-La crise ukrainienne semble aller vers un véritable affrontement. Le russe Gazprom a également annoncé vouloir annuler le prix préférentiel de cession du gaz russe aux Ukrainiens. Dans quelle mesure ces éléments pourraient-ils affecter les approvisionnements en gaz du marché européen ? En matière de gaz, les trois parties-clés sont la Russie (le fournisseur), l'Ukraine (le pays de transit) et les pays européens (les acheteurs). Aucune de ces trois parties n'a intérêt à ce que les livraisons de gaz soient interrompues. La Russie a besoin d'exporter son gaz pour obtenir des devises ; l'Ukraine, qui entend à présent se rapprocher de l'Union européenne, ne veut pas mécontenter celle-ci ; les pays européens ont besoin de ce gaz.L'hypothèse la plus probable est donc qu'il n'y aura pas d'interruption prolongée des approvisionnements. Mais dans une situation très troublée, beaucoup de choses, dont la probabilité de réalisation est faible, peuvent se produire. En cas d'aggravation des tensions et des affrontements armés, de telles interruptions pourraient intervenir. -Certains observateurs du marché estiment que cette crise pourrait orienter les Européens vers d'autres fournisseurs plus fiables, comme les Norvégiens. Dans quelle mesure ? Est-ce que la situation induira un redressement des cours sur le marché régional spot ? La crise russo-ukrainienne s'est d'ores et déjà traduite par une augmentation des cours du gaz et du pétrole bien qu'il n'y ait pas, à ce jour, de problèmes concrets mais les marchés anticipent d'éventuelles perturbations. La Russie continue à vendre son gaz et les pays européens n'ont donc pas de raisons impérieuses de chercher d'autres fournisseurs à court terme. Mais, au-delà des événements actuels, l'UE tente de diversifier ses approvisionnements gaziers, depuis plusieurs années, notamment depuis les crises russo-ukrainiennes de janvier 2006 et janvier 2009 qui avaient provoqué à chaque fois une interruption des exportations russes. La Norvège est bien sûr considérée comme un fournisseur très fiable, l'Algérie peut jouer un rôle, le Qatar est en embuscade et d'autres pays lorgnent le marché européen. Les Etats-Unis seront exportateurs de gaz dans quelques années, la région de la Méditerranée orientale, en particulier Israël, également, de même que des pays d'Afrique subsaharienne – Mozambique, Tanzanie avec du gaz naturel liquéfié – avant la fin de cette décennie. Des exportateurs actuels tels que le Nigeria ont un potentiel de hausse, l'Irak sera un jour fournisseur de l'Europe et l'Iran veut faire une entrée fracassante sur les marchés, s'il obtient la levée des sanctions qui paralysent le développement de son secteur énergétique. Les fournisseurs supplémentaires ne devraient donc pas manquer. -Les Russes considèrent toujours qu'ils demeureront le principal fournisseur des Européens. Qu'est-ce qui les conforte dans cette conviction ? Cette conviction s'explique par quelques facteurs-clés : l'importance considérable des réserves de gaz de la Russie, qui se classe au premier ou au second rang dans le monde après ou avant l'Iran ; la proximité géographique du marché européen ; l'existence de plusieurs gazoducs reliant la Russie à l'Europe soit transitant par l'Ukraine, soit par le Belarus, soit évitant ces deux pays – le Nord Stream – sans parler du South Stream (qui reste un projet pour l'instant) ; les relations de long terme établies entre Gazprom et de grands groupes gaziers européens. Ce sont effectivement des atouts pour Gazprom et pour la Russie, mais le marché européen est de plus en plus concurrentiel, de nouveaux fournisseurs sont en train d'émerger, la montée en puissance des gaz non conventionnels constitue un sérieux défi pour la Russie et les énergies renouvelables, notamment l'éolien et le solaire, progressent rapidement en Europe, ce qui concurrence le gaz dans le secteur-clé de la production d'électricité. Il ne faut pas non plus oublier les économies d'énergie. Gazprom peut rester le fournisseur n°1, mais sa part de marché devrait baisser et le groupe russe aurait tort de considérer cette première place comme acquise à tout jamais.