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Assumer la rupture idéologique pour restaurer nos libertés !
Crise Alger - Le Caire
Publié dans El Watan le 12 - 12 - 2009

« Il faut, pour qu'un Etat soit puissant ou que le peuple ait une liberté fondée sur les lois que l'autorité souveraine soit affermie sans contradiction. » Voltaire
One two three, viva l'Algérie ! Maâk yal Khadhra ! Oulach smah oulach ! ». Le temps d'une confrontation sportive, ce slogan repris à l'unisson par des millions de poitrines, a révélé le pays réel, que des décennies de matraquage idéologique, de répression politique et de régression sociale n'ont pas réussi à détruire. Par un exceptionnel clin d'œil aux premières semaines de l'indépendance, la liesse populaire a libéré les aspirations refoulées, réhabilitant des valeurs que l'on croyait à jamais perdues. Dans la chaleur d'une rare convivialité, l'emblème national, faire-valoir d'un régime impopulaire et décrié, est revendiqué comme un étendard de lutte et d'espoir et un symbole de la liberté retrouvée. Au-delà de la victoire contre l'Egypte, ce sursaut patriotique a signé l'échec des réducteurs de têtes chargés de formater à leur image une société uniforme. Menée au nom de l'Islam et de la langue arabe par les franges les plus timorées du mouvement national, la guerre idéologique ciblera, dès l'indépendance, les partisans d'une société plurielle coupables de « déviationnisme ». Malgré un palmarès des plus héroïques, d'authentiques résistants sont frappés d'illégitimité originelle. Embusqués derrière des « constantes » fascisantes, les planqués du Caire, de Damas ou de Baghdad prennent le contrôle du pays et occupent les devants de la scène. Près d'un demi-siècle après l'Indépendance, l'équipe nationale remet la balle au centre. Après une glorieuse prestation sur un terrain de football, ce concentré d'une identité décomplexée qui revendique l'arabe, le berbère et le français, et chante Zehouania, Matoub Lounès ou Diam's a isolé, dans la rue, les mercenaires de « l'anti-Algérie » autoproclamés gardiens exclusifs du temple national et de ses intérêts supérieurs. La victoire contre un pays présumé « frère » a dévoilé les mystifications d'une idéologie intolérante et négationniste, qui célèbre les étrangers, fussent-ils nos ennemis, et occulte les femmes et les hommes qui ont porté haut les couleurs du pays. Nous connaissons le moindre détail des bandelettes de Ramsès II au détour d'un livre d'histoire frelatée ; nous ignorons tout de Sheshnaq 1er, l'Aguellid berbère qui, 2959 ans avant Antar Yahia, donnait une mémorable leçon aux pharaons d'Egypte avant de s'installer sur leur trône. On célèbre la régence turque et les frères Barberousse, et on tire quelque fierté des actes de piraterie qui alimentaient le trésor du Sultan de Constantinople ; on occulte les rois de Koukou qui les avaient combattus au nom de la patrie humiliée. Ahmed Nat Lqadi, fondateur en 1514 de cette dynastie autochtone qui s'étendait, dans les périodes fastes, de Jijel à Cherchell, tirait pourtant sa légitimité d'un acte fondateur patriotique : la résistance à l'agression espagnole, en 1510, contre Béjaïa, lorsque les Hafsides qui administraient la ville désertèrent le champ de bataille pour se replier sur la Cour de Tunis.
Jeunes gauchistes, vieux réacs !
Après l'invasion des troupes françaises en 1830, le Dey Hussein signait la capitulation sans livrer bataille, abandonnant le pays aux « croisés » avec la lâche complicité de la Sublime Porte. Aujourd'hui, des rues, des quartiers, des édifices publics et des établissements scolaires ont immortalisé l'épopée des janissaires ; le mausolée du dernier roi de Koukou, à Tidjelabine dans la wilaya de Boumerdès, est tombé en ruine lors du séisme de mai 2003, dans l'indifférence coupable des autorités en charge de la protection des monuments historiques. Cette fascination pour l'étranger, à l'ombre duquel on espère une image valorisante, s'est imposée comme une redoutable constante. Même reniée par son encombrant tuteur oriental, l'Algérie officielle tétanisée, orpheline, peine à s'adapter à cette autonomie de fait accompli. Que peut-on attendre encore d'un régime qui a marginalisé Kateb Yacine, persécuté Mouloud Mammeri, renvoyé Mustapha Lacheraf, et exilé Moufdi Zakaria, pour dresser un piédestal à d'anciens contrôleurs de la pensée unique élevés au rang de monuments de la littérature ? Cryptocommunistes nourris au « socialisme spécifique » avant de se convertir à l'islamisme de bazar, ces écrivains publics de quartier n'hésitaient pas à profaner la tombe d'écrivains francophones talentueux, et à les bannir de la communauté nationale pour délit linguistique. Au crépuscule de leur vie, ils finissent dans la trahison de leur francophobie militante, en confiant leurs organes mal en point à des hôpitaux parisiens ! C'est la trajectoire classique des apparatchiks sans convictions ; jouant aux jeunes gauchistes dans les révolutions usurpées, ils finissent, à l'heure de l'« Infitah, par dévoiler leur nature de vieux réacs pour quémander un tabouret à la table des maîtres. Combien de gardes rouges sont passés sans mauvaise conscience de l'état de groupies de Staline à celui de fans de Ben Laden ?
