L'origine de la calligraphie arabe remonterait, pour certains chercheurs, aux Nabatéens, mais son développement est indissociable de l'histoire de la civilisation islamique. La nécessité de la rédaction du Livre Saint, ainsi que la multiplication des échanges, donc des correspondances, avec d'autres peuples a impulsé l'évolution de l'écriture arabe. Le style le plus ancien connu actuellement est le coufique (né dans la région de Kufa, actuel Irak) qui s'était imposé à l'époque abbasside pour la copie du Coran. Avec l'élargissement de l'aire géographique, de nouveaux styles ont vu le jour pour permettre d'écrire non seulement l'arabe mais aussi d'autres langues telles que le persan, le turc, l'indien ainsi que les langues africaines, dont le berbère. Chaque région et chaque dynastie a rivalisé de créativité dans cet art de l'écriture où se joue un constant dialogue entre forme et contenu, allant de la simple transcription aux compositions purement esthétiques. Sa fonction décorative est d'ailleurs largement utilisée dans l'architecture, la céramique ou la miniature. Aujourd'hui, la calligraphie arabe est le réceptacle de la diversité culturelle qui a caractérisé la civilisation islamique. Loin de se limiter au monde arabe, nous retrouvons en Turquie ou en Iran des écoles et des maîtres incontournables pour tout calligraphe. En effet, les particularités régionales sont désormais dépassées dans le monde de la calligraphie et le dialogue s'accompagne d'une saine émulation. Le calligraphe irakien, Ziad Haïdar Abdallah, rappelle non sans fierté que son pays est le berceau de cet art avant d'ajouter : «Aujourd'hui, les calligraphes des différents pays sont au même niveau. Ils apprennent tous des méthodes de référence disponibles sur le marché. Seulement, chaque calligraphe utilise les styles d'écritures à sa manière et se spécialise éventuellement dans l'un d'eux.» Mohamed Badaoui el Qotaïfani, président de l'Association internationale de calligraphie arabe et d'ornement islamique, esquisse tout de même une cartographie des styles calligraphiques avec le taâliq développé par les Iraniens, le maghribi qui caractérise les pays du Maghreb, et le naskhi et le thoulouth, très appréciés des calligraphes turcs. Il ajoute qu'avec la multiplication des échanges (voyages, festivals, internet…), ces particularités régionales ne sont plus vraiment d'actualité. Cela est d'autant plus vrai que la formation des calligraphes s'effectue souvent à cheval entre plusieurs pays. Sur ce plan, en l'absence de structures officielles d'envergure, l'autodidactie est encore la règle. La plupart des calligraphes actuels ont débuté en s'exerçant sur les cahiers des grands maîtres achetés en librairie ou téléchargés sur la toile pour les plus jeunes. Les vocations ne se forment plus dans le long fleuve de la transmission orale traditionnelle, mais à travers des rencontres heureuses qui changent une vie. Salah El Magbad nous confie que son histoire avec la calligraphie débute par un coup de foudre au premier regard ! «Après, je peux vous dire que c'est en rapport avec l'identité mais c'est surtout une affaire de sensibilité et d'imaginaire», ajoute ce calligraphe de Ghardaïa. Pour Mounib Ragib Ibrahim Obradovic, la rencontre relève plutôt du miracle en temps de guerre. L'homme admirait dès son plus jeune âge les ornements calligraphiés des mosquées de sa Bosnie natale. «Il y a une image qui me reste de la guerre, raconte-t-il. La plupart des mosquées étaient détruites, mais les murs portant des versets coraniques calligraphiés sont restés et j'ai vécu cela comme un véritable miracle.» Il a ensuite voyagé en Turquie et en Egypte pour parfaire sa formation académique, mais cette image primordiale ne l'aura pas quitté : «Aujourd'hui, ma spécialisation dans le style thoulouth est en partie due au fait que ces calligraphies rescapées de la guerre étaient réalisées dans ce style.» Parler de la calligraphie arabe, c'est aussi parler de l'actualité du monde arabe et musulman. Une actualité souvent difficile, à l'image des calligraphes irakiens qui œuvrent à perpétuer la tradition ancestrale en dépit de la guerre et son lot de tragédies et de difficultés quotidiennes. «Tel le phénix, nous tentons de renaître de nos cendres», résume Mohamed Ennouri. L'art est aussi un moyen de dépasser les conflits politiques et c'est la belle image que nous offre ce festival de la calligraphie où des Iraniens, des Saoudiens, des Syriens ou desTurcs dialoguent en toute sérénité et en toute amitié. Les passionnés de calligraphie se recrutent même en Occident, avec notamment la plasticienne marseillaise, Odette Monier, qui affirme que sa façon de peindre a été modifiée après sa découverte de la calligraphie. Depuis sa participation au dernier festival de la calligraphie et de l'enluminure, l'artiste a voulu approfondir