L'enquête s'ouvre en 2009, à la suite d'informations selon lesquelles les commissions versées pour l'obtention des marchés de l'autoroute « alimentent la caisse noire du DRS ». Le plus haut responsable de ce service met une équipe spéciale sur l'enquête, qualifiée d'enquête du siècle, qui, après plusieurs mois, débouche sur l'interpellation, le 17 septembre 2009, du premier suspect concerné par « l'information » à l'origine des investigations et ce, à son retour de Paris. Il s'agit de Mejdoub Chani, un Algérien installé au Luxembourg, très introduit dans le milieu des affaires. En 2006, il avait été condamné à une peine de prison avec sursis pour son implication dans le scandale du Fonds algéro-koweitien pour l'investissement (FAKI), un établissement financier dans lequel il était co-actionnaire avec le fils de l'ancien ministre Mohamed El Mili et d'où des dizaines de millions de dollars ont été détournés pour être transférés vers des comptes privés à l'étranger, notamment au Luxembourg. Fort de ses relations, il met son carnet d'adresses à la disposition de nombreuses sociétés étrangères intéressées par le marché algérien, en contrepartie d'importantes commissions. En 2007, l'entreprise publique chinoise Citic-Crcc, qui a décroché un marché de réalisation de l'autoroute Est-Ouest, une année auparavant, peine à recouvrer ses factures, d'un montant de 400 millions de dollars auprès du ministère des Travaux publics, alors dirigé par Amar Ghoul. L'homme qui lui réglait tous ses problèmes, un certain Boussaïd, vivant en France, ne peut plus entrer en Algérie du fait de ses démêlés avec la justice algérienne. Il sollicite Chani et lui propose d'assister la Citic en contrepartie de commissions. Il accepte et, de retour au pays, il commence à contacter ses connaissances sur le terrain. Il demande au PDG de la résidence d'Etat de Club des Pins, Abdelhamid Melzi, de l'aider à entrer en contact avec des responsables du ministère des Travaux publics. Il lui organise une rencontre avec Mohamed Bouchama, le secrétaire général. Mais c'est le conseiller du ministre de la Justice, officier du DRS, dit le colonel Khaled, qui va lui faciliter la tâche en l'accompagnant au bureau du secrétaire général pour la première fois, pour le présenter à ce dernier comme étant son cousin. Chani en profite pour soulever les problèmes auxquels sont confrontés les Chinois. Les entrevues se multiplient et certains obstacles sont franchis. Ce qui aiguise l'appétit de Chani. L'appétit vient en encaissant... Il décide alors de court-circuiter Boussaïd en entrant en contact direct avec les patrons de la Citic à Pékin. Il demande à une amie, la fille de l'ancien patron de la société chinoise, installée au Luxembourg, de lui organiser un rendez-vous avec le patron de l'entreprise. Ce dernier le reçoit dans son bureau, à Pékin, et accepte de le prendre comme intermédiaire, à condition qu'il prenne attache avec celui qui a introduit la Citic en Algérie. En l'occurrence Pierre Falcon. Un magnat du trafic d'armes français, détenteur de trois autres nationalités, française, brésilienne et angolaise (voir encadré). L'homme en question est à la tête du lobby français ayant la mainmise sur les affaires en Algérie. Tout entreprise qui veut pénétrer le marché algérien doit passer par ce groupe de pression bien introduit dans les rouages de l'Etat. Chani accepte et le patron de la Citic lui délivre un document attestant de son statut de représentant de la société chinoise en Algérie. Pour le versement des commissions, évaluées dans un premier temps à 30 millions de dollars, le PDG de la Citic a recommandé la création de deux sociétés fictives avec des comptes domiciliés en Autriche et à Singapour vers lesquels deux sommes de 15 millions de dollars ont été transférées. Un autre contrat est signé entre les deux parties et concerne la collecte par tous les moyens de toute information qui concerne de près ou de loin le marché de l'autoroute Est-Ouest, pour lequel un premier versement de 350 000 euros a été effectué sur les comptes de Chani. De retour au pays, il contacte son ami d'enfance, le colonel Khaled, un colonel du DRS conseiller du ministre de la Justice, qui lui organise un rendez-vous avec le secrétaire général du ministère des Travaux