Beaucoup d'entre eux passent leurs vacances d'été au bled (l'Algérie), mais pas pour s'y installer. Le manque de communication entre ces derniers et leurs cousins algériens est derrière de nombreux malentendus qui conduisent des fois au rejet de l'autre. Portraits. Algérienne en France, française en Algérie Houria, la trentaine, mère au foyer, est une fille d'émigrés algériens originaires de Cherchell, Tipasa. Rencontrée lors de son séjour de vacances en Algérie, elle parle de la relation qu'elle entretient avec la patrie de ses parents. «De bonnes relations ! Malheureusement trop brèves car trop loin. Le fossé qui nous sépare est quand même conséquent, mais il y a un réel plaisir de revenir en Algérie». Son sentiment d'appartenance à l'Algérie ou à la France est indécis. «En France, je me sens parfois plus algérienne, car dans les yeux des gens nous sommes avant tout des enfants d'immigrés, et en Algérie on nous fait clairement comprendre que nous ne sommes que des émigrés. C'est dur de trouver sa place.» Elle espère que les générations futures arriveront peut-être à se situer. «Pour cela, il faudrait qu'ils se battent deux fois plus pour y arriver.» Concernant ses prises de position relatives à l'actualité algérienne, son constat est amer. Elle incombe la responsabilité aux gouvernements algériens. «On ne nous permet pas de nous impliquer en Algérie. Il n'y a pas d'organisme, tout passe par la corruption. Sans communication il n'y aura rien. Nous n'avons que les journaux algériens pour suivre l'actualité.» Interrogée sur un éventuel retour et installation en Algérie, notre interlocutrice semble hésiter : «J'aime l'Algérie, mais j'ai 3 enfants et la France est une chance pour eux. J'aimerais qu'ils trouvent une voie qui leur permettra de faire évoluer ce pays.» Du Chaâbi dans les Hauts-de-Seine La peau mâte, grand de taille de plus de 1,80 m, Kamel, 38 ans, habite les Hauts-de-Seine. Calme et nostalgique, son style musical tend vers le chaâbi, il est fan des regrettés El Hadj El Hachemi Guerrouabi et de Warda El Djazaïria. Chaque année, il vient en Algérie pour se rendre sur la tombe de sa chère mère. Plein de souvenirs le tourmentent : «Quand je pense à ma mère, j'ai les larmes aux yeux, car je me dis qu'elle a quitté son pays, sa famille pour aller dans un pays où elle ne connaissait personne, ni même la langue. L'émigration était dure pour les anciens plus que pour nous qui sommes nés en France, et qui avons fait des études. J'ai une question que j'aurais voulu poser à ma mère : si elle a regretté d'avoir quitté son pays pour aller en France, ou encore, si elle avait eu le choix, serait-elle venue en France ? A cœur ouvert, Kamel parle de sa relation avec l'Algérie, des fois avec regrets. «Quand on va au bled, on n'est pas traité comme des Algériens. En France, on ne sera jamais français même si on y est né.» Concernant le phénomène de la discrimination, il avoue en avoir été victime : «J'ai été victime de discrimination à cause de mes origines algériennes, mais indirectement dans les administrations et dans les transports en commun.» Kamel évoque aussi ce qu'il qualifie d'anormal : défiler en France avec l'emblème algérien après un match de football. «Voir le drapeau algérien sur les Champs Elysées après un match de foot n'est pas normal, car on ne permettra jamais à des Français de brandir un drapeau français dans les rues d'Alger.» «Je choisirai la nationalité qui me facilitera la vie» Sabrina Sebaïhi, en vacances avec son père Hadj Mouloud âgé de 79 ans, dont elle prend soin, a sillonné plusieurs wilayas. La dernière étape du périple est Béjaïa, la ville natale du patriarche. Pour elle, le choix entre deux nationalités ne se pose pas. «Honnêtement, je choisirai la nationalité qui me facilitera administrativement et internationalement les choses. C'est la différence entre nos parents qui sont nés en Algérie et qui n'accepteront jamais la nationalité française, et nous enfants d'émigrés qui sommes nés en France.» La jeune femme évoque aussi les différences et l'écart qui séparent les deux pays. «L'Algérie a ses propres lois et ses propres codes qu'il faut accepter. Il est possible d'y passer d'agréables vacances, mais s'y installer ou y investir n'est pas chose facile pour une jeune femme vivant en France. Imaginez un peu une jeune femme française qui débarque avec un projet et un certain capital dans un monde d'hommes. Je ne veux pas dire qu'en France il n'y a pas de corruption, mais les taxes sont légalisées. On appelle cela la corruption légale.» «On est pris en otage par nos parents» Inès, originaire de Tizi Ouzou, est chargée de recrutement dans une entreprise en France. D'après son expérience dans le domaine, les chances de travail pour les Algériens et Maghrébins en général s'amenuisent. «Il y a de la main-d'œuvre étrangère, des Portugais, des Roumains, des Polonais. Maintenant, il y a même celle des Chinois et des pays de l'Est. Ces derniers se font exploiter, ce qui n'est plus le cas pour les Maghrébins qui connaissent maintenant les lois et ne tolèrent pas le fait d'être exploités. Ceci dit, le Maghrébin est de plus en plus poussé vers la porte de sortie.» Selon elle, la crise identitaire que traversent les enfants d'émigrés émane de leurs parents, de leur éducation. «Je prends pour exemple mon père qui a 68 ans. Il vit en France depuis 50 ans, mais il est incapable de faire une phrase correcte en français. Il ne cesse d'évoquer le retour en Algérie. Or, il n'y a rien qui le lie au bled, si ce n'est l'amour de la terre. On est pris en otage par nos parents. Personnellement, je n'ai aucune honte à dire que je suis algérienne, et je reconnais aussi ce que la France m'a donné et apporté et bien sûr que je le dois à mon travail.» Le sentiment de rejet que subissent les Franco-Algériens est compréhensible pour Inès. Elle incombe la responsabilité à ces derniers mêmes. «On n'est pas accepté en tant que Français, car cela vient de nous-mêmes. Etre français pour nous, c'est plus une commodité administrative, mais adhérer aux valeurs françaises, on pense que notre culture prime.» Une situation qui a généré une perte de soi de beaucoup d'enfants d'émigrés. «Ils n'ont réussi nulle part, ni à l'école, ni dans leur propre famille, ni dans la société. Ils ne peuvent pas se projeter dans un avenir meilleur si ce n'est dans le fanatisme religieux qui les récupère et qui leur vend des illusions», dira-t-elle.