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Un des chevaliers de l'ombre de la lutte de Libération nationale
Publié dans El Watan le 14 - 12 - 2014

Au sein de ce comité, j'avais la responsabilité du district du Bd Cervantès. Ahmed El Kaba en faisait partie avec Abdelkader Bouda. Rapidement, notre organisation prenait de l'ampleur. Nos réunions se déroulaient parfois dans la fameuse grotte de Cervantès, parfois dans la forêt des Arcades toute proche. En 1943, sous la pression des Alliés, la France fut contrainte de fermer le camp de concentration de Djenane Bourezg où était enfermé Si Ahmed Bouda.
Libéré, Si Ahmed Bouda, qui gérait une petite crémerie dans le quartier, nous réunissait dans la soupente de son petit magasin. Ahmed El Kaba habitait le même immeuble que Si Ahmed Bouda au 8 Bd Cervantès. Quelques mois avant son décès, El Kaba accorda un entretien à une radio périphérique d'Alger, entretien au cours duquel il révèle un grand nombre de faits et d'événements qui se déroulèrent avant et pendant la période de la guerre de Libération nationale.
Il rend alors hommage à certains militants d'alors, véritables «chevaliers de l'ombre» du Mouvement national et de la résistance. Il commença à rendre un vibrant hommage au grand militant Radjef Belkacem, ainsi qu'à Fillali Embarek et Cheikh Banoune qui furent pour lui une école du sacrifice et du dévouement pour la cause nationale. Il les avait côtoyés lors de son affectation en France par le parti. En effet, Radjef Belkacem jouissait parmi les militants et la direction du parti de considération et de respect.
Je me rappelle que lors du premier congrès du PPA à Alger, les 15 et 16 février 1947, congrès qui créa l'Organisation spéciale (l'OS), branche armée du parti, les séances se déroulaient sans interruption sous la présidence de Messali. Celui-ci, lorsqu'il était contraint de se retirer momentanément, cédait la présidence de la séance à Radjef Belkacem. Ce qui prouve l'estime et la haute considération dont jouissait ce dernier auprès de tous les congressistes. Aussi, El Kaba avait une admiration sans borne pour Radjef Belkacem auquel il rendra un vibrant hommage.
Adhérent de l'Etoile nord-africaine (ENA), membre du comité de direction en 1937 et membre fondateur du Parti du peuple algérien (PPA), Radjef Belkacem, après l'indépendance, s'occupa des enfants de chouhada. Il est mort dans l'anonymat total. El Kaba évoqua également deux autres figures du nationalisme algérien : Fillali Abdellah dit Embarek dit El Kheffif et Bannoune Akli. Fillali Abdellah est natif de la région de Collo. Il passe sa jeunesse à Constantine. Chassé par le chômage, il s'installe en France en 1934 et adhère à l'Etoile nord-africaine dont il sera membre de la direction dès l'année 1936.
Après la dissolution de ENA, il participe à la création du Parti du peuple algérien (PPA). Il accompagna Messali à la préfecture de police de Paris pour déposer les statuts du nouveau parti le 11 mars 1937. El Kaba rappelle, ce que peu de personnes savaient, que Fillali qui avait la responsabilité de l'Organisation du PPA en Oranie à la fin de l'année 1945 et que, déguisé en paysan marocain, il assista à son propre procès au tribunal de Saïda, alors qu'il est déclaré en fuite. Le tribunal le condamne à mort par contumace. Le parti lui confia par la suite la responsabilité de son imprimerie clandestine. Cette imprimerie, révèle El Kaba, était située à El Kadous, près de Birkhadem, dans la cave du directeur français de l'époque du Crédit lyonnais.
Le gardien du domaine, Si Hassen, avait mis la cave de cette villa à la disposition du parti. Autre figure du nationalisme algérien qui eut une forte influence sur El Kaba lors de son séjour en France en qualité de responsable régional du PPA, dans la région de Marseille, c'est le militant Banoune Akli dit Cheikh Banoune. Ce dernier, né présumé en 1889 en Kabylie, s'expatrie en France en 1916 à la recherche du travail. Il est recruté comme ouvrier pour remplacer les travailleurs français envoyés combattre sur le front. Après la Première Guerre mondiale, il reste en France et s'y établit. Benoune Akli rencontre Si Djilani et participe à la première réunion qui, le 16 mai 1926, décide la création officielle de l'Etoile nord-africaine (ENA).
