Le Caire (Egypte) De notre correspondante Dans un quartier cossu du Caire, les habitants fêtent déjà la victoire du candidat issu de l'armée, Abdel Fattah Al Sissi. Depuis l'ouverture du bureau de vote, les enceintes crachent en boucle la musique de l'Emirati Hussein Al Jassmi. L'artiste, qui chantait déjà à la gloire de l'armée égyptienne en 2013, revient avec un nouveau tube appelant à une participation massive, d'Alexandrie à Port-Saïd. A Héliopolis, un quartier résidentiel où se succèdent grandes tours et quartiers pavillonnaires, entrecoupés de flamboyants en majesté, des femmes esquissent des mouvements de bassin sur cette chanson devenue l'hymne de l'élection. Alia Aly, présentatrice de télévision, attend ce jour depuis le 30 juin dernier, date à laquelle des millions d'Egyptiens ont déferlé dans les rues du pays pour réclamer la démission de Mohamed Morsi. Fille d'officier de l'armée, elle voue un profond respect à l'institution militaire. La seule qui, selon elle, peut sortir le pays de l'instabilité. «La confrérie avait une philosophie dangereuse» Alia fait partie de cette frange de la population qui n'a jamais adhéré à la révolution de 2011. Elle respectait Hosni Moubarak, même si elle concède qu'il a commis des erreurs dans la dernière décennie de sa présidence. Assise dans la cour de l'école, Tahami Mohamed ne franchit pas ce pas : elle ne regrette ni Moubarak ni le règne de son clan. Cette sexagénaire, au visage épargné par le temps, choisit pourtant de donner sa voix au candidat issu de l'armée. Pour elle, Al Sissi est l'homme qui a «débarrassé le pays des Frères musulmans» : «La confrérie avait une philosophie dangereuse : elle ne servait pas le pays mais les intérêts de ses membres. Dans mon quartier, chrétiens et musulmans vivent ensemble, je ne pouvais pas adhérer à leur discours fermé et exclusif.» L'homme et la confrérie dont il est issu n'ont pas laissé un bon souvenir aux habitants de ce quartier aisé. «Morsi s'appuyait seulement sur les pauvres. Ils ne savaient pas parler aux classes aisées», soutient Alaa Ali, un responsable clientèle. Comme beaucoup, il dit attendre que les affaires reprennent, après plus de trois ans d'instabilité politique. Noha Fahmy, étudiante dans une université anglaise, va plus loin : elle reprend mot pour mot la position du militaire. Comme une bonne élève devant son maître d'école. Lors d'une interview pré-enregistrée sur les chaînes Ontv et CBC, le candidat avait fait l'apologie du travail. L'adolescente poursuit : «Al Sissi ne parle pas comme tous les politiciens. Il est au-dessus de tout cela. Il y a des jeunes qui parlent, qui manifestent et après ? Il a raison, il faut se remettre au travail.» Si l'élection prochaine du maréchal Sissi ne fait aucun doute, cette dernière survient dans un contexte de répression. Peut-être étouffée le temps d'une journée par les klaxons. 41 163 Egyptien ont été arrêtés et poursuivis depuis juillet dernier, selon un rapport publié à la veille du premier tour par Wikithawra. Cette banque de statistiques en ligne estime que seulement 4% des arrestations sont liés à des actes de terrorisme.