles sont particulièrement touchées. Rares sont celles qui ont connu l'école ou continuent leurs études après l'apparition des premiers signes de féminité. « Un nomade de la région de Mécheria a fait arrêter l'école à sa fille quand elle a atteint l'âge de la puberté. Pour lui, sa fille est une femme et il est inadmissible qu'elle passe ses journées en dehors du foyer familial », se désole Belkacem Semghoui, directeur de l'internat spécial pour enfants nomades, les Frères Chabane. Samira, 24 printemps, a déjà été mariée trois fois et donné naissance à deux filles. Nora, à 16 ans, ne sait ni lire ni écrire. La priorité pour sa famille, comme dans les autres familles de la région, est de lui trouver un mari. Dans la tente, avec sa mère et sa grande sœur, elle passe ses journées à préparer une galette pour leur « patron », le propriétaire des moutons. Tahar, son grand frère de 26 ans, est aussi analphabète. Il passe ses journées entières à garder le troupeau et à remplir l'eau du hassi (puits). La wilaya de Naâma, de par la rudesse de sa nature et son éloignement des grandes villes où la vie est plus facile, comprend quatre internats primaires pour enfants nomades, treize pour le cycle moyen et huit pour le secondaire. A l'instar de l'internat primaire les Frères Chabane, ces établissements hébergent les enfants nomades depuis 1974, date de la création du projet d'internat pour enfants nomades. Unique établissement de ce type dans le cycle primaire dans la région de Mécheria, il peut accueillir jusqu'à 200 personnes mais compte 293 internes. « Nous souhaitons que les autorités concernées répondent enfin à nos demandes d'extension ou de création d'un autre internat afin de scolariser le plus d'enfants nomades possibles et alléger ainsi la surcharge actuelle des dortoirs et des classes », explique Belkacem Semghouni. En dépit du manque de moyens humains et matériels, l'internat veille sur « la réintégration des jeunes nomades dans la société civile en introduisant des sédentaires afin qu'ils les côtoient et apprennent à vivre comme des écoliers normaux dont la seule préoccupation doit être exclusivement les études », précise le directeur du centre avant d'ajouter : « Nous acceptons même d'inscrire des enfants de 10 ans en première année, rien que pour qu'ils apprennent, au moins, à lire et à écrire et pourquoi pas réussir dans leurs études. Pour cela, nous demandons à leurs parents de se rapprocher de notre établissement pour inscrire leur progéniture. Ce travail de proximité est élaboré en collaboration avec les différentes APC et les associations qui travaillent tous à ce que l'enfant nomade ait une vie meilleure ». Avec six adjoints d'éducatios dont deux femmes, un surveillant, une unité de détection et de suivi composée d'un médecin généraliste, d'un psychologue et d'un dentiste, le centre prend en charge la scolarité et l'hébergement de ses élèves tout au long de la semaine, avant qu'ils ne quittent leur deuxième demeure pour rejoindre leurs familles respectives le week-end. Quand le jour J arrive, une file de GAK, ancien modèle de voiture américaine des années 1970, devenu avec les années propre aux nomades, attend les plus chanceux. « Aujourd'hui, il reste zéro jour pour voir ma maman », nous crie Mansoura, 5 ans, parmi les plus jeunes de l'internat, avant de rejoindre son père. Pour elle, comme pour ceux qui rejoignent leur classe à pied, apprendre à lire et à écrire est un défi de tous les jours. Des caravanes pour enregistrer les enfants Dans cette ville éloignée, où on manque d'infrastructures, de moyens et de centres de soin, la solidarité ne fait pas défaut. Hyperactif, souriant et volontaire, Nourredine Bouhamdi est animateur à la radio locale de la wilaya de Naâma depuis quatre ans, et par l'entremise de son émission hebdomadaire « Nabd el kouloub » b(attements des cœurs), diffusée chaque dimanche à 11h45, il se donne corps et âme pour l'amélioration de la vie des nomades, des enfants, en particulier. « Ma mission consiste, entres autres, à lancer des appels aux familles qui ne sont pas encore conscientes que les études doivent occuper une place importante dans la vie d'un enfant, afin de les inscrire à l'école et de leur permettre de vivre une scolarité stable », précise-t-il avant d'ajouter : « Nous organisons avec la collaboration des différentes associations locales, le comité wilayal des habitants ainsi que la Direction de la santé publique, des caravanes dans l'objectif de s'assurer de l'enregistrement des enfants nomades à l'état civil et de les inciter à suivre leur scolarité en prenant note de ce qui leur manque comme articles scolaires, vêtements, etc. » Cette initiative vise également à la prise en charge médicale de cette frange de la société, en lui faisant bénéficier de soins gratuits offerts par des médecins bénévoles, des membres du Croissant-Rouge et des représentants de la direction de l'Action sociale de wilaya. « Nous faisons tout notre possible pour faire le tour des différentes régions de Naâma : Kasdir, Moghrar, Djenien Bourezg, Asla, etc., afin que les nomades aient le droit à une scolarité normale avec les moyens essentiels, et puissent bénéficier des soins nécessaires », raconte l'animateur. Les initiateurs de cette action humanitaire cherchent également de généreux donateurs. « Un commerçant a fait don de 500 chaussures !, témoigne Nourredine reconnaissant. Et un pharmacien fait régulièrement des dons de médicaments et matériel. »