-Pourquoi le gouvernement veut-il réformer le code du travail ? Les rares déclarations des responsables du ministère du Travail expliquent que la future loi réunira dans un seul texte toute la législation du travail qui se trouve éparpillée et qu'aucun droit acquis des travailleurs ne sera remis en cause. Seul le patronat a exprimé sa satisfaction. Les syndicats autonomes l'on rejeté, ainsi que la base syndicale de l'UGTA. Cette réforme ne se justifie pas et l'avant-projet, s'il venait à être adopté, inaugurera une ère de régression sociale qui aboutira à une fracture sociale aux conséquences imprévisibles. Jamais dans aucun pays du monde une réforme de la législation du travail n'a apporté autant de remises en cause simultanées comme le fait cet avant-projet. Pour moi, cette réforme va dans le mauvais sens. On va passer du droit du travail protecteur des salariés au droit du travail protecteur du capital. Ce nouveau code va remettre en cause le contrat social qui est le produit du Mouvement de libération nationale qui a vu les travailleurs et les syndicalistes consentir des sacrifices pour l'édification d'un Etat national libre, fort et indépendant, où règne la justice sociale. J'espère que cette réforme ne sera pas mise en place. Le jour de la diffusion par le ministre du Travail de l'avant-projet, les représentants des organisations patronales avaient émis le souhait que tout soit bouclé avant le 1er janvier 2015. Mais depuis les déclarations de rejet des organisations syndicales, le gouvernement semble prendre son temps et annonce 2015. Espérons que d'ici là, un véritable SMIG syndical mobilisera dans l'unité l'ensemble des forces syndicales, les travailleurs ainsi que les forces politiques qui leur sont favorables afin de faire échouer cette régression sociale. -Quels sont les principaux points de la réforme ? Cette réforme va consacrer un nouveau contrat social où le travailleur sera considéré comme une simple marchandise. Comme changements, on aura la généralisation du CDD et la diversification des formes de contrat de travail précaires. Des facilités de licenciement à moindre coût, même sans raison, seront accordées à l'employeur qui aura par ailleurs les pouvoirs absolus et injustifiés d'aménager unilatéralement les horaires de travail, de prolonger leur durée, de reporter la journée de repos hebdomadaire et de la fixer par roulement. La définition du travail de nuit a été revue pour éviter des majorations de la rémunération horaire, et l'interdiction d'y affecter les femmes ou les apprentis a été levée. Le travail des mineurs ne sera plus interdit, comme ne sera pas interdite dans la pratique l'affectation des femmes et des mineurs à des travaux dangereux ou dont l'effort exigé dépasse leur capacité. Les pouvoirs de contrôle et de poursuite de l'inspecteur du travail seront revus à la baisse et la justice du travail ne sera plus du côté de la partie faible du contrat, c'est-à-dire le salarié. Enfin, les droits syndicaux et de grève connaîtront un autre tour de vis et le droit à la négociation collective et à la participation sera limité. -Des «surprises» attendent alors les travailleurs si ce projet de loi venait à être adopté… En termes de recrutement, l'employeur pourra recourir au CDD qu'il pourra renouveler trois fois sans limitation de la durée maximale cumulée pour l'ensemble des travailleurs, s'il lance la production d'un nouveau produit par exemple. Il pourra recourir à sa guise à l'emploi temporaire ou de sous-traitance. La période d'essai d'un CDD sera d'une année, durant laquelle il pourra licencier le travailleur sans aucun droit et sans aucune explication. Cette période dans la majorité des pays, y compris chez nos voisins, est d'un mois. Pour être recevable, la demande de reclassification en CDI d'un travailleur titulaire d'un CDD devra être introduite auprès du juge durant l'exécution de la relation de travail, ce qui expose le travailleur à des mesures de rétorsion de la part de l'employeur. Il faut préciser que les titulaires de CDD sont, la plupart du temps, victimes de discrimination en termes de salaire, d'avancement, de conditions de travail et autres avantages. Et pour mesurer l'ampleur de cette précarité, il faut savoir qu'en Algérie, les CDD représentent plus de 40% de la structure de l'emploi salarié total et il n'est pas rare de trouver des travailleurs en CDD durant dix, voire quinze ans grâce aux techniques d'espacement des dates entre deux contrats. L'employeur pourra licencier un travailleur en CDD ou en CDI pour raison économique, moyennant la modique somme de trois mois de salaire. Il pourra le faire aussi par rupture conventionnelle (qui n'est qu'un licenciement à l'amiable mais sous pression) ou par la technique de la fermeture de l'entreprise sans aucun droit pour les travailleurs. -Quelles seront les conséquences sur le marché de l'emploi ? Cet avant-projet introduit une grande diversification des formes juridiques du contrat de travail précaire. A côté du CDD qui sera généralisé et du travail partiel, le nouveau texte introduit le travail intérimaire et le contrat de sous-traitance qui sont les formes les plus précaires de l'emploi, exposant leurs titulaires à une vulnérabilité plus grande. Ces changements auront pour conséquence d'aggraver la précarité qui caractérise déjà l'emploi en Algérie. Il n'est pas vrai de dire que cette flexibilité va «capter l'informel» ; au contraire, c'est ce dernier qui va se substituer au salariat avec une loi caractérisée par son ineffectivité relative qui va «tolérer» les infractions. Comment expliquer, par exemple, que le secteur privé qui emploie trois millions de salariés hors secteur informel (chiffres de l'ONS-2013) ne cotise à la CNAS que pour 1.5 million de salariés (données CNAS 2013-2014) ? Cette réforme va amplifier les inégalités socioéconomiques. -C'est un projet qui portera, comme vous dites, atteinte au droit syndical… D'abord, à travers la précarisation, cette réforme aboutira à l'individualisation de la relation de travail et des salaires qui affaiblira les syndicats et la négociation collective. Tous les obstacles actuels qui limitent le droit des travailleurs de constituer, sans distinction de nationalité ni autorisation préalable, des organisations syndicales de leur choix et de s'y affilier ont été maintenus, comme a été maintenu le droit octroyé à l'administration d'imposer un arbitrage contre la volonté des travailleurs dans la Fonction publique. Ces atteintes seront renforcées par d'autres obstacles, dont la condition de 25 membres fondateurs résidant dans un tiers des wilayas du pays pour constituer un syndicat à vocation nationale, de même pour créer une fédération ou une confédération syndicale. La disposition qui permet, sur la base de l'interprétation restrictive d'une vague formule, à l'administration d'interdire les grèves et à la justice de statuer sur leur illégalité suite aux plaintes déposées par les employeurs a été maintenue. Le préavis de grève doit être déposé obligatoirement contre récépissé. Comme pour la fondation d'un syndicat, le récépissé équivaut à une autorisation à obtenir simultanément de l'employeur et de l'inspecteur du travail pour faire grève. L'employeur sera juge et partie : en cas de grève avec occupation des locaux, il pourra licencier les travailleurs et, fait nouveau, les syndicalistes qui y participent.