C'est sur ce ton grave, chargé d'inquiétude, que Mouloud Hamrouche s'est adressé, avant-hier, aux Algériens et aux décideurs. L'enthousiasme de ceux et celles qui s'attendaient à l'annonce d'une candidature à la présidentielle – qui n'était pourtant pas dans l'agenda politique du chef de file des réformateurs – a été refroidi. En parfait connaisseur du système du pouvoir, Hamrouche confirme une fois de plus que la crise du système a atteint ses limites objectives, martelant avec force qu'il est pour «sa chute», mais de manière «sereine». «Que les choses soient claires, je ne défends pas la continuité du système, je veux la chute du régime, mais de manière sereine, avec des décisions et une responsabilité, avec l'implication de toutes les parties», a-t-il réaffirmé. Il révèle également qu'il ne s'agit pas d'«un conflit entre deux ou plusieurs parties à l'intérieur du régime, mais de la fin d'un système de pouvoir». Refusant de s'inscrire dans le jeu électoral parce que, de son point de vue, l'élection dans un système hermétique «produit de l'exclusion», il estime que la gravité du blocage dans lequel se trouve le pays ne se règlera pas avec la future élection. Le renouvellement ou pas du mandat du Président – candidat à sa propre succession – n'évitera pas au pays une issue désastreuse. «L'Algérie vit une crise de système. La crise est aussi à l'intérieur du système. Cette crise sera toujours là le 18 avril. La problématique dépasse la question de l'élection», tempête l'ancien chef de gouvernement qui, faut-il le rappeler, n'a jamais été adepte d'un changement violent qui passerait par une révolution dans la rue. Il convie les décideurs à assumer leur responsabilité historique, car l'impasse aura des conséquences imprévisibles. Après avoir clarifié sa position et alerté sur les dangers immédiats d'une périlleuse impasse politique et historique qui pèsent gravement sur le devenir du pays, Mouloud Hamrouche s'est posé la classique question : «Que faire ?» Ni l'élection ni la rue Ancien militaire converti en politique, Mouloud Hamrouche refuse d'être l'homme providentiel : «Il n'y a pas d'homme providentiel, il faut aider à construire un compromis et y aller très vite.» Il croit viscéralement à une possible troisième voie. Il appelle de ses vœux un compromis historique, qui nécessite le concours de tous, dans lequel l'armée jouera un rôle central. C'est justement à cette dernière qu'il s'est adressé en grande partie dans son intervention, jeudi passé. Il ne la «supplie» pas de le porter au pouvoir ni de bloquer la candidature de Bouteflika ou de la défendre ; il lui rappelle son rôle historique qui est la défense du pays, mais surtout d'être au service des Algériens et non pas à celui d'un seul homme. Mouloud Hamrouche a beaucoup insisté sur la discipline, s'élevant contre les risques d'assujettissement des forces armées : «L'armée ne doit pas être enrôlée dans les conflits politiques et idéologiques.» Et d'ajouter : «Jusqu'à quand l'encadrement de nos forces de défense et de sécurité restera soumis, à chaque échéance présidentielle et à chaque changement de responsable, à d'intolérables pressions, interrogations et examens de conscience ?» L'édification d'un régime démocratique et l'instauration d'un Etat de droit sont «des approches raisonnables qui mettront à l'abri la cohésion, la discipline et l'adhésion de tous les constituants de notre société». Seuls les pays démocratiques et les Etats de droit garantissent une stabilité profonde ; «leurs armées ont triomphé et gagné toutes les guerres durant le dernier siècle», a-t-il encore rappelé. Mouloud Hamrouche doit manifestement connaître l'état d'esprit tendu régnant chez les militaires. Même s'il affirme qu'il n'y a pas de division au sein de l'armée, il évoque «la situation dans laquelle se trouvent des responsables (militaires), car ils ont la responsabilité du devenir du pays ; je souhaite qu'on les aide». Les rivalités sont indubitablement exacerbées entre une vieille garde, qui s'accroche au pouvoir vaille que vaille, au prix d'infliger au pays un quatrième mandat d'un Président malade, et une jeune garde qui «serait disposée à contribuer à une transition démocratique». D'où l'appel à la «discipline» lancé par Hamrouche, qui devait avoir à l'esprit, à ce moment-là, la révolution des Œillets menée par les colonels portugais, un certain 25 avril 1974, contre la dictature de Salazar. Le 18 avril 2014 sera dur et Hamrouche ne l'ignore pas, mais il assure qu'il sera présent. «Mon espoir est que nous tous, particulièrement les nouvelles générations et élites, n'allons plus nous encombrer des fardeaux, des errements et des querelles du passé et que nous opterons pour des solutions qui marchent et garantissent des résultats.»