Il est membre de son comité central. Après la dissolution de l'ENA en 1929, il refuse la tutelle du parti communiste français (PCF) et suit le groupe qui se constitue autour de Messali. En mai 1933, l'ENA est relancée et c'est Banoune Akli, membre du comité de direction, qui met son local à la disposition de l'Etoile après que celle-ci ait été chassée d'un immeuble appartenant à un groupement de coopérateurs à direction communiste. La majorité de son temps est consacrée à l'activité de l'ENA.
Il lui est arrivé de louer à ses frais un car pour emmener les travailleurs, le 18 octobre 1934, à un meeting. Pendant la Seconde Guerre mondiale, après avoir été arrêté à plusieurs reprises, il fut dirigé vers un camp de concentration en France puis transféré en Allemagne en mai 1944. Libéré en juin 1945, il rejoint le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). Vieux militant courageux, pionnier de la lutte pour la libération de l'Afrique du Nord, Cheikh Bannoune est mort à Alger en 1983 dans l'anonymat le plus complet. Ahmed El Kaba, dans son entretien à la radio, déplore vivement la méconnaissance de l'Algérie indépendante et notamment les autorités officielles de la valeur et des sacrifices de ces pionniers du XXe siècle de la lutte du peuple algérien pour sa libération des griffes du colonialisme français.
El Kaba se rappelle que tout jeune, il accompagnait Si Ahmed Bouda dans ses tournées le soir, soit pour des réunions clandestines, soit à des fêtes de mariage où Si Ahmed Bouda ne manquait jamais de prendre la parole pour faire passer le message afin que le peuple algérien s'organise pour la lutte contre le colonialisme français. A cette époque, les maquisards de la Kabylie se réfugiaient à Alger, notamment à Belcourt où ils étaient comme des «poissons dans l'eau». Parmi ces glorieux maquisards, il y avait particulièrement Krim Belkacem et Amar Ouamrane.
A propos du défilé du 1er mai 1945 organisé par le PPA à l'occasion de la fête du travail, El Kaba rappelle que les instructions du parti étaient catégoriques : «Ne pas avoir même une épingle dans la poche». Les mots d'ordre étaient : «Libérez Messali», «Libérez les détenus politiques». Au cours du défilé, El Kaba se trouve au 2e rang derrière El Ghazali Belhaffaf qui était à la tête du cortège. Une brigade de police arrive et tente de bloquer le cortège. Belhaffaf brandit alors le drapeau algérien et crie : «En avant !». La police française réagit violemment et commença à tirer. Belhaffaf tomba le premier, suivi de Boualemellah Ahmed dit Gada, du boulevard Cervantès et Abdelkader Ziar, de Saint Eugène (actuellement Bologhine). Il y eut des dizaines de blessés. Une semaine après à Sétif, le 8 mai 1945, le même scénario s'est reproduit mais avec une ampleur terrifiante.
Un simple défilé pacifique pour célébrer la victoire des armées alliées sur le nazisme, à laquelle des milliers d'Algériens ont participé, a été transformé par les tenants du colonialisme en un massacre épouvantable à Sétif, Guelma et Kherrata, se soldant par la mort de plus de 45 000 Algériens assassinés par les colons, les soldats français et sénégalais, ainsi que des miliciens locaux. La première victime fut le jeune scout Saal Bouzid qui portait le drapeau algérien. Il fut abattu froidement par le commissaire de police de Sétif parce qu'il a refusé de se dessaisir du drapeau qu'il portait en tête du cortège.
D'ailleurs, quelques jours avant ce massacre épouvantable, lors de notre procès devant le tribunal militaire de la rue Cavaignac, le 4 mai 1945, le commissaire du gouvernement de l'époque, le capitaine Difranco, requit contre nous des peines de travaux forcés à temps en évoquant la tuerie du 1er mai 1945 de la rue d'Isly (actuellement Larbi Ben M'hidi). «Le sang a coulé dans les rues d'Alger, cria-t-il et parmi les responsables, vous en avez certains devant vous !», en pointant le doigt vers nous qui étions sur le banc des accusés avec un regard plein de haine.
Si Ahmed Bouda fut condamné à 20 ans de travaux forcés par contumace, Tazir M'hamed Bacha à 12 ans de travaux forcés, et Stamboul Nourredine à 10 ans de la même peine, avec pour tous les condamnés confiscation des biens présents et à venir. En septembre 1948, raconte El Kaba, il est contacté par Aït Ahmed qui lui demande s'il dispose d'armes de poing. Suite à sa réponse affirmative, il lui annonce que Ouali Bennaï, alors grand responsable PPA de la Kabylie, vient d'être arrêté à Oran.
