L'archipel «J'écris en présence de toutes les langues», disait l'écrivain Edouard Glissant. Dans cet archipel fuyant, déviant vers des villages lointains, vers des mégapoles incertaines, cette formule peut paraître à la fois si évidente mais si embrumée. Cet archipel formé de milliers de langues, de millions de visages humains, cet archipel n'est rien d'autre que ce monde à l'aube de la mondialisation, à l'aube de l'ère de la suprématie technologique dont les syllabes sonnent anglais ou mandarin mais si peu lingala ou tupi. Sous la bannière de l'uniformisation, nous assistons à l'agonie de plus de 470 langues et selon différentes statistiques, environ 90% des langues risquent de disparaître d'ici le prochain siècle. Chiffre effrayant. L'humanité s'enferme dans la monotonie, elle adopte le visage stérile et ridé d'une humanité rampante vers sa propre mort. Revenons à notre archipel, dans la forêt équatoriale vit un peuple de chasseur-cueilleur qui ne connaît pas de «je», l'individu s'identifie à la tribu. Il n'existe que par son appartenance à son lignage chose qu'une langue latine ne serait rendre, ne serait exprimer cette nuance, cette manière de concevoir le monde, parce que justement la langue n'est que le reflet d'un système de pensée, une manière de retransmettre une réalité. Ce peuple n'existe que par son rapport à sa langue qui met l'accent sur sa différence avec les autres cultures, qui lui permet de s'identifier comme un peuple. La langue comme support identitaire, donc. Dans certaines îles de cet archipel, des gouvernements autoritaires ont interdit par le passé (et aussi à l'aube de ce siècle) l'expression dans une langue, tel fut le cas par exemple des Kurdes qui se sont vu interdits jusqu'à l'usage de leur propre langue, ou encore en cette terre du Maghreb où l'usage du berbère était sévèrement réprimé dans les années 1970. S'exprimer dans la langue prohibée était devenu alors contestation, rébellion et une arme qui ébranlait les dictateurs. Peu de langues peuvent se targuer d'avoir survécu au trépas de l'oubli : telle fut l'histoire de l'hébreu. L'idée de retrouver la partie promise et d'unifier ainsi un peuple morcelé et dispersé aux quatre coins de l'archipel, a poussé le philologue Ben Yahouda à ressusciter des décombres de l'histoire la langue hébreu en lui insufflant une nouvelle âme qui prendrait racine chez tous les juifs pour les unifier et d'enraciner dans leurs têtes le sentiment d'appartenance, malgré les disparités, à une grande tribu juive. Comme l'avait souligné J.M.G. Le Clézio dans son discours La forêt des paradoxes : «Le langage est l'invention la plus extraordinaire de l'humanité, celle qui précède tout, partage tout. Sans le langage, pas de sciences, pas de technique, pas de lois, pas d'art, pas d'amour. Mais cette invention, sans l'apport des locuteurs, devient virtuelle.» Dans cet archipel, quelle est la place pour le plurilinguisme à l'aube de ce siècle ? Plus de 7000 langues, tout cela donne au regard mal avisé une image défragmentée et éparpillée, mais rien de tel ! La super île Afrique détient à elle seule plus de 2000 langues, un véritable réservoir de diversité linguistique et culturelle. Pourtant, l'Afrique est encline aux déchirements et les vieilles fractures intentées contre les peuples par les empires coloniaux ont poussé les peuples à s'engouffrer dans une identité et à se refermer sur eux-mêmes créant ainsi d'incessants conflits. Oubliant que c'est moins l'isolement mais les relations entre les différents peuples qui permettent l'émergence d'une diversité culturelle. L'unité dans la diversité, comme l'a tentée l'expérience sud-africaine avec sa nation arc-en-ciel ou encore l'Union européenne en l'adoptant comme devise. Le célèbre anthropologue français Claude Lévi-Strauss relève que la diversité est le principal moteur du progrès pourtant un paradoxe, une sorte d'obstacle survint