Ne vous fiez pas à sa silhouette délicate. Nabila, la vingtaine, est capable d'éteindre un feu avec des gants, de se hisser le long d'une corde ou encore de soulever un homme à terre. Comme tous les après-midi à la caserne d'El Harrach, les pompiers de la Protection civile s'entraînent à affronter tous les dangers. Cet été, ils ont été sur bien des fronts : les accidents de la route, les noyades, les incendies (voir encadré). Jeunes moins jeunes, bacheliers ou ingénieurs, femmes et hommes évoluent au sein de la Protection civile qu'ils définissent comme «une grande famille». Assise, le visage souriant, la moue timide, Meriem Nouri explique d'une voix calme son engagement dans la Protection civile : «Toucher à tous les domaines peut me permettre de m'épanouir dans plusieurs disciplines (plongée, escalade, etc., ndlr) que je n'aurais peut-être pas pu aborder ailleurs.» Après des études en psychologie et en sport, le sergent Nouri intègre en 2012 la Protection civile, à l'issue du concours d'entrée débouchant sur une première formation qui fournit les bases du métier. «Mais on ne se limite pas aux formations initiales, nous sommes en perpétuel apprentissage», ajoute-t-elle. Le rythme de travail et les responsabilités que lui impose sa profession ne sont pas pour lui déplaire. Réveil matinal, entretien des 24 logements de la caserne, activités physiques, culturelles, entraînements et exercices de sauvetage, les journées à la caserne sont très chargées et ne laissent place au répit qu'à partir de 23h, heure du couvre-feu. Confiance «On ne dort pas vraiment pendant nos 24 heures de service. Il faut se tenir prêt à intervenir si l'alarme retentit», explique le sergent Nouri, qui n'appréhende plus les moments d'intervention devenus courants pour elle et ses coéquipiers. Le délai de préparation au départ ? Une minute en journée et deux minutes pendant la nuit ! «Quand on sait qu'intervenir une minute trop tard peut coûter la vie à une victime, on ne réfléchit pas à deux fois avant de monter dans le camion.» La jeune sergent s'interrompt et salue ses collègues, entrés dans le bureau et se joignant à leur tour à la conversation. Le docteur Naïma Flici, la quarantaine, a intégré la Protection civile en 2008. Auparavant en poste dans un centre hospitalo-universitaire, elle évoque le changement observé entre les interventions dans le milieu médical et sur le terrain : «Nous n'agissons pas dans un cadre médical, où l'on dispose des conditions idéales pour soigner un patient. Lorsque nous sommes appelés pour une urgence, nous ne savons jamais à quoi nous attendre, ni dans quelles conditions nous allons être amenés à travailler.» En effet, lorsqu'elle doit intervenir, docteur Flici est assistée par une équipe d'agents, dont une partie reçoit un enseignement paramédical dispensé en milieu hospitalier. Pour Fouzia Benemri, agent de terrain depuis 2009 et détentrice d'une formation paramédicale, la création d'un «lien de confiance», «le travail au plus près des familles en se mettant à leur service» sont les aspects du métier qu'elle préfère. C'est ce goût pour l'écoute qui a orienté la jeune femme vers une future spécialisation en transmission et communication de données. «Vous sentez toute la confiance que les gens ont en vous quand vous passez le pas de la porte. Ils sont tout de suite plus sereins.» Des histoires indélébiles, ils peuvent en raconter des dizaines. Pouls Il y a le cas de cette petite fille coincée dans les décombres lors d'une explosion de gaz à Bab El Oued : «Lorsque je l'ai trouvée, je me suis précipitée pour prendre son pouls, se souvient Dr Flici. Quand j'ai vu qu'elle respirait et qu'on pouvait la faire sortir des décombres, j'étais incroyablement soulagée.» Meriem Nouri évoque, elle, sa première intervention, un enfant heurté par une voiture sur la chaussée Mohamed Tigheristin, elle en a plein la mémoire. Surtout pendant la décennie noire : «Parfois je ferme les yeux, et chaque trait des visages des victimes se dessine dans ma mémoire. Je pense ne jamais pouvoir les oublier.» Après la pause-déjeuner, de 15 minutes, les pompiers rejoignent les vestiaires pour se préparer au rassemblement. Mouloud Aziz, responsable des formations au sein de la Protection civile, accompagné de Naïma Flici, présente les équipements transportés dans les véhicules d'intervention, stationnés en rang. L'homme porte sous un bras un agenda et montre de l'autre le matériel d'intervention mis à disposition des agents. Moniteurs, trousses de premiers secours, minerves, mais aussi les cordages ignifuges et équipement d'escalade. Mouloud Aziz insiste sur le fait que «le citoyen n'est pas encore assez informé, il n'a pas toujours les bons réflexes. Par exemple, s'il est témoin d'un incident de la route, il arrive qu'il ne contacte pas directement la Protection civile». Escalade L'alarme retentit, les agents, vêtus de combinaisons bariolées de bandes jaunes fluorescentes et un casque gris métallique qui reflètent la lumière éblouissante du soleil, se mettent en rang et s'alignent dos aux véhicules d'intervention. Le regard droit, fixé sur l'horizon, impassible. Un de leurs supérieurs se met face à eux, tenant entre ses mains une liste d'appel. Les agents répondent, tour à tour lorsque leur nom est prononcé, par un bref «hadhir». Une fois l'appel terminé, les agents se dispersent afin d'exécuter une simulation de sauvetage : une victime est au sol, il faut l'évacuer, sous le regard attentif de Mouloud Aziz. L'exercice terminé, les agents procèdent à la vérification du matériel de tous les véhicules avant de rejoindre pour certains les salles de sport, et pour d'autres, le club d'échecs. Restent deux agents, que Mouloud Aziz décrits comme de «bons escaladeurs». «J'aime beaucoup l'escalade, la sensation d'adrénaline que l'exercice procure est incomparable», confie Nabila. Tous deux arborent un équipement «à la pointe de la technologie», commente le responsable de la formation en désignant du doigt les baudriers d'escalade et les mousquetons que porte Nabila autour de sa taille. Après avoir fixé les cordes à la rampe d'escalier de secours du bâtiment, les coéquipiers se hissent au sommet de ce dernier puis se laissent glisser le long de la corde pour redescendre. Une fois les pieds à terre, Mouloud Aziz les félicite et note les progrès effectués «grâce à leurs entraînements réguliers». A 16h, la cour retrouve son calme. Un calme précaire susceptible d'être brisé à tout moment par le signal d'intervention.