Et que certainement il sera conduit à Tizi Ouzou par la PRG qui le fera transiter par la préfecture d'Alger, siège de la police des renseignements généraux, dirigée à l'époque par le commissaire divisionnaire Costes et son adjoint le commissaire Touron. Aït Ahmed insiste pour que Ouali soit absolument libéré par tous les moyens, soit à la rentrée, soit à la sortie de la préfecture d'Alger. El Kaba fit appel à deux militants du PPA connus pour leur courage et leur témérité : Abdelkader Bouda, neveu de Si Ahmed Bouda, et Abdelkader Taglit. Le jour venu, le petit groupe s'installa sur la Rampe Bugeaud, (actuellement Bd Ben Boulaïd), face à l'entrée de la préfecture, prêt à entrer en action pour libérer Bennaï Ouali.
Après plusieurs heures d'attente, ils voient arriver vers eux, d'un pas nonchalant, Aït Ahmed qui leur annonça que Si Ouali a été conduit directement d'Oran à Tizi Ouzou. El Kaba rappelle qu'à l'époque, Aït Ahmed était responsable de l'Organisation spéciale (l'OS), mais il s'était abstenu d'avoir recours à cette organisation pour une simple action ponctuelle, réservant l'implication de l'OS pour l'avenir, c'est-à-dire le déclenchement de l'insurrection à l'échelle nationale.
Élections législatives françaises de 1946
La décision du parti de participer aux élections législatives françaises de 1946 a semé le désarroi au sein des jeunes militants organisés, structurés et auxquels les dirigeants ont toujours prôné la préparation de l'action directe armée, voilà qu'on nous propose la voie des élections malgré le fait du trucage érigé en institution par l'administration coloniale, pour le deuxième collège réservé aux «indigènes». C'est alors que les responsables du parti nous ont expliqué que cette participation nous permettra de «dénoncer les Français chez eux».
En militants disciplinés, continue El Kaba, nous nous sommes engagés dans cette bataille électorale. Malgré les pressions, les menaces et tous les moyens d'intimidation d'une administration omniprésente et omnipotente, aidée par les béni oui-oui, le parti a quand même réussi à arracher cinq sièges de députés. Au Parlement français, à l'occasion du débat sur le statut de l'Algérie en novembre 1946, nos cinq représentants n'ont pas manqué de «dénoncer les Français chez eux».
L'intervention la plus impressionnante et la plus pathétique qui a galvanisé toute la jeunesse algérienne de l'époque fut celle du docteur Mohamed Lamine Debaghine, député de Constantine. Il a débuté son discours ainsi : «Mesdames, Messieurs. Mes collègues du groupe pour le Triomphe des libertés démocratiques en Algérie, qui m'ont précédé à cette tribune, ont amplement démontré, s'il était encore besoin de le faire, que la colonisation a été pour notre malheureux pays une véritable catastrophe, et ceci à tous les points de vue. Mais ce serait une très grande erreur de croire, par exemple, que le désir d'indépendance du peuple algérien provient uniquement du fait que la colonisation n'ait pas réussi au sens matériel du mot.
Cela signifierait, par exemple, que si la colonisation s'était traduite dans le domaine matériel par une amélioration du standing de vie de la population musulmane, cela nous aurait peut-être amené à concevoir de bonne grâce la perte de notre personnalité, de notre souveraineté, de notre culture. Il n'en est rien. Quand bien même la France aurait réalisé des merveilles dans ce qu'elle appelle sa colonie d'Algérie, quand bien même toutes les faussetés qu'on colporte à l'avantage de la colonisation seraient vraies, quand bien même le peuple algérien, de misérable qu'il était à ce qu'on nous assure, sous sa propre loi, serait devenu, par la vertu des baïonnettes françaises, le peuple le plus sain, le plus cultivé, le plus prospère…»
L'orateur est alors interrompu par le ministre français de l'Intérieur. Lamine Debaghine reprit la parole et répliqua en ces termes : «Je suis ici pour dire la vérité et je continuerai. Mes paroles ne dépassent pas ma pensée et je répète ce que je disais devant le juge d'instruction.
N'oubliez pas, mesdames et messieurs, l'Algérie est une nation. Elle a été une nation et a été souveraine. Seule l'agression de 1830 lui a fait perdre sa souveraineté.
