L'Algérie est un pays candidat au chaos. L'alerte est donnée par Mouloud Hamrouche, qui parcourt le territoire national pour expliquer aux Algériens les raisons de la périlleuse impasse historique dans laquelle se trouve le pays et surtout prévenir les décideurs d'un risque d'effondrement plausible. Si avant le scrutin présidentiel, il s'était s'adressé aux décideurs en mettant clairement des noms sur la crise – Bouteflika, Gaïd Salah et Toufik –, estimant qu'ils détiennent «la clé de sortie de crise», l'homme des réformes démocratiques part à la rencontre des acteurs politiques et sociaux comme seconde étape de son «œuvre» de construction d'un «nouveau consensus national» pouvant aboutir à une transformation du système de pouvoir. En prenant son bâton de pèlerin, Mouloud Hamrouche cherche d'abord à sonder l'état de la société et à mesurer la capacité des corps intermédiaires à encadrer un processus de transformation politique. Il convie également les acteurs politiques et sociaux et les citoyens à s'impliquer dans le débat national comme préalable à une éventuelle mobilisation et pour parer aux risques de débordement. «Il s'agit d'une tournée nationale pédagogique, visant à expliquer aux Algériens pourquoi le système politique est à bout de souffle, incapable de se réformer, et quelles sont les raisons ayant conduit à cette situation devenue dangereuse pour le pays. Hamrouche veut responsabiliser les citoyens et inciter les élites sociales et les corps intermédiaires à jouer un rôle moteur dans le changement», explique un proche collaborateur de l'ancien chef de gouvernement. Mouloud Hamrouche, dont l'ambition immédiate est d'éviter au pays un éclatement, conséquence de la déliquescence de l'Etat, rencontre un écho positif à la faveur de ses rencontres avec la société civile et les acteurs politiques locaux. Durant ses cinq premières sorties, il a rencontré un engouement et une envie citoyenne d'agir, mais surtout les inquiétudes d'une société à qui le pouvoir en place n'offre plus aucune perspective politique et économique rassurante. Les indicateurs sont au rouge. Le pays est menacé de partout. Impasse politique, crise économique en perspective, institutions phagocytées et réseaux informels d'intérêts maffieux qui squattent les sphères d'influence. Tous les ingrédients d'un éclatement sont réunis. La vallée du M'zab présente les symptômes d'une Algérie en devenir. «L'impasse dans laquelle le pays est coincé recèle de graves menaces, exacerbe les facteurs de division, paralyse les institutions et soumet les hommes à des pressions impossibles», avait claironné le chef de file des réformateurs, le 27 février 2014. Depuis, le constat n'a pas changé. Pis, il s'est aggravé tant le scrutin présidentiel du 17 avril a reconduit le périlleux statu quo en maintenant Abdelaziz Bouteflika à la présidence de la République. Mouloud Hamrouche, qui estimait que le plus important n'était pas le jour de l'élection, mais l'après-17 avril, sait parfaitement que le pouvoir, dans ses différentes composantes, court à sa perte et risque d'emporter dans sa chute tout le pays. Et c'est face à ce péril que l'homme des réformes s'emploie à accompagner sans heurts un système finissant à sa mort et à aider à l'émergence d'un nouveau système. S'il est vrai que Mouloud Hamrouche refuse de jouer à l'homme providentiel, auquel il ne croit pas d'ailleurs, il assure les Algériens de son engagement et de son implication dans la recherche d'une solution politique la moins coûteuse. Il apparaît aujourd'hui comme un homme-clé dans la recherche d'une solution qu'il veut rendre possible. Jouissant d'une estime considérable, voire d'un soutien parmi la jeune garde de l'armée, l'ancien chef de gouvernement de Chadli devient une figure incontournable, un interlocuteur de poids, car désormais il bénéficie d'un soutien large au sein de l'opinion et d'un appui de la majorité de la classe politique. Un leader qui transcende les clivages. S'il est évident qu'une adhésion à sa démarche s'exprime au sein de la société, les décideurs sont-ils sensibles aux alertes de cet enfant du système ? Il est certain qu'ils scrutent soigneusement les mouvements de Hamrouche et examinent l'impact de son discours sur l'opinion. «Il doit y avoir des évolutions à l'intérieur du système, notamment au sein de l'appareil militaire par rapport à l'analyse de Hamrouche. Si ce dernier n'appelle pas à un coup d'Etat, il rappelle toutefois à l'institution militaire le devoir que lui confère la Constitution. Elle doit sauver le pays et prendre le parti du peuple», explicite un des membres des réformateurs. Mouloud Hamrouche, dont l'appel au changement a rencontré une résistance du noyau dur du régime, devra compter sur les évolutions entre les trois pôles du pouvoir : la présidence, l'état-major et le DRS. Les lignes semblent bouger et les alliances aussi.