«Pour être éligible à la présidence de la République, il faut être de nationalité algérienne d'origine, de confession musulmane, avoir 40 ans révolus au jour de l'élection et jouir de la plénitude de ses droits civils et politiques», est-il stipulé dans l'article 107, repris presque mot à mot par la Constitution de 1989. Les décideurs à l'époque, c'est-à-dire l'armée, avaient le contrôle total sur le mécanisme de désignation ou d'élection à la Présidence. Depuis 1962, en effet, le Président et l'armée sont demeurés les deux faces de la même pièce. Même la Constitution de 1989, qui a consacré la séparation des pouvoirs, n'avait rien changé à cette logique. En vérité, aucun président algérien n'a été élu dans le cadre de cette Constitution dite de la démocratie. Le système algérien calcule tout ce qui est lié à la fonction présidentielle, cœur symbolique du pouvoir, alors qu'un projet de réforme constitutionnelle doit faire sauter ces verrous qui maintiennent la tutelle sur le peuple, estime Abdallah Haboul, ex-magistrat et spécialiste en droit public. L'article 73, tel qu'il est élaboré dans le projet de réforme, obéit à la même logique hégémonique et passéiste du système. D'où la stérilité du débat amorcé voilà deux semaines avant que les voix, sans doute motivées par de bonnes volontés, ne s'éteignent comme un feu de paille. Idées reçues Il y a comme un engourdissement intellectuel qui plombe le débat et profite à l'initiateur de cette réforme. Et même quand des voix s'élèvent pour apporter une critique, le fond est rarement touché. La suppression de la condition de la participation du père à la révolution de Novembre 1954 et la peur exprimée par des Algériens quant à la possibilité offerte aux descendants de harkis de briguer le poste suprême pourraient être une manœuvre de diversion pour éloigner le débat de fond sur les véritables enjeux que comporte le projet de réforme en général, et sur cet article fondamental et déterminant pour l'avenir du pouvoir, en particulier. Contrairement aux idées reçues, les conditions liées à la nationalité algérienne du conjoint, la justification de la participation à la Révolution pour les candidats nés avant juillet 1942 et la justification de la non-implication des parents du candidat né après juillet 1942 dans des actes hostiles à la Révolution sont des points introduits en 1996 par Liamine Zeroual. Même la Constitution du parti unique n'avait pas imposé de telles conditions qui entravent le libre choix. Quelle était l'arrière-pensée des décideurs ? Et pourquoi a-t-on choisi l'année 1942 et le mois de juillet comme limite ? Le texte de Zeroual est une Constitution de crise. Une forme de défense naturelle à un moment de fragilité de l'Etat et de la nation algériens. Les islamistes, dont l'image était alors ternie par un terrorisme sanguinaire, étaient tout proches de prendre le pouvoir par les urnes. «Le système verrouille ainsi le jeu pour que le pouvoir n'échappe pas aux moudjahidine et barre la route, conséquemment, à la génération de l'indépendance», poursuit M. Haboul. A ce moment aussi, émerge le concept controversé de famille révolutionnaire. Débat biaisé Le message est clair, le flambeau ne sera pas transmis de sitôt. Mais si ces conditions devaient répondre à une conjoncture précise, «pourquoi les maintenir aujourd'hui ?» s'interroge Abdallah Haboul. «C'est bête de concevoir une loi pour la génération post-indépendance avec ces verrous», regrette-t-il. En tout cas, c'est en contradiction, selon lui, avec l'article 29 de la Constitution qui assure que «les citoyens sont égaux devant la loi sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, d'opinion ou de toutes autres conditions ou circonstances personnelles ou sociales». Ce même article 73 contient d'autres aberrations, affirme M. Haboul, notamment la justification de la non-implication des parents dans des actes hostiles à la Révolution. «Mais qui est l'autorité habilitée à délivrer une telle attestation ?» s'insurge notre interlocuteur. Le débat est pollué aussi par des idées érigées en constantes nationales, sorte de lignes rouges non négociables, et toute velléité de discussion est stigmatisée. C'est le cas pour ces générations nées de parents impliqués ou présumés impliqués dans des actes hostiles à la Révolution, condamnés à payer les fautes de leurs parents. Pourquoi serait-il un sacrilège d'en parler autrement ? Idem pour la condition de confession musulmane, qui se trouve en contradiction avec l'article 36 de la Constitution, lequel garantit la liberté de conscience aux Algériens. Mais voilà qui renvoie à un autre sujet de controverse, l'article 2 de la Constitution. Est-ce un tabou d'en discuter la pertinence aujourd'hui ?