On a trop tendance à l'oublier. Par exemple, l'affirmation répétée à tous les instants, aussi bien par le gouvernement que par les membres-mêmes de cette assemblée, que l'Algérie constitue tantôt comme une partie intégrante de la France, tantôt trois départements français, tantôt comme on vient de le dire une collectivité territoriale de la République française, est une affirmation unilatérale, dénuée de tout fondement. De plus, les traités conclus entre l'Etat algérien et les nations, telles que l'Angleterre, les Etats-Unis et la France elle-même, prouvent que l'Algérie était considérée comme une nation souveraine.
Bien mieux, non seulement la France a échangé des instruments diplomatiques qui ne laissent aucun doute sur la reconnaissance de la souveraineté de l'Algérie à cette époque, mais encore — et cela on ne le sait pas suffisamment — il y a eu au XVIe siècle une véritable alliance entre la France et l'Algérie. Et une alliance ne peut se conclure qu'entre deux Etats souverains et non entre un vassal et un suzerain.
Par ailleurs, l'Algérie était à ce point considérée comme un Etat souverain par la France elle-même, qu'en 1793, pendant la guerre que celle-ci soutenait contre l'Europe entière, aussi bien pendant la Révolution que pendant le consulat, la France jugea que seule la nation algérienne, qui était à cette époque souveraine, pouvait la ravitailler en blé, en chanvre pour les cordages de ses navires, en chevaux, et même lui prêter gracieusement de l'argent.
Cela s'est produit en 1797. Depuis, il est vrai, il y a eu 1830. Le peuple algérien a lutté. Plus de deux millions de ses enfants sont tombés entre 1830 et 1857 dans la guerre d'indépendance. En 1830, il y a eu l'agression impérialiste par désir de lucre et de conquête. L'histoire du blé de Bacri et Busnach le prouve amplement. Le plus fort s'est jeté sur le plus faible et il en est résulté t'état de fait que nous étudions aujourd'hui…
Sa solution du point de vue du droit des gens, au point de vue du droit strict, au point de vue du droit international, ne peut être autre chose que l'évacuation de d'Algérie par les troupes françaises, la restitution des terres expropriées à leurs légitimes propriétaires, la restitution des médersas à la culture arabe, la restitution des mosquées à la culture musulmane. Veut-on une solution qui soit basée sur la justice ? C'est le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes que nous réclamons, nous Algériens, et ce droit, nous avons conscience de l'avoir chèrement acquis par nos sacrifices au cours des deux guerres mondiales durant lesquelles nous avons contribué à préserver de l'esclavage des peuples actuellement libres, mais qui peut-être ne l'étaient plus après 1940.
Le peuple algérien nous a mandatés, nous élus nationalistes algériens, pour proclamer au peuple français et au monde entier que l'Algérie ne reconnaît pas l'état de fait créé par la conquête de 1830, que l'Algérie n'est pas française, qu'elle ne l'a jamais été et qu'elle ne reconnaît pas à la France le droit de lui donner un statut quel qu'il soit et, qu'au surplus, aucune solution ne peut être acceptée par le peuple algérien si elle n'implique pas au premier chef la garantie absolue d'un retour à sa souveraineté nationale.
C'est pourquoi nous réclamons l'élection d'une Assemblée constituante algérienne, souveraine, élue au suffrage universel, sans distinction de race, ni de religion. C'est la seule solution qui, en postulant le retour à la souveraineté nationale de notre peuple, constitue par là-même la solution juste et démocratique du problème algérien.»(1) Ainsi, après avoir dénoncé le colonialisme français chez lui en 1946, comme on vient de le lire, l'Algérie combattante a été contrainte, le 25 août 1958, soit douze ans après, de porter sa guerre de Libération en France-même, comme l'a rappelé le professeur Daho Djerbal, historien et enseignant à l'université, lors d'une conférence qu'il a animée à la médiathèque Amara de Chéraga, le 25 août 2014, à l'occasion de la célébration du 56e anniversaire de l'ouverture du second front : «L'objectif était clair.
Il fallait cibler les points névralgiques de l'économie française pour affaiblir et épargner les populations civiles pour ne pas donner une image de barbares ou de criminels. Seules les personnalités politiques connues pour leur hostilité et leur haine envers l'Algérie, les harkis, et les officiers supérieurs de l'armée et de la police française sont ciblés. En portant ainsi la guerre de Libération de l'Algérie en France-même, les maquis de la Kabylie, des Aurès et de l'Ouarsenis ont été relativement soulagés de la pression de l'armée coloniale, obligeant celle-ci à consacrer une partie de ses effectifs à la protection des sites stratégiques en métropole.»
