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“Les crispations identitaires mènent très vite au totalitarisme”
Khaoula Taleb Ibrahimi (Linguiste et professeur à l'université d'Alger)
Publié dans El Watan le 11 - 12 - 2009

Comment comprendre la nouvelle expression du nationalisme, la division des élites, l'évolution des langages de la société ? Lors du colloque international sur « Le sujet en souffrance », organisé par l'Association pour l'aide, la recherche et le perfectionnement en psychologie (SARP), dimanche et lundi derniers, Khaoula Taleb Ibrahimi s'est arrêtée un instant pour nous expliquer…
Vous qui pensez qu'on ne peut pas comprendre l'identité algérienne si on ne travaille pas sur la langue, comment interprétez-vous la surenchère du lexique nationaliste depuis les matchs de qualification à la Coupe du monde de football ?
La langue est une des composantes de l'identité, mais elle ne la subsume pas. Elle est un élément fondamental car elle est le creuset des expressions d'une société. La richesse d'une société comme la nôtre est qu'elle possède plusieurs langues et que, par là même, son identité ne peut être que plurielle, non exclusive, ouverte à toutes ses expressions, dans chaque langue et dans les rencontres métisses de ces langues ; c'est dans ce sens que je suis avec beaucoup d'attention le travail de ces jeunes écrivains car eux, ils sont dans le métissage. Ils ont, du moins dans leur écriture, dépassé les clivages qui restent malheureusement prégnants parmi les élites. Pour répondre à votre question, je dirais qu'à travers la traduction chauvine et nationaliste de ce qui s'est passé autour du foot et du parcours de l'équipe nationale, il y a eu récupération politicienne par un pouvoir qui a surfé sur la vague car il a trouvé matière à faire perdurer ce discours de l'attachement fusionnel qui fait l'économie de réfléchir sur les problèmes d'anomie que vit cette jeunesse qui est sortie en masse pour fêter la victoire ! C'est comme cela que l'on se sert de la métaphore du novembrisme et de la geste révolutionnaire pour mieux reporter l'examen des problèmes cruciaux que vit cette société, et particulièrement la jeunesse ! Et la surenchère égyptienne, qui participe des mêmes ressorts idéologiques, était du pain béni pour le pouvoir pour promouvoir le discours nationaliste face à l'agression et à l'adversité. C'est toujours contre l'Autre que nous sommes les meilleurs ! L'enjeu majeur pour le pouvoir étant de se maintenir ; en ce sens, il n'y a aucune différence entre lui et le pouvoir égyptien.
Mais on ne peut pas nier que l'expression de cette identité algérienne s'est soudain exprimée très fort…
Au-delà de l'aspect festif, je regarde tout cela avec beaucoup de circonspection. Pour qu'il y ait appropriation de l'identité algérienne, il faudrait que les élites fassent un travail sur elles-mêmes, comme le font par exemple les jeunes écrivains. Qu'elles acceptent la rencontre, le partage et la pluralité. Mais pour l'instant, le clivage entre francisants et arabisants parmi les élites persiste. En plus, toutes catégories confondues, elles semblent en sidération face aux mouvements des autres segments de la société, ce qui les amène parfois à développer un discours populiste qui n'a rien à envier à celui développé par le pouvoir. Elles s'abritent derrière l'image d'un peuple idéalisé sans se poser la question de leur responsabilité dans le maintien de cette appréhension « majoritaire », comme dirait Djamel Guerid dans son ouvrage paru en 2007, L'exception algérienne - La modernisation à l'épreuve de la société, des questions fondamentales qui agitent cette société.
Pensez-vous que la division de l'élite entre francisants et arabisants soit toujours d'actualité ? Est-ce qu'une nouvelle élite arabisante plus affirmée n'est pas en train de se constituer ?
Je constate que les arabisants font l'effort d'aller vers l'autre formation intellectuelle. L'inverse n'est pas forcément vrai. Pour ne citer qu'un exemple, les enseignants du département d'arabe de l'université d'Alger sont intervenus plusieurs fois au département de français. A une exception près, les enseignants de français n'ont pas eu la même démarche, y compris pour les jeunes enseignants (là aussi, à une exception près !). Le problème, c'est que tous nos étudiants ont été scolarisés en arabe. Or après la licence – pour ce qui concerne les étudiants en sciences humaines et sociales incluant les sciences du langage – on leur explique qu'ils ne pourront pas réussir leurs études en post-graduation s'ils ne possèdent pas une langue étrangère, en l'occurrence le français, vu sa place dans la configuration sociolinguistique de notre pays, une langue qu'ils ne maîtrisent pas. De là vient leur sentiment de subir une sélection qui ne dit pas son nom. Au lieu de faire de la langue arabe un outil d'ouverture et le vecteur d'une modernisation endogène, on a massacré son enseignement et on a renforcé l'image d'une langue porteuse de tous les archaïsmes et prisonnière de l'intégrisme. Alors même que ce qui alimente le malaise et le mal-être des Algériens, c'est la présence de plusieurs intégrismes linguistiques et culturels qui les enferment dans le ressentiment et la détestation de soi impuissante à faire la paix entre le même et l'autre. Or cette paix est nécessaire dans la construction d'un moi apaisé qui puisse accéder au statut du sujet citoyen capable de participer à la résolution des problèmes du présent et d'envisager avec responsabilité les défis du futur ! Et je ne parle pas des ravages pour la formation des élites scientifiques et techniques qu'induit le passage d'un enseignement arabisé dans l'enseignement de base à celui du supérieur, essentiellement dispensé en français !
