L'Irak s'enfonce dans la crise à trois jours d'une nouvelle séance de son Parlement, le Premier ministre chiite Nouri al-Maliki insistant pour rester en poste malgré les appels aux «sacrifices» face à l'offensive d'insurgés sunnites. Au pouvoir depuis 2006, M. Maliki a remporté les élections législatives du 30 avril mais son autoritarisme et son choix de marginaliser pendant des années les minorités sunnites et kurdes limitent ses capacités de rassemblement pour éviter le chaos. Cet homme austère de 64 ans, qui a passé des années en exil en Iran et en Syrie, a cependant promis vendredi qu'il n'abandonnerait «jamais». Il garde le soutien de nombreux Irakiens, essentiellement chiites, d'autant qu'aucune figure susceptible de rassembler ne se détache dans la classe politique. Après une séance inaugurale catastrophique marquée par des insultes et une grande confusion le 1er juillet, le nouveau Parlement doit se réunir mardi pour se choisir un président, puis élire un président de la République chargé de désigner le prochain Premier ministre. Le président du Parlement sortant, le sunnite Oussama al-Noujaifi, a renoncé vendredi à briguer un nouveau mandat, expliquant dans un appel indirect à M. Maliki que la situation actuelle exigeait «des sacrifices». La situation est de plus compliquée par la décision du président du Kurdistan irakien Massoud Barzani de demander au Parlement de la région autonome d'organiser un référendum en vue de l'indépendance. Cette perspective, très mal accueillie par les Etats-Unis, semblait en revanche attendue avec résignation par la Turquie, qui a longtemps redouté qu'elle n'englobe à terme ses propres zones à majorité kurdes. Ankara a engagé un processus de paix avec les Kurdes turcs et noué une alliance avec les Kurdes irakiens afin de lutter contre la menace djihadiste et de défendre des intérêts économiques et stratégiques croissants au Kurdistan irakien. Sur le terrain, alors que le jeûne du ramadan limite les possibilités d'action dans la journée, les forces irakiennes piétinaient, en particulier dans leur contre-offensive sur Tikrit (nord). SANCTUAIRES DEMOLIS Selon l'agence officielle iranienne Irna, un pilote iranien a été tué dans des combats en Irak, alors que Téhéran réaffirme régulièrement son choix de ne pas envoyer de troupes en soutien à l'armée irakienne. Ce colonel a été tué en «défendant» des lieux saints chiites dans la ville de Samarra, au nord de Bagdad, a expliqué l'agence sans préciser si le pilote était mort en vol ou au sol. Pour appuyer sa contre-offensive contre les insurgés, Bagdad a reçu dix avions Sukhoï, annoncés comme venant de Russie mais dont certains pourraient en fait venir d'Iran selon des experts. Samarra abrite un mausolée chiite dont la destruction partielle dans un attentat en 2006 avait déclenché un conflit entre chiites et sunnites qui a fait des dizaines de milliers de morts. Vendredi, 15 personnes y ont été tuées dans un attentat suicide contre un poste de contrôle tenu par des soldats et des volontaires. Depuis près d'un mois, des insurgés sunnites menés par les djihadistes ultra-radicaux de l'Etat islamique (EI) ont pris le contrôle de vastes pans de territoires dans le nord, l'ouest et l'est de l'Irak. L'EI continue parallèlement d'accroître son emprise sur des régions importantes dans le nord et l'est de la Syrie voisine, après avoir annoncé l'établissement d'un «califat» sur les territoires conquis à cheval entre la Syrie et l'Irak. Hier, l'influent prédicateur qatari Youssef Al-Qaradaoui, considéré comme l'éminence grise des Frères musulmans, a affirmé qu'une telle démarche de la part d'un groupe «connu pour ses atrocités et ses vues radicales» était contraire à la charia (loi islamique). Dans la région de Mossoul (nord), contrôlée par les insurgés, les combattants de l'EI ont démoli au nom de la lutte contre «les idoles» plusieurs sanctuaires sunnites, soufis et chiites et occupaient deux cathédrales orthodoxes, selon des habitants et des photos diffusées par l'EI. A Bagdad, encore épargnée par les combats même si de nombreux volontaires ont rejoint des milices chiites pour résister aux insurgés, certains habitants attendaient de voir la crise passer, semblant plus préoccupés par les difficultés à respecter le jeûne du ramadan en pleine canicule. «Nous avons traversé la guerre Iran-Irak, le blocus de l'ONU, deux guerres du Golfe...», expliquait Sabah al-Kaabi, un tailleur de 43 ans, soutien indéfectible de M. Maliki. «Ceci n'est rien».