L'éminent professeur ajoute : «Le 25 août 1958 reste pour moi une date à graver en lettres d'or dans le parcours de la lutte menée par la communauté algérienne immigrée en plein cœur du territoire ennemi. Je compare cette date à celle du 20 août 1955, jour de l'offensive du Nord constantinois menée par Zighout Youcef». Ali Haroun, l'un des dirigeants de la Fédération de France, invité du «Forum de la Mémoire» organisé par le quotidien El Moudjahid, a apporté un témoignage précis sur l'ouverture du second front sur le territoire de l'ennemi : «L'ouverture d'un second front en métropole avait démontré que la Révolution était l'œuvre du FLN.
Parmi les objectifs assignés à la Fédération, en plus de l'organisation, il fallait mener des actions de sabotage sur le territoire de l'ennemi. Le but étant d'attaquer le potentiel économique de la France coloniale. Pour cela, les commandos ont été formés dans les bases de l'ALN au Maroc.» (Il serait juste de mentionner ici que l'insurrection du 1er Novembre 1954 en Algérie a accéléré le processus de libération des pays frères voisins, le Maroc et la Tunisie, et par la suite la décolonisation de toute l'Afrique.
Cela doit être rappelé sans aucune autoglorification. C'est une donnée factuelle et une vérité historique). «Le 25 juillet 1958, une réunion est tenue à Cologne, en Allemagne, pour faire le point sur cet objectif et surtout fixer une date. C'est ainsi que la date du 25 août 1958 est retenue comme jour J ; cette nuit, près de 80 actes de sabotage sont réalisés. Plus que ce qui a été fait lors de la nuit du 1er novembre 1954». Ali Haroun regrette que ces actions héroïques ne soient pas connues. «En l'espace d'un mois, dira-t-il, une centaine d'attentats ont été enregistrés et d'énormes dégâts matériels occasionnés à l'ennemi avec 80 morts dans les deux camps. A cela s'ajoute un grand nombre d'arrestations et de condamnations à mort.»
Ainsi, après avoir dénoncé le colonialisme français au sein-même de l'Assemblée nationale française, le peuple algérien, à travers le FLN, porta la guerre sur le territoire français, obligeant la France à conserver des contingents entiers de soldats en métropole afin de protéger les sites stratégiques. Le départ de Ahmed El Kaba en France, après le défilé du 1er Mai, et les manifestations du 8 Mai 1945, célébrant la victoire des Alliés contre le nazisme, à laquelle ont participé des centaines de milliers d'Algériens, une répression féroce s'abattit sur le peuple algérien. Elle s'étendit à tout le pays.
Ainsi, à Belcourt, plus de 300 arrestations ont été opérées, parmi lesquelles il y avait Ahmed El Kaba. Tous les détenus ont été emprisonnés à la prison de Bab El Oued, actuellement siège de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN). Cette prison militaire comprenait dans son sous-sol plusieurs voûtes qui, selon certains historiens, servaient de marché aux esclaves durant la période ottomane. C'est dans cette prison, révèle El Kaba, pendant leur détention, qu'il a connu Amar Ouamrane, Askri Kaddour, H'cène Sadoune et Mohamed Benmokadem, enfermés dans les cellules de la voûte réservées aux condamnés à mort. Ils formaient le groupe de Cherchell, où Ouamrane était en garnison à cette époque. Ils étaient poursuivis pour complot contre la souveraineté française.
La loi française d'amnistie de janvier 1946 a permis la libération de tous les détenus politiques de cette période, hormis ceux dont les actions furent considérées par les autorités coloniales comme relevant du droit commun. Libéré, El Kaba est convoqué par Benkhedda, alors secrétaire général du MTLD. Il lui annonça qu'il a décidé de l'envoyer en France pour lui éviter une nouvelle arrestation qui pourrait lui coûter cher, d'une part, et d'autre part que le parti avait besoin là-bas, pour son organisation, de militants aguerris. C'est ainsi qu'El Kaba devient permanent à plein temps du parti en 1950, avec un salaire de misère, précise-t-il. A Paris, il est reçu par M'hammed Yazid, responsable, en ce temps-là, de l'organisation du parti en Europe.