publics, Mohamed Bouchama, chez lequel il l'accompagne et le présente comme étant son cousin. Chani exhibe le document signé par le PDG de la Citic et la liste des problèmes rencontrés sur le terrain. Bouchama lui fait état d'une instruction du Premier ministre qui consacre la priorité à la réalisation de l'autoroute Est-Ouest et qu'il ferait tout pour lever les entraves. En contrepartie de ce « service », Chani déclare une première fois avoir remis une somme de 10 millions de dinars, mais se rétracte par la suite et dément. Quelques jours plus tard, il se déplace à Pékin et rend compte de sa relation avec le secrétaire général et la prise en charge par ce dernier des problèmes auxquels est confrontée la société. Un deuxième contrat est alors signé entre les deux, qui permet à Chani d'obtenir une première commission de 1,24% du montant du marché, transférée sur le compte de son entreprise fictive Sperit of Eagle, dirigée par une société SRHM (spécialisée dans la gestion des fonds et la création de sociétés fictives et de comptabilité) domiciliée à Hong Kong. Le deuxième versement est effectué durant l'été 2008, à Alger, par le comptable de la Citic. Il s'agit d'un montant de 70 millions de dinars, remis à Chani au siège de sa société Oriflam, située à Dély Ibrahim, dont 65 millions de dinars ont servi pour financer l'achat d'une villa à El Biar, d'un montant de 115 millions de dinars (le reste a été payé par un crédit obtenu auprès de Natixis). Une manière pour lui d'éviter les soupçons sur l'origine des fonds, dit-il aux enquêteurs. À Singapour et en Autriche Ses allées et venues au bureau de Bouchama, à chaque fois en compagnie du colonel Khaled, se multiplient. En tout, sept fois selon lui, au cours desquelles il ne fait que dresser la liste des obstacles auxquels est confrontée la Citic, comme par exemple l'augmentation du nombre de visas pour les ressortissants chinois qui est passé de 10 à 100 par jour, la résolution du problème d'expropriation, de disponibilité de bitume, de tuf et d'explosifs et le déplacement des canalisations de gaz qui traversent les tronçons de l'autoroute. Ce que le secrétaire général dément catégoriquement. Il affirme avoir connu Chani en 2007, par l'intermédiaire de Abdelhamid Melzi, en tant que dirigeant financier de la Citic et il était accompagné du colonel Khaled. En février 2008, Chani et Bouchama se rencontrent à Pékin. Le premier est en mission de formation pour une semaine avec des cadres du ministère des Travaux publics, alors que le second est chargé par la Citic de prendre soin de la délégation algérienne. Ce qui va renforcer Chani auprès des Chinois, mais aussi des Algériens. Mais il faut reconnaître que c'est le colonel Khaled qui l'aide le plus à avoir accès au secrétaire général, du fait de son statut et de l'institution qu'il représente. Chani et le colonel se sont connus lorsque l'affaire du FAKI était en jugement au tribunal de Bir Mourad Raïs. Après la condamnation de Chani, l'officier demande à ce dernier d'introduire un pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême, où il s'engage à intervenir en sa faveur. Depuis, les liens entre les deux hommes se sont renforcés. Chani se propose même d'acheter la villa du colonel sise à Aïn Turk, à Oran, pour plus de 20 millions de dinars (pour en acheter une autre à Es Senia) qu'il offre par la suite à Cheb Khaled. En plus de cette transaction, Chani affirme avoir remis à l'officier la somme de 17 millions de dinars à l'officier, et à sa demande, pour terminer le paiement d'une autre villa sise à Birkhadem ; en échange, il lui cède un appartement en construction à Staouéli. Toutefois cet échange n'a pu être concrétisé du fait du retard enregistré dans l'établissement des actes de propriété. Entre 2008 et 2009, Chani affirme avoir remis au colonel plus de 26 millions de dinars en espèces, sans compter la prise en charge de plusieurs voyages en Espagne. Une générosité que l'homme d'affaires explique comme étant la contrepartie des services que le colonel lui a rendus. Ces derniers sont nombreux. Il cite entre autres les mises en contact avec les responsables et la restitution de plus d'une dizaine de passeports de ressortissants chinois bloqués par les autorités pour des raisons qu'il dit ne pas connaître.