Il pleut des cordes. A l'entrée, le fonctionnaire chargé de l'accueil de la presse fait contre mauvaise fortune bon cœur : «C'est bien pour les agriculteurs.» Rentrée pluvieuse, rentrée heureuse ? Depuis une heure déjà, l'homme distribue les badges aux journalistes qui se pressent dans le hall. TV, radios, agences, presse écrite, ils sont une centaine à avoir fait le déplacement pour le grand oral du Premier ministre. En attendant le début des hostilités, le zinc du rez-de-chaussée est pris d'assaut. Café à volonté. Députés et journalistes s'y croisent. Echangent. Sans surprise, la majorité espère à un discours qui consacre les orientations du programme présidentiel. L'opposition s'oppose. Au bout de l'escalier en colimaçon qui mène à la première salle de presse, les cameramen installent leur matériel pour ne rien rater des débats à venir. A 10h24, Abdelmalek Sellal prend la parole à la tribune : «Monsieur le président de l'Assemblée populaire nationale, Mesdames et Messieurs les députés…» Dix minutes plus tard, un journaliste s'est procuré le script du discours. Cohue indescriptible autour de lui pour savoir comment il a pu l'avoir. Un étage en dessous, les copies sont distribuées par la cellule de communication du Premier ministre. «Vous préférez en français ou en arabe ?», demande une conseillère. Le texte a été imprimé dans les deux langues. Le temps d'en prendre connaissance, le Premier ministre a déjà fini son speech. Larbi Ould Khalifa, président de l'APN, donne la parole au premier des orateurs, le député FLN Baha Eddine Tliba. Ils sont 325 à s'être inscrits pour interpeller le gouvernement. «C'est sûr qu'il va y avoir des séances de nuit», prédit une habituée des lieux. Et pour cause : chaque élu a droit à une intervention de sept minutes. Soit plus de 2100 heures de prises de parole à répartir sur quatre jours. Suspensions de séances comprises. «C'est long», soupire un journaliste. Un conseiller acquiesce : «Et dire que les députés réclament davantage de temps de parole…» Un autre pointe des questions déconnectées des prérogatives du gouvernement : «Certaines relèvent davantage du pouvoir du wali ou du chef de daïra.» Un ministre minimise : «Le problème, ce n'est pas tant la longueur des interventions, mais leur caractère un peu répétitif.» Potache 12h30. Les journalistes se précipitent à la sortie de l'hémicycle. Ou plutôt aux sorties. L'enceinte dispose d'une dizaine d'issues. L'une d'elles donne sur le hall central, une immense salle recouverte de marbre et portée par quatre colonnes. Une source indique que c'est par là que sortira Abdelmalek Sellal après la suspension de séance de 13h. Un mur de caméras se met en place. En vain. Le Premier ministre ne dira mot. «Ne vous fatiguez pas, il ne fera aucune déclaration avant jeudi», sourit un membre de son cabinet. BA.B-A. de la communication : ne pas parasiter son discours de politique générale par une autre expression publique. Les autres ministres se prêtent volontiers à l'exercice de l'interview. Amara Benyounès, en charge du Commerce, assure que les prix n'augmenteront pas pendant le Ramadhan. Tayeb Louh à la Justice revient sur le report de la mission du juge français Marc Trévidic. Amar Ghoul aux Transports déroule sa feuille de mission : construction de 12500 km de lignes à grande vitesse, désenclavement de l'intérieur du pays via le développement du réseau autoroutier, 16 nouveaux aéronefs pour Air Algérie et 27 bateaux pour compléter la flotte maritime. Pendant ce temps, les parlementaires rejoignent le restaurant qui leur est réservé au sous-sol de l'APN. Au menu : vol-au-vent et blagues potaches. «T'as l'air fatiguée», glisse un élu FLN à sa collègue du même groupe. «J'ai dormi chez ma sœur cette nuit, il faisait froid», se justifie la députée. Réplique du tac au tac : «Ça n'arriverait pas si tu acceptais de dormir chez moi.» A l'Assemblée comme ailleurs, les longs moments d'ennui favorisent les rapprochements. «T'es mon makrout au miel. On dîne ensemble ?», ose un parlementaire auprès d'une jeune journaliste. Au palmarès des dragueurs, les services du protocole n'ont pas à rougir de leur rang. Quand une star de la radio publique grimpe les escaliers qui mènent à la salle de presse, un conseiller du Premier ministre fait carrément mine de regarder sous sa jupe. Sous le regard hilare de