Les précipitations ont baissé de 30% ces trente dernières années en Algérie». Voilà un constat inquiétant qui ne fera que s'aggraver et qui donne à réfléchir sur l'avenir hydrique de notre pays. Le club scientifique d'Hydraulique de l'université de Béjaïa a organisé mardi dernier un séminaire sous le thème : Les ressources en eau, moteur de développement durable, où ont été abordées les questions liées à la réalité des ressources hydriques en Algérie, particulièrement, et dans le monde, les enjeux et les défis à relever pour faire face dans l'avenir à la raréfaction du précieux liquide. Des organisations internationales comme l'ONU, l'UNESCO, Le Plan Bleu, le Conseil mondial de l'eau et d'autres encore, ne restent pas les bras croisés face aux défis qui attendent l'humanité en matière de rationalisation de la consommation dans le sens d'une gestion durable des ressources en eau. Cela d'autant plus que la terre est sujette aux changements climatiques, un problème de taille qui situe le débat inéluctablement dans la problématique de l'eau et de son cycle. «Il est désormais largement admis que la mise en place d'un développement durable exige de mettre en équation aussi bien les préoccupations sociales et économiques qu'environnementales en tenant compte du facteur essentiel et limite à savoir l'eau» a indiqué dans son intervention Ahmed Kettab, professeur à l'école nationale polytechnique d'Alger. «L'eau est source de conflits dans de nombreuses contrées du monde. En ce XXI siècle, elle est devenue un enjeu de taille et seules les nations qui auront su préserver leur capital hydrique pourront survivre» prédit le professeur. Quelle est donc la place de l'Algérie sur ce terrain ? Et en quoi consiste aujourd'hui la démarche pour affronter le double défi du progrès et de la sécurité hydrique? Malgré son classement comme pays semi-aride, le sous sol algérien est riche en eau douce. Elle partage avec la Libye et la Tunisie un grand système aquifère, appelé communément l'Albien, dont elle détient 80%, qui la met à l'abri du besoin. «Nous en avons pour 6000 ans de consommation d'eau douce», rassure le professeur Kettab. Mais est-ce suffisant pour parler de sécurité hydrique? Pour le professeur les problèmes résident ailleurs dans notre pays. Beaucoup de défis à relever Ailleurs comme dans la construction de barrages, l'aménagement de ces derniers de manière à les adapter à l'économie, le transfert des eaux, le dessalement, la promotion de la recherche scientifique dans le domaine de l'eau, la lutte contre le gaspillage… Concernant le premier point, le professeur Kettab trouve le nombre de barrages construits «insuffisant». Ce qui nécessite des efforts, tant, selon lui, sur le plan de la construction que l'adaptation des structures de stockage à l'économie, en général et la pêche et au tourisme en particulier. Une nécessité du moment qui doit, selon le professeur, «passer par une stratégie de planification mettant à contribution plusieurs ministères, qui seront appelés à travailler en collaboration avec les élus et les associations». Sur le plan de l'approvisionnement en eau, l'état semble opter plus pour le transfert que sur le dessalement, alors que cette deuxième option est aujourd'hui la plus privilégiée dans plusieurs pays. En citant un projet de transfert d'eau du sud vers les hauts plateaux, le professeur Kettab estime qu'il est «plus judicieux de prendre notre eau de la mer pour l'approvisionnement des régions du nord». Cela implique la promotion du dessalement qui, aujourd'hui, grâce à la technologie, peut réduire le coût du mètre cube d'eau à moins de 50 Da. A raison d'une station de dessalement pour 50000 habitants, soit 200 stations à l'échelle du pays, l'Algérie fera un bond dans sa stratégie de préservation de l'eau, estimera M. Kettab. De même que la technologie permettra, selon lui, de réduire le coût du mètre cube d'eau transféré de 300 à 50 Da. La technologie se retrouve donc au centre de toutes ces projections en débat. Nécessité de la recherche L'Algérie ne saura répondre à la problématique de l'eau sans le développement de la recherche dans ce domaine névralgique. Il n'existe aujourd'hui dans notre pays pratiquement aucun centre de recherche en eau (CNRE). L'on s'étonne de cette «curieuse» défection dans un pays classé semi-aride. De plus, la majorité des diplômés qui sortent des universités algériennes ont suivi pour la plupart des formations académiques – 90% des masters sont académique selon le professeur Kettab – alors que le terrain exige de plus en plus de spécialisation. Le manque de professionnalisation réduit de ce fait les chances de développer les recherches dans le domaine de l'eau et par contrecoup rend de plus en plus incertain l'avenir de celle-ci dans le pays. Cela se reflète dans le nombre de publications universitaires en la matière, qui reste «insignifiant», constate le professeur Kettab, selon qui «il est impératif d'encourager les chercheurs par des prix pour booster la recherche et la créativité». Freiner le gaspillage Selon une étude de l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) datant de 2011, le besoin réel d'un individu en eau est de 25 litres par jour. L'Algérien en consomme 230 litres en moyenne, soit presque 09 fois plus que la norme, indique le professeur Kettab, qui n'omettra pas de signaler que ce chiffre va crescendo à mesure que le pouvoir d'achat des ménages augmente. Cette consommation démesurée est le résultat, non seulement du gaspillage, des fuites dues aux défaillances dans les conduites de distribution, mais également de l'insuffisance, voire de l'absence carrément de compagnes de sensibilisation pour inculquer aux citoyens les règles de la bonne gestion de leur consommation d'eau. «Il faut aller vers les ménages, l'industrie, les commerces, les agriculteurs, pour les sensibiliser et leur expliquer, pour chaque frange, les principes d'une consommation rationnelle de l'eau», a préconisé le professeur Kettab, qui s'étonne de l'absence de spots de sensibilisation contre le gaspillage de l'eau dans les médias nationaux. Interrogé si cela doit passer par l'augmentation des prix du mètre cube pour dissuader les gaspilleurs, celui-ci répondra «qu'il est favorable pour une grille de prix selon les revenus et selon l'activité du consommateur». Car le plus grand gaspillage est l'œuvre des industriels qu'il ne faut pas loger, selon le professeur Kettab, dans la même enseigne que les petits ménages.