«Les Egyptiens peuvent être fiers d'eux. Le monde entier les regarde. Avec la victoire d'Abdelfattah Al Sissi, c'est une nouvelle page d'histoire qui s'ouvre pour le pays», se réjouit une présentatrice de la Radio égyptienne au lendemain de la fermeture des bureaux de vote. Les premiers résultats confirment une écrasante victoire de l'ex-ministre de la Défense qui a récolté plus de 90% des voix. Son concurrent, le nassériste Hamdeen Sabahi, aurait obtenu 3 à 4% des suffrages. Ces résultats préliminaires ont été annoncés à l'issue d'un scrutin marqué par une forte abstention. Mardi 27 mai, le Premier ministre a subitement décidé de prolonger l'élection d'une journée afin d'impulser une participation en deçà des attentes. Elle s'élèverait à 44,4%, soit beaucoup moins que les chiffres espérés par le candidat de l'armée. A l'aube du scrutin, Abdelfattah Al Sissi avait plaidé pour une forte participation des Egyptiens, seul rempart contre une victoire à la Pyrrhus. «Il aurait dû tirer les leçons du référendum, la participation avait été faible, surtout chez les jeunes», déplore Zeineb Ali, médecin de profession. Cette cinquantenaire ne cache pas sa colère. Pour elle, les médias sont à l'origine de cette apathie : «Les présentateurs répètent depuis plus de dix mois qu' Al Sissi est notre sauveur et qu'il va gagner les élections. Ils se moquent de nous. Nous ne voulons pas d'un nouveau Moubarak !» Abstention Ces mêmes médias ont été les premiers à réagir à la faible participation. L'abstentionniste est rapidement devenu l'ennemi numéro, celui que l'on traque, que l'on menace d'une amende, que l'on range dans la catégorie des «traîtres». Mardi 27 mai, date à laquelle aurait dû se clore le scrutin, la participation plafonnait à 37%, un chiffre bien en dessous des 51% obtenus lors du second tour de l'élection présidentielle de 2012. Instabilité Le parti Justice et liberté, vitrine politique des Frères musulmans, s'est félicité du fort taux d'abstention significatif, selon eux, du poids de la confrérie dans le paysage politique. «Le grand peuple égyptien a donné une nouvelle gifle à la feuille de route du coup d'Etat militaire», a-t-il déclaré dans un communiqué officiel. La principale force de l'opposition a appelé ses partisans à boycotter un scrutin qu'il juge illégitime. Depuis le renversement de Mohamed Morsi le 3 juillet 2013, la confrérie a été l'objet d'une répression implacable : 1300 personnes tuées lors de manifestations, selon Human Rights Watch ; des milliers de sympathisants emprisonnés pour leur soutien à une organisation déclarée «terroriste». Abdelfattah Al Sissi a plusieurs fois répété que les Frères musulmans n'auraient pas droit de cité s'il est élu président de la République. Des déclarations qui signent la poursuite des arrestations dans les rangs islamistes. «Le risque est que la confrontation entre Al Sissi et les Frères crée une plus grande instabilité dans le pays , analyse Khalil Al Anani, politologue à l'université américaine de Johns Hopkins. «Al Sissi n'a pas d'autre stratégie que de maintenir cette répression. Mais je pense qu'il ne peut pas mettre fin aux Frères musulmans. La confrérie est un mouvement social enraciné qui peut s'adapter et répondre à cette violence.» Amnesty International craint un engrenage de la violence et des violations des droits humains après l'élection présidentielle. Répression A la veille du scrutin, huit activistes d'Alexandrie, dont la militante phare de la révolution Mahienour El Masry, ont été condamnés à deux années de prison pour avoir manifesté sans autorisation. Que vont devenir les milliers d'Egyptiens emprisonnés ces dix derniers mois ? Le pouvoir va-t-il desserrer l'étau ou, au contraire, continuer à museler toute opposition ? Si la page de l'élection présidentielle est presque tournée, l'avenir de l'Egypte, lui, demeure toujours aussi incertain. Certes le pays s'est doté d'un Président, mais la faible participation montre que sa popularité est limitée et qu'il devra rapidement répondre aux attentes de justice sociale et de stabilité. Interrogé lors d'une conférence organisée par l'Initiative égyptienne pour les droits personnels, un responsable du parti Al Nour, soutien d'Abdelfattah Al Sissi, a avoué que son parti n'avait pas de programme précis. «Nous avançons au jour le jour comme toutes les forces politiques de ce pays.»