Moussa Boulkarma de Skikda était alors responsable de la délégation permanente du MTLD à Paris. Yazid annonça à El Kaba qu'il était affecté à Marseille. Ce dernier se rappelle qu'on était en plein mois de Ramadhan : «Yazid me présente au responsable de la kasma de Marseille, un nommé Mahieddine de Dellys.» ‘‘Dorénavant, me dit Yazid, tu t'appelleras Toufik'', qui était le prénom de Toufik Benoueniche, étudiant auquel il devait me présenter, mais que nous n'avons pas trouvé ce jour-là chez lui.»
Au cours de cette période marseillaise, El Kaba a assisté, malgré lui, à un étrange dialogue par téléphone entre le président du parti, Messali El Hadj, et le député MTLD Khider Mohamed. Celui-ci était sur le point de voir son immunité parlementaire levée à cause de son implication dans l'attaque de la poste d'Oran, sa voiture ayant servi au transport des fonds d'Oran à Alger. Khider criait au téléphone : «Manich rayeh ya Sid El Hadj ! Manich rayeh ! J'en ai marre des prisons françaises.» Il a répété plusieurs fois ce cri du cœur «Manich rayeh !» Mais Messali insistait auprès du député Khider pour qu'il se laisse arrêter après la levée de son immunité parlementaire. Ce sera l'occasion pour le parti, selon Messali, de lancer une campagne d'agitation médiatique pour obtenir sa libération. Mais Khider a refusé catégoriquement et a rejoint le Caire malgré l'opposition du leader du MTLD.
La traversée de la Méditerranée par les fugitifs de l'OS
Après le démantèlement partiel de l'OS, conséquence d'un dérapage de la section de Tébessa de l'Organisation spéciale, Aït Ahmed Hocine est l'objet de recherches intenses par la police politique coloniale française. Il était devenu impérieux pour le parti de soustraire ce responsable à une éventuelle arrestation. Il fallait donc coûte que coûte l'évacuer hors d'Algérie. Le parti, qui avait des ramifications dans toute l'Europe et particulièrement en France, a réussi à prendre contact avec un officier de la marine marchande navigant sur la ville d'Oran ou la ville d'Alger (le souvenir n'est pas précis), pour le convaincre, moyennant finances, de prendre en charge le fugitif jusqu'à Marseille. Il fallait donc trouver un accompagnateur pour Aït Ahmed.
C'est alors que le choix est porté sur Ahmed El Kaba, surnommé Toufik à Marseille. «C'est alors, relate Ahmed El Kaba, que Yazid est venu à Marseille pour me présenter à l'officier de marine marchande avec lequel nous mettons au point le scénario pour embarquer le fugitif la veille du départ du paquebot vers Marseille. Aït Ahmed devra passer la nuit dans la cabine de l'officier de marine avant l'appareillage le lendemain matin. Je rentre donc à Alger pour accomplir ma mission, poursuit El Kaba, je vois Benkhedda qui me met en garde sur le caractère ultra secret de l'opération». Il me dit : «Nous sommes deux à être au courant de l'opération, toi et moi.» «Le jour convenu, je prends en charge Aït Ahmed et le présente à l'officier de marine qui l'embarque pour l'installer dans sa propre cabine.
Le ticket d'embarquement sera glissé le lendemain dans la case réservée à cet effet afin que le nombre corresponde à celui des passagers.» El Kaba prend un titre de passage en 3e classe. Au cours de la traversée, il rend plusieurs visites à Aït Ahmed qui n'a pas quitté la cabine de l'officier jusqu'à l'arrivée à destination. «A Marseille, précise El Kaba, j'ai accompagné Aït Ahmed dans un appartement d'un militant où nous attendait Fillali Embarek.
Celui-ci accompagna le fugitif jusqu'à Paris où Moumdji Zinelabidine, dit Si El Hocine, l'accompagna jusqu'en Suisse. Après la prise en main, décidée par Alger, de l'organisation du parti en France par Boudiaf et Didouche, tout en restant un militant actif, j'ai quitté la permanence du parti et me suis installé à Marseille.
Trois ou quatre mois après, je reçois la visite de Fillali Embarek. Il me dit : ‘‘Je suis venu te chercher au nom de Benkhedda'', en ce temps-là secrétaire général du PPA-MTLD, Ben Bella et Mahsas viennent de s'évader de la prison de Blida. Il te demande de venir à Alger pour les faire évacuer vers la France''. Pour me convaincre, ajoute El Kaba, il m'accompagna à la poste où on prend contact par téléphone avec Benkhedda. Celui-ci me donne l'ordre de rentrer à Alger où le parti a besoin de toi, me dit-il .» Avant de me rendre à Alger, je me suis mis à la recherche du contact avec l'officier de marine qui nous a permis d'évacuer Aït Ahmed.
