Personne n'aurait jamais imaginé que le Front islamique du salut (FIS) dissous en 1992 par décision de justice pour avoir enclenché un cycle de violence qui a plongé le pays dans le sang, entraînant la mort de 200 000 personnes, tuant des centaines de ses meilleurs enfants, allait ainsi être au centre de toutes les manœuvres d'intérêts et de calculs aussi bien du pouvoir que de l'opposition. Alors que Madani Mezrag, ancien chef terroriste du bras armé du parti dissous, est invité par le pouvoir pour donner son avis sur la Constitution, Ali Djeddi, qui promettait le couteau du boucher aux Algériens qui refusaient leur théocratie, Kamel Guemazi et Abdelkader Boukhamkham flirtent avec l'opposition réunie en conclave mardi dernier à Zéralda. Si le pouvoir, on le sait, depuis l'arrivée de Abdelaziz Bouteflika à la présidence en 1999, a absous les crimes terroristes, en imposant une réconciliation au pas de charge, c'est un fait inexplicable et incompréhensible, cependant, que les démocrates n'envisagent leur union et leur avenir qu'en associant les résidus d'un parti qui considérait que la démocratie et les valeurs qu'elle incarne sont une impiété (kofr). L'on ne peut penser une seconde que les responsables du parti dissous aient évolué sur le plan doctrinaire, devenus par enchantement, 22 ans après, perméables aux idéaux démocratiques. Qu'à cela ne tienne ! les démocrates viennent de leur offrir une tribune inespérée pour un retour tonitruant sur la scène politique. Quel contraste nous a livré le camp démocratique la semaine dernière ! D'un côté la possibilité de dépasser les malentendus entre les démocrates à travers les images ayant immortalisé la rencontre entre l'ancien président du RCD, Saïd Sadi et maître Mokrane Aït Larbi, et de l'autre cette photo de mariage contre nature qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux, montrant l'accolade entre Saïd Sadi et l'ancien dirigeant du FIS, Ali Djeddi, tout joyeux de s'offrir la première occasion de prononcer un discours devant une aussi large assistance en faisant savoir qu'il était là au nom du parti dissous, sans oublier de transmettre d'ailleurs le salut de Abassi Madani et Ali Benhadj. Il faut dire combien Ali Djeddi et ses amis, qui voulaient embarquer avec l'ex-candidat à l'élection présidentielle du 17 avril dernier, Ali Benflis présent d'ailleurs à la conférence de Mazafran, ont tenu à participer à ce rendez-vous tant attendu qu'ils ont vite mis à profit pour sortir au grand jour deux décennies après avoir engagé le pays dans un cycle infini de violence. Peu importe de ce qu'il en adviendra, mais la conférence de Mazafran a désormais brisé la barrière psychologique du retour à l'activité politique, sous une forme ou une autre, des responsables du FIS dissous. Ces derniers peuvent même se targuer dorénavant de la caution démocratique, voire de l'aile historique la plus récalcitrante et de celui qui l'a symbolisée, des années durant, l'ancien président du RCD, Saïd Sadi. Si les participants ont souligné la nécessité d'arriver à une plateforme politique consensuelle, à la conférence de Mazafran, l'on a aussi beaucoup parlé du contrat de Rome ; le Front des forces socialistes qui a daigné participer pour la première fois, aux côtés du RCD, a rappelé, par la voix de son premier secrétaire Ahmed Betatache, la justesse de ses choix. Abdallah Djaballah et Ali Djeddi ont fait de même. Entre islamistes «modérés», et leurs ailes radicales, les voix des démocrates ont été à peine audibles. Ses derniers peuvent-ils enfin envisager leur avenir sans les islamistes après être finalement revenus de la mort ?