Le débat autour de la liberté de manifester occupe de nouveau l'actualité suite aux manifestations du mouvement Barakat réprimées par la police. Les ténors de l'autorité publique et les partisans de Bouteflika défendent le choix d'interdire les manifestations publiques à Alger et se positionnent derrière une prétendue disposition juridique. Et si cette interdiction qui date de 2001 n'était qu'un coup de bluff ? C'est l'avis de Abdallah Haboul, ex-magistrat et syndicaliste pour qui tenir des réunions publiques est un droit et une liberté fondamentale du citoyen, garanti par la Constitution. Selon lui, «les références juridiques relatives aux réunions et aux manifestations publiques n'autorisent ni ne permettent au gouvernement ni à l'autorité administrative d'interdire l'exercice de ce droit sur une partie ou tout le territoire national». L'article 41 de la Constitution, placé sous le chapitre Droits et Libertés, stipule en effet que «les libertés d'expression, d'association et de réunion sont garanties au citoyen». Edifiant ! Sauf exception, définie clairement par des textes dûment établis, signés et publiés sur le Journal officiel de la République algérienne, tout manquement à ce principe est considéré comme une violation de la loi fondamentale. Existe-t-il une exception juridique ? Avant de répondre, un petit rappel de l'évolution des textes juridiques relatifs à ces libertés est nécessaire. La Constitution du 28 novembre 1996 a été votée par le peuple et non pas par le Parlement. Elle est encadrée par la loi 89/28 du 31 décembre 1989, relative aux réunions et aux manifestations publiques, fruit de l'ouverture démocratique provoquée par les événements d'Octobre 1988. A cette époque, les Algériens pouvaient battre le pavé à leur guise. La réglementation était basée sur un système déclaratif. Toute organisation désireuse de tenir une manifestation publique devait juste déposer une demande, 5 jours à l'avance, auprès du wali, lequel devait délivrer un récépissé sur le champ. Cette loi fut amendée en décembre 1991 suite à la grève du FIS (dissous en 1992), avant que l'état d'urgence ne soit décrété en février 1992, suite à l'arrêt du processus électoral, prolongé par un décret législatif en 1993. Le système déclaratif est remplacé par un nouveau dispositif qui soumet les demandeurs à une autorisation administrative préalable à toute action. La parenthèse des manifestations publiques, lesquelles avaient transformé l'Algérie en pays libre et démocratique, a été ainsi fermée. Mais en dépit des conditions exceptionnelles et l'insécurité qui ont caractérisé les années 1990, il y a eu de nombreuses manifestations, notamment la marche du 22 mars 1993 contre le terrorisme. Quelle base juridique ? L'intronisation de Abdelaziz Bouteflika en 1999 était censée lever les interdictions et renforcer les libertés en parallèle avec le retour de la paix. Rien n'en fut ! Au contraire, en juin 2001 et suite à la marche des archs du 14 juin, le gouvernement, à l'époque présidé par Ali Benflis, décide, par réaction aux dérapages de la marche et qu'on a voulu imputer aux organisateurs, de renforcer le dispositif liberticide en interdisant les manifestations à Alger. Une interdiction qui va permettre à Bouteflika et son pouvoir de jouir longuement de la tranquillité au détriment de l'opposition et son droit de s'exprimer publiquement. C'est la démocratie qui va prendre un coup sévère au nom de la stabilité. L'opposition aura beau clamer son droit à manifester, Bouteflika ne fera lever l'état d'urgence qu'en 2011, alors qu'Alger demeure interdite aux voix non acquises au pouvoir en place. Mais c'est sur le terrain juridique que le pouvoir est contesté et mis au défi de fournir la base légale de l'interdiction. Abdallah Haboul est formel : «En ce qui concerne l'existence d'une interdiction des manifestations publiques qui toucherait la wilaya d'Alger, la question qui se pose est de savoir qui est l'autorité qui a pris cette décision ? S'agit-il d'une décision émanant du Premier ministre par décret exécutif ou alors prise par le ministre de l'Intérieur par arrêté ? Dans ces cas, il n'existe aucune trace sur le JO. La troisième supposition est que la décision soit prise par le wali d'Alger, mais même dans ce cas, il faut la porter à la connaissance du citoyen, soit par voie d'affichage, soit sur les actes administratifs, et ce pour permettre au citoyen qui se sent lésé de prendre l'initiative pour se défendre, y compris devant la justice». A ce jour, la décision derrière laquelle se justifie le gouvernement est un texte fantôme. Si l'acte juridique en question existe, les Algériens en général et les Algérois en particulier peuvent s'adresser à la justice pour attaquer et invalider cette décision administrative. En l'absence de ce texte, sachant qu'il n'est pas paru dans le Journal officiel, les Algériens seraient victimes d'un bluff qui engage la responsabilité politique des auteurs de l'interdiction, à leur tête le président de la République.