Revenons à la crise Algérie-Egypte. Pensez-vous que, par médias interposés, elle ait permis de faire tomber le tabou sur l'arabité ?
Oui, je pense que cette crise a permis de sortir d'un cercle vicieux, celui qui consiste à dire « nous sommes Arabes » au détriment de toutes les autres dimensions de l'identité algérienne. Mais cela risque de ne pas durer dans le sens où les intégrismes culturels proprement algériens sont encore à l'œuvre. Il faudrait que de véritables débats aient lieu et que les Algériens acceptent de se parler et se regarder au miroir de leurs propres contradictions. La crise devrait ouvrir les yeux sur la nécessité de sortir du chauvinisme et du nationalisme étroit. Du chauvinisme sportif mais aussi de toutes les formes de chauvinisme et de fétichisation de notre identité, et surtout des discours du type « nous sommes Berbères oui mais tous ceux qui ne parlent pas le berbère ne le sont pas ». Elle devrait nous permettre de nous « repenser », de nous accepter tels que nous sommes avec nos différences ; la peur de l'Autre proche et lointain a été lourde de menaces pour tous ! Les crispations identitaires mènent très vite au totalitarisme.
Trouvez-vous que les institutions politiques, économiques et médiatiques parlent le même langage que la société ?
Non et c'est un grand problème. Le monde du travail, par exemple, ne parle pas et ne travaille pas avec la langue du système de formation de base. L'université voudrait privilégier l'ouverture sur le savoir universel, mais elle se trouve confrontée à la prégnance de visions du monde fortement marquées par le discours magique et incantatoire ! Les hiatus se superposent les uns aux autres et on ne parvient pas à sortir de ces clivages. Et le silence des autorités sur cette question est éloquent. Elles se réfugient derrière le marché et sa prétendue capacité à réguler les conflits, mais celui-ci a un coût social énorme ! Le cas de la presse est un peu particulier. Je trouve assez affolantes ces résurgences d'archaïsmes dans la presse arabophone, cette façon d'aller à l'encontre de l'acceptation des différences. Son discours identitaire est presque figé. Mais paradoxalement, en faisant dans le sensationnel, elle met à nu des maux de la société et des tabous comme l'inceste, que l'on trouve moins traité dans la presse francophone mais auxquels la presse arabophone n'oppose qu'un discours moralisant empruntant au prêche religieux l'essentiel de son argumentaire. En revanche, celle-ci, la francophone s'entend, semble plus à l'écoute de ce que produit la société en matière de culture. On peut regretter que notre presse soit plus une presse d'opinion qu'une presse d'investigation qui suive les mouvements et les évolutions de la société.
Dans le langage de tous les jours, vous relevez que les modes d'interpellation changent au fil du temps. Qu'aujourd'hui, les jeunes disent « chriki » pour s'interpeller. Ces changements sont-ils pour autant le signe d'une évolution de la société ?
Les modes d'interpellation se modulent en fonction des relations entre les individus et changent d'une période à une autre. Une appellation ne remplace pas l'autre, elles se superposent et se retrouvent, de nos jours, toutes utilisées et modulées en fonction des circonstances de l'énonciation. Autrement dit, dans cette société perdurent les normes de l'ordre ancien, familial, tribal mais aussi à un moment, celui de la pratique religieuse ostentatoire et puis celui de l'ordre nouveau, qui s'insère davantage dans le monde de la transaction commerciale, norme dominante des échanges à l'heure actuelle. Le commerce est licite, donc nous sommes tous des commerçants. L'Algérie est devenue un grand bazar !
Bio express
Directrice d'un laboratoire de recherche en sciences du langage pour la prise en charge du plurilinguisme algérien, Khaoula Taleb Ibrahimi travaille depuis des années sur la question des langues dans le cadre d'une approche globale de la société algérienne postcoloniale. Elle a publié de nombreux écrits dans les deux langues arabe et française sur cette question et ses diverses incidences sur le devenir de notre société, le plus emblématique étant Les Algériens et leur(s) langue(s). Ces dernières années, cette linguiste s'investit très fortement dans la formation de jeunes chercheurs en sciences du langage et explore l'expérience du voyage entre les langues à travers la traduction de textes en sciences humaines et sociales.


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