Un militant de Marseille m'a fait obtenir un rendez-vous pendant lequel nous avons négocié le montant de chaque traversée. Nous avons laissé entendre à l'officier de marine qu'il s'agissait de deux gars du milieu de La Casbah qui cherche un refuge à Marseille. Il a exigé 10 000 francs pour chaque passage, ce qui représentait une somme importante à l'époque. Ainsi, nous avons convenu d'un rendez-vous à Alger pour lui présenter Ahmed Ben Bella, le premier fugitif. Tout s'est déroulé comme prévu.
Ben Bella accompagné de l'officier de marine a embarqué la veille de l'appareillage du navire. Il passa la nuit dans la cabine de l'officier ; quant à moi, comme la première fois, j'ai pris un titre de passage en 3e classe. A Marseille, j'ai accompagné Ben Bella dans un appartement d'un militant où, comme pour Aït Ahmed, nous attendait Fillali Embarek qui accompagna le fugitif à Paris où il a été aussi pris en charge par Moumdji Zinelabidine dit Si El Hocine qui l'accompagna en Suisse.
Le même scénario se répéta quelque temps après pour transférer Ahmed Mahsas en Suisse, dans les mêmes circonstances et les mêmes personnages, tous dévoués à la cause nationale et prêts à tous les sacrifices. Le quatrième fugitif que j'ai accompagné dans la traversée de la Méditerranée, précise Ahmed El Kaba, est le militant Khitter de Dellys qu'il ne faut pas confondre avec Khider Mohamed, député du MTLD. Débarqué à Marseille, Khitter me demanda de le laisser se débrouiller tout seul pour se rendre à Paris. Il était impliqué dans l'attaque de la poste d'Oran.
Ahmed El Kaba et Mohamed Belouizdad
Dans son entretien, Ahmed El Kaba révèle que les six membres fondateurs du FLN étaient membres du PPA-MTLD et ont tous été choisis et incorporés à l'Organisation spéciale (l'OS) par Mohamed Belouizdad. Il s'agit de Mohamed Boudiaf, Benboulaïd Mostefa, Ben M'hidi Larbi, Bitat Rabah, Didouche Mourad et Krim Belkacem, auxquels se sont joints les membres de la délégation extérieure, à savoir Ahmed Ben Bella, Mohamed Khider et Hocine Aït Ahmed. Ils constituèrent les neuf chefs historiques de l'insurrection qui ont fixé la date du début de la lutte armée au 1er Novembre 1954. Ils sont tous les neuf membres du même parti, le PPA.
Ahmed El Kaba ajoute : 1) – «La première fois que j'ai eu affaire à Mohamed Belouizdad en tant que militant structuré fut à l'occasion de la projection de films arabes dans les cinémas de Belcourt. A cette époque, l'Algérie était tellement coupée de son environnement naturel qui est celui du monde islamique et arabe que chaque fois qu'un film est projeté à Alger avec musique et expression arabes, il était l'objet d'un engouement extraordinaire de la part des Algériens. Ils avaient soif de musique et de culture arabes. Aussi, il fallait se lever de bonne heure pour acheter un billet d'entrée au cinéma.
Abdekader Bouda et moi-même nous nous arrangions toujours pour acheter quelques dizaines de billets afin de les revendre avec bénéfice aux amateurs qui trouvaient toujours le cinéma complet. Un jour, notre stratagème fut découvert par Belouizdad. Il nous sermonna en nous expliquant que de telles spéculations sont indignes de militants nationalistes qui doivent être des exemples dans tous les domaines et il nous donna l'ordre de revendre les billets au prix coûtant, de ne plus nous adonner à ce manège. Nous nous sommes exécutés immédiatement en renonçant définitivement à cette spéculation.»
2) – «Dans les années 1942-1943, un truand du quartier de la Carrière se trouvait en possession d'une grenade désamorcée. J'en fais part à Mohamed qui me demanda aussitôt de dénicher l'endroit où il a trouvé cette grenade. Rapidement, nous découvrîmes qu'il s'agit d'un stock de plusieurs caisses de grenades désamorcées et stockées par les militaires anglo-saxons dans un champ à Birkhadem. Je le fais savoir à Mohamed qui nous fera louer trois vélos auxquels nous attachons derrière la selle de chacun un sac que nous avons rempli de grenades.
