D'habitude, le terme choc pétrolier est un concept utilisé par les économistes des pays développés lorsque les prix des hydrocarbures connaissent des hausses vertigineuses. Cela induit un grand nombre de déséquilibres et d'efforts d'ajustement à faire pour eux. Mais une chute brutale et prolongée cause également des ravages pour les économies qui dépendent principalement de l'énergie. Parler de choc est également approprié pour ces pays, sinon plus que pour les pays développés, car ces derniers sont mieux outillés pour faire face à la stagflation (récession doublée d'une inflation) qui s'ensuit. Pour les pays développés, c'est un contre choc, mais pour nous c'est un choc pétrolier. Le marché de l'énergie est l'un des plus imprévisibles au monde. Les paramètres à suivre sont multiples et variés : les traditionnelles offre et demande, les aspects géopolitiques, l'état de l'économie mondiale, les produits de substitution, etc. Ceci pour dire que personne ne sait à coup sûr comment évolueront les cours et à quelle période de temps. Mais la crise est là pour les économies qui sont vulnérables, dont la nôtre. Plusieurs propositions circulent pour éviter des situations désastreuses dans quelques années. La plupart des idées avancées constituent des pistes peu élaborées, des replâtrages, des intuitions qui ne peuvent pas améliorer substantiellement les choses. Plusieurs experts ont prévu cette situation que j'ai développée dans mon dernier ouvrage La décennie de la dernière chance. Je suis sûr que si les prix pétroliers venaient à se redresser, on abandonnerait toute solution de recherche d'amélioration. Certains préconisent l'austérité, d'autres de continuer à financer notre économie comme par le passé en espérant tirer des dividendes des infrastructures créées. Une troisième voie consiste à mettre en place des politiques de limitation des importations. Toutes ces propositions contiennent quelques germes de bon sens, mais demeurent quelque peu insuffisantes eu égard à l'immense défi qui nous attend. Quelques pistes : Bonnes mais insuffisantes Aujourd'hui, nous connaissons beaucoup sur les pays émergents d'un point de vue théorique et pratique. Nous ne sommes plus au début des années quatre-vingt-dix où les pays et les économistes tâtonnaient parce qu'on n'avait ni modèle théorique ni expérience pratique de transition à analyser. Nous disposons de beaucoup plus d'outils et de cas pratiques qui peuvent nous inspirer. Certes, les sciences humaines sont loin de dégager des lois déterministes et universelles comme la physique. Mais elles sont très précieuses. Certains avancent l'excuse de la spécificité historique et culturelle. Ils ignorent qu'on a des outils pour les intégrer dans l'analyse (management interculturel). Ceci dit, nous sommes dans la situation de la Malaisie et de l'Indonésie dix ans avant pratiquement l'arrêt des exportations pétrolières. Ces deux pays avaient engagé une course contre la montre pour diversifier leur économie juste à temps. Le succès était loin d'être garanti. L'austérité, donc la réduction des dépenses, nous permettra de résister plus longtemps avec les ressources disponibles. Mais les retards sociaux vont s'accumuler. Si on construit moins de logements, l'écart qui est déjà insurmontable va se creuser davantage. Il y a des politiques de logement qui peuvent réduire l'écart tout en diminuant les coûts ; mais elles ne semblent pas attractives pour les pouvoirs publics (voir La décennie de la dernière chance). Ces options semblent être écartées. Réduire les subventions serait une autre piste. Mais nous n'avons pas le système d'information qu'il faut et les mécanismes managériaux pour subventionner directement les plus nécessiteux. On pourrait alors réduire ces subventions par cinq sans affecter les citoyens qui en ont le plus besoin. Malheureusement, l'organisation des institutions publiques ne le permet pas. Réduire les dépenses d'infrastructures inutiles (les éternelles réfections de trottoirs) est une piste qui dégagerait quelques économies, mais pas au point de peser sérieusement sur les conséquences néfastes de la crise. Libérer réellement les initiatives privées règlerait en grande partie le problème. Nous avons des dizaines de dossiers d'investissements gelés qui auraient pu créer des millions d'emplois. Il faut les libérer pour renforcer nos capacités de riposte. Une Riposte efficace nécessite d'accepter la réalité d'abord Un pays sage apprend de ses réussites, de ses échecs et de celles des autres, tout en s'informant sur comment les adapter à son contexte. Les chercheurs parlent beaucoup de modestie dans le champ de la gouvernance. Cette dernière amène les décideurs à se conformer à la plupart des principes des sciences modernes. Nous avons besoin d'une reconfiguration totale de notre économie tellement elle est disloquée. Il faut reconnaître la dure réalité que sans les hydrocarbures, notre pays se situerait parmi les nations pauvres de la planète. Dans plusieurs discours, le président de la République disait qu'en dehors des hydrocarbures nous n'avons pas d'économie. Cette assertion demeure malheureusement vraie. On ne peut faire des progrès que si l'on reconnaît cette triste réalité. Certes, nous avons des îlots d'exception ; mais nettement insuffisants pour permettre l'espoir. Au lieu de donner des recommandations techniques, je me limiterai à deux idées importantes. Ce choc doit nous interpeller pour réviser toutes les politiques économiques inopérantes. Nous devons avoir la plus large concertation possible pour profiter de l'intelligence de tous nos nationaux ; mais le plan final sera proposé aux décideurs par une commission de nos meilleurs experts (une cinquantaine) dans des domaines divers : agriculture, industrie, économie du savoir, etc. Les orientations politiques doivent être claires : revaloriser le travail, la science et la solidarité. Qualifier les gens et décentraliser devraient être les directives clés de la nouvelle politique économique. Aujourd'hui, on sait comment développer un pays même sans ressources (Corée du Sud, etc.). Alors, qu'attendons-nous pour mettre l'Algérie en marche ?