Identité plurielle
Après des décennies d'égarement et de bricolage, l'heure est aux bilans sans complaisance. A défaut d'intégrer tous ses enfants, dans la richesse de leurs différences, l'Algérie risque de poursuivre sa course folle dans la déchéance, l'auto-flagellation, le mépris de soi et la haine des autres, avant d'imploser dans un irréversible syndrome balkanique. Il est encore temps de rectifier la trajectoire pour éviter la fatalité du pire. En faisant le pari de l'intelligence, du courage et de la raison, le pays pourra se relever dans le respect de toutes les composantes de son identité plurielle. Avec ses femmes enfin libérées et ses hommes moins misogynes. Ses Arabes ayant fait le deuil de l'Andalousie perdue et recentrés sur l'Algérie, et ses Berbères non « arabisés par l'Islam », mais acceptés dans le présent et tournés vers l'avenir. Ses musulmans tolérants, ses chrétiens paisibles et ses laïques libertaires. Ses francophones moins complexés et ses arabisants moins sectaires. Ses gauchistes utopiques et ses libéraux solidaires. Tous réunis par cet ardent désir de vivre en citoyens libres, dans un pays enfin libéré de l'autoritarisme, de l'intolérance et de l'exclusion. Dans un monde en profonde mutation, le temps est venu de répudier cette fraternité de maquignons qui a réduit le pays au statut de succursale d'une nation fantaisiste. A l'heure du conflit d'intérêts, « famille révolutionnaire » à gages et taupes d'une cinquième colonne orientale, toujours si prompts à dégainer la fatwa contre des moulins à vent, ou à convoquer le peloton d'exécution contre un lycéen de Bab El Oued pour un dessin maladroit, sont devenus brusquement aphones. L'embuscade du Caire contre les Algériens et l'outrage perpétré contre l'emblème national, brûlé devant une ambassade assiégée, relèvent sans doute d'un « détail » qu'il faut occulter, pour préserver la tutelle du Grand « frère », auquel nous devons, ad vitam aeternam, allégeance, respect et considération. Et lorsqu'ils brisent le silence, c'est pour briguer la palme du grotesque. Comme l'inénarrable Othmane Saâdi qui accuse les « francophones d'Alger et les sionistes du Caire » d'être les ordonnateurs du flot de vomissures déversées contre la Révolution et ses martyrs.
Pitoyable surenchère
Les masques sont tombés ! Les éructations de combattants d'arrière-garde qui rêvent encore d'ériger la « Nation arabe » sur les décombres de la patrie algérienne, en enjambant le corps de ses martyrs, et en s'essuyant les babouches sur son drapeau, doivent être dénoncées comme une impardonnable trahison. Traînant le complexe traditionnel de l'enseigne « arabe » franchisée, les autorités algériennes hésitent encore à opposer une riposte ferme à la maison-mère qui nous a pourtant retiré son label dévalué. A force de prêcher une normalisation « fraternelle » à sens unique, cette diplomatie de la guimauve et du loukoum risque de sombrer dans le renoncement, la servilité et la soumission. Méfions-nous toutefois des diversions de sérail et des raccourcis mystificateurs, qu'une presse populiste puise dans les décharges de l'intolérance, du racisme et de la haine. Patriotisme de superette en bandoulière, les va-t-en guerre d'une confrontation médiatique sans éthique, alimentent une pitoyable surenchère pour doper les chiffres de leur tirage, l'œil rivé sur le tiroir-caisse. Lorsque sonnera l'heure de l'armistice, ces courtisanes éconduites seront au premier rang des pom-pom girls qui chanteront la rengaine de la réconciliation entre « frères d'un même peuple, une seule langue, une seule religion », pour nous sommer de continuer à tourner en rond. En dépit de la conjoncture, l'Egypte reste un grand pays, les Egyptiens un grand peuple. Mais un pays et un peuple étrangers, avec lesquels l'Algérie devrait traiter, d'abord et avant tout, selon ses propres intérêts. Pas plus qu'ils n'ont jamais été des « frères » de cette fraternité hypocrite, vénéneuse, démagogique dont les despotes orientaux ont le secret, les Egyptiens ne sauraient devenir des ennemis intimes, malgré les outrances du régime du Caire, de ses plumitifs, de ses supplétifs, de ses aboyeurs et de ses clientèles. Si l'Etat algérien a l'impérieux devoir d'assurer la sécurité de nos compatriotes, pourchassés sur les berges du Nil et réduits à vivre dans la clandestinité, et au besoin de les rapatrier, les ressortissants égyptiens, comme tous les étrangers qui résident et travaillent sur le sol national, doivent être respectés et protégés.