Nous avons fait cinq ou six allers-retours pour transporter toute la cargaison. Devant l'importance du stock, Mohamed demanda au regretté Khemissa Mohamed, qui disposait d'une camionnette, le maximum du chargement dans des caisses qui seront cachées chez plusieurs militants, notamment chez Mohamed Saradouni, vieux militant qui tenait un vaste hangar de pièces usagées situé à l'emplacement actuel de la station téléphérique. Une partie de ces grenades fut stockée chez Mahsas qui occupait une chambre à l'impasse Cervantès chez Mostefa Mohamed.
Il y en avait partout, dans son armoire et même sous son lit de telle sorte qu'il se plaignait, en plaisantant, de ne plus avoir assez de place pour dormir. Ces faits démontrent amplement que bien avant la création de l'OS dont il sera le premier responsable, Mohamed Belouizdad était profondément convaincu que la libération de l'Algérie passait inévitablement par l'utilisation des armes.»
Qu'il fallait absolument s'organiser pour atteindre cet objectif
3) – «Après l'arrestation en plein jour de Mostefa qui était chef de district dans l'organisation, la police fit une descente au domicile de Mohamed. Il réussit à se sauver par la fenêtre et à se cacher dans un coin du balcon d'un voisin européen. En 1945, après la désignation de Mohamed pour remettre sur pied l'organisation dans l'Est du pays, durement éprouvée après les événements du 8 Mai 1945, j'ai assuré, poursuit El Kaba, en ma qualité de permanent du parti, la liaison avec la région de l'Est.
En effet, après ces événements, l'organisation du Constantinois fut presque entièrement détruite par une féroce répression. Le bureau politique désigna alors Mohamed Belouizdad en tant que responsable en remplacement de Djemaâ pour remettre sur pied l'organisation du parti dans cette région vitale du pays.»
4)- «Une fois, je reçois l'ordre de convoyer, avec Abdelkader Bouda, un contingent de tracts imprimés par l'Organisation qui seront placardés sur les murs de la ville de Constantine. Le travail devait être effectué par les militants de cette ville. Mohamed convoqua le responsable local et lui demanda de faire venir un groupe de militants pour effectuer la mission entre 23h et minuit.
A l'approche de l'heure convenue, le responsable local, dont j'ai oublié le nom, se présenta à Mohamed en lui annonçant, complètement désolé, qu'aucun des militants convoqués ne s'est présenté au rendez-vous. Mohamed, avec calme, lui répond : ‘‘Qu'à cela ne tienne, nous allons nous-mêmes effectuer le travail et aux endroits convenus.'' Tout en préparant la répartition des paquets et de la colle qui devait être utilisée, nous voyons arriver, quelques minutes après, un groupe de militants prêts à se mettre au travail.
Ce fut un soulagement général, car cela prouvait que malgré la terrible répression, le parti avait toujours à sa disposition des militants dévoués et volontaires pour n'importe quelle mission au service de la cause.»
5)- «Si Ahmed Bouda m'a chargé à l'occasion d'un prochain déplacement à Constantine d'annoncer avec ménagement à Mohamed le décès de son frère Sahnoun. Il reçut la triste nouvelle avec calme. Après un moment de silence, il laissa échapper une larme et dit simplement : ‘‘La lutte continue''».
6)- «Après l'hospitalisation de Mohamed Belouizdad à Bobigny, en France, M'hammed Yazid, qui était en charge de la fédération PPA-MTLD dans ce pays, m'a désigné, en ma qualité de permanent du parti à Lyon, de visiter Mohamed chaque fois que je me déplace à Paris, et veiller à satisfaire tout ce dont il avait besoin. A l'occasion d'une de mes visites régulières au sanatorium de Labruyère, je lui ai demandé s'il avait besoin de quelque chose que je pouvais lui rapporter lors de ma prochaine visite.
‘‘Ce qui me manque, malheureusement tu ne pourras jamais me l'apporter'', me répondit-il. Devant mon étonnement il ajouta : ‘‘Ce dont j'ai besoin, c'est d'entendre la voix du muezzin appelant à la prière (El Adhan).'' Tel fut Mohamed Belouizdad (Rahimahou Allah)». A l'évocation de cet épisode, Ahmed El Kaba n'a pu retenir ses larmes tant l'émotion était grande chez lui.


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