L'écrivain raconte comment la guerre d'Algérie continue dans les consciences et les inconscients. La rentrée littéraire de septembre 2009 en France a été plutôt décevante malgré l'inflation de titres. En dehors de quelques livres distingués par des prix littéraires ou portés par de fortes promotions, le bouche-à-oreille reste le meilleur moyen pour une œuvre de survivre à cette profusion et d'éviter le purgatoire du pilon. Dans ce capharnaüm éditorial, le roman de Laurent Mauvignier Des Hommes , publié aux Editions de Minuit, émerge du lot par sa thématique et son écriture. Le roman revient sur la guerre d'Algérie mais avec un traitement loin des idéologies de célébration qui font dans l'apologie de l'œuvre coloniale ou de la souffrance des rapatriés. L'écriture, sans sombrer dans le style savant, donne plus de crédibilité aux personnages. En un mot, les instances d'énonciation épousent les contours du statut social et professionnel des différents protagonistes. Déléguer la narration à une chorale de voix met à l'abri contre les abus des vérités dogmatiques. Après avoir posé en préambule ces quelques remarques théoriques, l'histoire du roman démarre sur l'anniversaire de Solange, quelque part dans la France profonde. Son frère Bernard, connu pour être un alcoolique notoire sans le sou, lui remet en guise de présent un bijou d'une grande valeur. Comme on est dans un village où tout le monde se connaît, des questions se posent sur la provenance de cette richesse soudaine. L'assistance spécule sur l'affaire jusqu'à oublier ce moment de convivialité que constitue l'anniversaire. Bernard suscite une deuxième inquiétude dans cette journée particulière. Et c'est Rabut, cousin de Bernard, qui, avec son langage particulier, emmène les lecteurs sur le sentier des travers de ce personnage qui ne laissent personne indifférent. On découvre que quelques heures auparavant, Bernard avait commis un viol sur une femme respectable de son village. Cette femme est l'épouse de Said Chefraoui. Tout de suite, chez Rabut, le passé resurgit pour expliquer cet attentat à la pudeur. En effet Rabut, Bernard et Février ont participé à la guerre d'Algérie dans la région d'Oran. Ils sont partis au début de 1960 pour faire le coup de feu au bled. Cette expérience a laissé des séquelles car, comme le dit si bien l'auteur à la page 135 : « Certains parmi eux ont vu les corps après les bombardements au napalm, les petits tas noirs des corps carbonisés et des membres intacts, d'autres ont eu le sexe fendu par la gégène, ils ont échappé à la mort par miracle, ils ont vu des soldats tuer des hommes à coups de pierre et des filles de douze ans s'abandonner à eux sans pleurer ; alors maintenant ils n'ont pas peur et ils attendent, ils ont la patience pour eux ». Ce reflux des événements et l'ampleur des violences subies par le peuple algérien ont creusé dans les consciences de certains de ces soldats des sillons de haine. C'est ce qui a conduit Bernard à commettre l'irréparable. Rabut comprend par là l'origine de ses insomnies car il avait longtemps mis le couvercle sur cette période de sa vie. Mauvignier a réussi avec ce roman à replacer la mémoire au centre des préoccupations humaines et montrer que l'occulter nuit gravement à la tranquillité de l'esprit Laurent Mauvignier. Des Hommes. Roman. Les Editions de Minuit, 2009.