Pour un contrat de cohabitation
Avec ses prolongements inattendus sur la scène politique, la crise en cours nous invite à une introspection salutaire. Rappelons avec force que notre soutien aux Palestiniens n'est pas dicté par une posture sentimentale au nom d'une communauté linguistique ou religieuse, pour des « frères, oppresseurs ou opprimés ». Ce soutien s'impose par la solidarité humaniste, qu'un peuple qui s'est libéré dans les larmes et le sang, se doit d'apporter à un autre peuple chassé de sa terre, spolié de ses droits, avec la lâche complicité de la communauté internationale. Dans l'Algérie convalescente qui peine à sortir du terrorisme et de la violence, la réconciliation nationale en gestation ne saurait se réduire à la promotion sociale de criminels sanguinaires, au silence imposé à leurs victimes et aux slogans indécents que des thuriféraires professionnels ânonnent à la gloire du régime et de son Président en exercice. Elle passe par la réhabilitation des réalités historiques, identitaires, culturelles et cultuelles nécessairement plurielles, prélude à la négociation d'un contrat de cohabitation qui en garantirait l'expression pacifique. Première étape vers une société enfin apaisée, l'état d'urgence doit être levé. Décrété en février 1992 pour combattre la terreur intégriste, il sert aujourd'hui de paravent aux pratiques autoritaires, à la violation des libertés, à l'arbitraire policier et à la soumission de la justice. Alors que des millions d'Algériens ont défilé spontanément dans tout le pays, sans incident majeur, le ministère de l'Intérieur continue de prohiber les manifestations pacifiques, n'accordant ses dérogations qu'aux clientèles du régime recrutées parfois dans les milieux les plus glauques. Malgré des salves conjoncturelles contre la « matrice idéologique du terrorisme » dans le discours d'officiels autorisés, l'intégrisme continue de rythmer le fonctionnement des institutions. C'est le ministère de l'Enseignement supérieur qui mène la croisade contre les derniers carrés de mixité dans les campus ; ce sont les forces de « l'Ordre » qui pourchassent les « dé-jeûneurs » de Ramadhan, persécutent les « pratiquants de culte non musulman sans autorisation », traquent la tendresse sans licence, et tabassent des jeunes filles coupables de fumer en public. Leur réquisitoire est imparable. C'est pour éviter, semble-t-il, à tous ces délinquants provocateurs d'être lynchés par des « conservateurs, jaloux de nos traditions », que les Bassiji en uniforme d'une République qui n'est pas officiellement islamique se chargent eux-mêmes de l'ignoble besogne.
Vers un état de droit
Pour consolider une paix factice dans la régression sociale, cette normalisation autoritaire avance comme un rouleau compresseur. Même les Verts, fraîchement auréolés de gloire, n'ont pas été épargnés par le contrôle bigot du politiquement correct. Sans doute trop adulés par les foules, les héros du Caire et de Khartoum ont été punis, dès leur descente d'avion, pour cet impardonnable blasphème. En les attendant au pied de la passerelle avec des bouquets de roses rouges, Abdelaziz Belkhadem officialisait dans un pathétique baiser de Judas l'illégitimité des milliers de jeunes filles qui avaient bravé le conservatisme et l'exclusion pour imposer une conviviale mixité dans l'espace public. Malgré tous ces guets-apens dressés sur les chemins de la liberté, il est encore permis d'espérer. La ferveur qui entoure l'équipe nationale pour l'accompagner jusqu'à Johannesburg, ne doit pas être détournée à la gloire du régime par de subtiles manipulations de l'ombre. Depuis octobre 1988, jamais conjoncture n'a été aussi favorable pour (re)mettre le pays sur les rails de la démocratie. La transition d'un système autoritaire et clanique vers un Etat de droit passe par la restauration des libertés — toutes les libertés individuelles et collectives —, l'abrogation des lois d'exception et le retour au droit commun. C'est la seule voie qui permettra à la confrontation pacifique de s'imposer comme une alternative crédible à la violence endémique, aux putschs à répétition, aux urnes à double fond, et à l' émeute légitimée comme ultime moyen de contestation.


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