l'assistance. A l'étage, une photographe et un fonctionnaire de l'APN font connaissance dans l'antichambre qui mène à l'hémicycle. Mezzo voce, certaines se plaignent du machisme ambiant. «Comme je ne porte pas le voile, un collègue m'a dit un jour que je devais sûrement fumer, raconte une jeune élue. Je lui ai répondu que je prenais carrément de la coke. Fallait voir sa tête !» Comptes L'actuelle Assemblée compte dans ses rangs un tiers de femmes. Lesquelles doivent taper ferme et dru pour se faire entendre. Illustration avec l'incident de séance provoqué lundi soir par Nadia Chouiter. Il est 20h40 quand la représentante du Parti des travailleurs met les pieds dans le plat en parlant des législatives anticipées. Bronca sur les bancs du FLN. Les élus encore présents tambourinent sur leurs pupitres pour manifester leur mécontentement. Nadia Chouiter ne se laisse pas faire. Hausse le ton. Dénonce la «pensée unique» et «l'idiotie» de certains. Un élu filme la scène avec son téléphone. Un autre menace de lui casser la figure. Impassible au premier rang, Abdelmalek Sellal observe la scène. Son service de sécurité intervient pour séparer les belligérants. Lies Saâdi du FLN y laissera sa veste, déchirée. A la sortie, l'incident est sur toutes les lèvres. «Ca fait deux ans que cette députée nous insulte, explique la majorité. Là, c'en est trop !» «Le problème, c'est qu'ils n'acceptent pas le débat contradictoire», avance la principale concernée. Cela ne suffira pas à solder les comptes. Le lendemain matin, les députés narrent de nouveau la scène aux journalistes absents à la séance de nuit. La rancune est tenace à la Chambre basse. Les anciens ministres en font les frais. «Heureusement qu'ils ont dégagé la folle de la Culture, confie un vice-président de l'APN. Elle n'avait plus d'amis ici.» A l'unisson, ses camarades se défoulent sur Khalida Toumi, jamais citée. «Elle nous méprisait parce qu'elle croyait que ministre, c'est plus important que député, rapporte un témoin. Personnellement, j'avais juré de lui rendre la vie impossible si elle était reconduite au gouvernement.» La nomination de Nadia Labidi a apaisé les esprits. «Elle a l'air douce. On va l'aider», promet une élue au conseiller de la ministre. Dans le hall principal, les petits nouveaux sont observés du coin de l'œil. «C'est qui lui ? Le ministre de la Justice, non ?» «T'es sûr que ce n'est pas celui du Travail ?» Un mois après le remaniement, les visages ne sont pas encore tous identifiés. Intervention Stars et inconnus cohabitent sur le banc du gouvernement. Certaines étoiles sont plus accessibles que d'autres. Dans les couloirs, le ministre de l'Habitat, Abdelmadjid Tebboune, et son collègue de la Santé, Abdelmalek Boudiaf, sont pris d'assaut par les députés. L'un et l'autre rassurent sur les projets en cours. Promettent d'étudier les doléances des élus. De débloquer certains dossiers. Tout aussi accessibles sont Tayeb Louh (Justice), Amar Ghoul (Transports), Nouria Yamina Zerhouni (Artisanat et Tourisme), Mohamed Mebarki (Enseignement supérieur) et Dalila Boudjemaâ (Environnement). Lorsque les ministres sont en séance, ce sont leurs conseillers qui nouent des liens. L'occasion de faire le point sur les dossiers de manière informelle. Une façon aussi de fluidier le travail interministériel. Le dossier «Constantine, capitale 2015 de la culture arabe» est évoqué. Tout comme l'installation de l'Autorité de régulation de la presse écrite et de l'audiovisuel. De temps à autre, un ministre traverse le couloir téléphone à l'oreille. «Il n'y a pas de réseau à l'intérieur de l'hémicycle», décrypte un fonctionnaire. Seul moyen de communiquer avec les édiles : rédiger des notes et demander au protocole de l'Assemblée de les transmettre. «Les ministres sont obligés d'assister aux débats sur le plan d'action, précise un conseiller. Pour autant, leur administration ne doit pas tourner au ralenti. Depuis dimanche, je fais des allers-retours entre le bureau et ici pour faire signer des papiers à la ministre.» A 21h30, Larbi Ould Khalifa sonne la fin de la classe. Au troisième soir des discussions nocturnes, la fatigue se fait sentir. «Oui mais c'est un moment important de la vie parlementaire, insiste Amar Ghoul. Le plan d'action du gouvernement et les discussions sur la loi de finances. Vous reviendrez, d'ailleurs ?» A coup sûr.