sa pratique de la calligraphie. Elle nous revient cette année avec une nouvelle œuvre : «Avec la toile que j'ai amenée, c'est carrément le plus beau nom, celui d'Allah, que j'ai écris. Malgré tous les clichés sur l'islam, le public français est vraiment attiré, voire fasciné par cet art.» A l'autre bout du monde, la République Populaire de Chine accorde également un grand intérêt aux arts islamiques. C'est ce que nous dévoile Mohamed Yousuf Chan Kun, directeur de l'Institut des études islamiques et un des meilleurs calligraphes arabes de Chine. Depuis dix ans, Mohamed Yousuf a forgé son propre style en mêlant les calligraphies arabes et chinoises : «A côté de l'écrit arabe en style diwani, j'ajoute une traduction en caractères chinois, explique-t-il. Le pinceau et l'encre de Chine me permettent de réaliser des œuvres de grandes dimensions et j'utilise le qalam pour les caractères plus petits.» L'Algérie n'est évidemment pas en reste dans ce foisonnement. Mustapha Belkahla, commissaire du Festival international de la calligraphie, note une nette amélioration de la participation algérienne entre les six éditions. «Avec la présence de participants turcs, égyptiens, iraniens… cela crée une émulation et pousse nos jeunes à redoubler d'efforts pour se mettre au niveau international. Le festival permet de découvrir les talents et de les encourager. Par la suite, ces calligraphes participent à d'autres festivals dans le monde et obtiennent des prix, preuve de leur valeur artistique.» Le festival se veut donc un moyen de formation et cela se concrétise notamment par de nombreux ateliers durant son déroulement : «Nous essayons d'en programmer le plus possible pour profiter de la présence des sommités de la calligraphie.» Un des résultats de ces ateliers est que des Algériens ont appris à produire le papier nécessaire à la calligraphie, auparavant importé au prix fort et en quantités insuffisantes. Abderrazak Kara Bernou, fondateur de l'association Rakim, estime que ce festival marque le printemps de la calligraphie arabe en Algérie et vient couronner des rencontres nationales qui ont lieu à Médéa et Biskra depuis une dizaine d'années. Parcourant les œuvres exposées à Dar Mustapha Bacha, on remarque tout de suite que les jeunes calligraphes algériens se distinguent par un fréquent usage des techniques des arts plastiques (aquarelle, acrylique…) en dialogue avec la calligraphie classique. Nommées houroufiates, ces compositions à base de lettres arabes sont à mi-chemin entre la calligraphie classique et l'art abstrait. Salah Magbad, qui expérimente justement ce métissage, explique ce fait par l'histoire et la géographie algériennes. D'une part, les écoles d'art en Algérie sont encore marquées par l'enseignement des professeurs européens durant l'ère coloniale. D'autre part, la proximité de l'Europe fait que les échanges ou, du moins, la connaissance de l'art occidental est naturellement plus importante que chez les calligraphes du Moyen-Orient. «Certains diront que le mélange est souvent anarchique, note Magbad, mais les choses vont se décanter et nous allons vers la création d'un style particulier où l'on ne parlera plus de mélange.» Avec le renouveau que vit la scène calligraphique arabe ces dernières décennies (après une longue léthargie qui remonte à la chute de l'empire ottoman), de nouveaux défis se posent comme l'adaptation des caractères arabes aux supports numériques ou encore les nouvelles expérimentations qui posent la question des limites de la créativité dans cette discipline. «Le besoin d'une référence s'est fait sentir, explique le président de l'Association internationale de calligraphie arabe et d'ornement islamique. Certains noms ont été encensés aux dépens d'autres plus méritants. Notre but est justement de rappeler les critères qui font la calligraphie arabe authentique pour mettre de l'ordre dans ce foisonnement.» Ahmed Abou Sarir a justement axé son atelier sur les grandes possibilités créatives à l'intérieur même des règles de la calligraphie classique. Ce jeune calligraphe saoudien met en avant les multiples jeux sur la géométrie et rappelle que les règles elles-mêmes n'ont d'autre but que l'harmonie esthétique. Il prouvera par l'exemple ces possibilités créatives dans son atelier : «J'ai repris le proverbe de l'œuvre d'un participant au festival en proposant ma lecture qui est visuellement totalement différente de l'œuvre exposée.» Entre les tenants du code et les innovateurs, c'est l'éternelle bataille des anciens et des modernes qui s'actualise dans la calligraphie arabe comme ailleurs. Le débat n'est pas près d'être tranché, mais il témoigne manifestement de la vivacité de cette discipline artistique qui se développe au diapason des aspirations des sociétés. Entre tradition et modernité, c'est aussi notre histoire qui s'écrit en calligraphie.