et qui pourrait mettre en péril la diversité culturelle et qui se résumerait par cette phrase fatidique : «Trop de différence, l'écart devient insurmontable ; pas assez d'écart et l'identité se meurt.» Ainsi, notre archipel semble pris au double piège qu'offre la mondialisation, une trop grande promiscuité affectant négativement le paysage linguistique et culturel, tuant et jetant aux oubliettes des dizaines de langues sans laisser aucune trace ou bien alors, cette crainte de se mêler aux autres, cette phobie que la mondialisation peut provoquer qui pousse les habitants à s'isoler et à s'enfermer dans une langue figée et déconnectée de la réalité. Mais ce bazar recèle un témoignage unique où l'homme a pu surpasser ce constat et a su tremper dans l'alchimie des mots et à se créer une identité créolisée. Où les mots ont su traverser les barrières pour devenir français, espagnol, portugais ! Une identité volatile, plurielle ! S'ouvrant à l'autre, tout en gardant sa singularité. Dans cet archipel, les îles antillaises sont la preuve vivante que l'homme peut créer une culture sans frontières. Le créole naquit dans la douleur de l'esclavage et du colonialisme et a su intégrer langues africaines, amérindiennes et européennes pour créer une langue bariolée à l'image de ces îles métissées. Les Antillais s'approprièrent ainsi une nouvelle liberté et une identité qui saura faire face à l'oppression blanche en s'affranchissant de leurs vieux démons (le résultat de cette prise de conscience sera la proclamation de l'indépendance de la première République noire, Haïti). Le créole sera alors à l'image de cet archipel perdu, la manifestation du Divers, de l'éclatement de la diversité dans son plus beau élan et l'attestation que l'homme peut trouver une solution à l'anéantissement de la diversité ou à son isolement et à sa longue agonie. Dans Eloge de la créolité, le collectif affirme : «La créolité n'est pas monolingue. Elle n'est pas non plus d'un multilinguisme à compartiments étanches. Son domaine c'est le langage. Son appétit : toutes les langues du monde.» Et on voit aujourd'hui apparaître partout à travers l'archipel des formes de créoles, les jeunes de toutes les banlieues réinventent la langue, de Mexico, en passant par Paris ou Alger. Une langue représentative des pertes de repères, absorbant comme une éponge mal aimée l'argot mondialisé. Danger pour l'identité ou aubaine ? Ô voyageur qui découvre l'archipel, tu n'entendras certainement plus ces mythes vivants récités en bororo, à la lueur d'un feu de camp dans l'immensité amazonienne, où te parviendrait comme l'approbation des esprits le hurlement d'un singe… Tu n'entendras plus jamais parler de l'histoire de ces esclaves capturés par des Touareg et qui se sont enfouis dans une oasis et continuent à se transmettre leur histoire chevaleresque en korandjé, se souvenant du glorieux empire qu'ils avaient fondés sur les rives du Niger. Il te restera peut-être, ô voyageur, le souvenir merveilleux d'une humanité jadis florissante et le mirage de ce paradis perdu, qu'est cet archipel déviant vers l'immensité bleue. Wissam Aksouh (Premier Prix)
Signal d'alarme : Le français a-t-il toujours la cote ? aut-il placer le plurilinguisme au premier rang de nos préoccupations et placer au deuxième rang la diversité culturelle ? En fait, ne s'agit-il pas à travers cette interrogation d'une démarche dissimulée dont la finalité a pour objectif de maintenir le français dans les anciennes colonies comme un dénominateur commun ? Ne s'agit-il pas d'essayer d'en faire la langue officielle des pays devenus indépendants ? Nous assistons au quotidien à l'emploi d'une multitude de termes étrangers ; essentiellement ceux de l'anglais que les diverses couches de la société (française) adoptent. Les jeunes, dans leur grande majorité, optent pour un vocabulaire empreint de platitude et revêtant un caractère insipide. Il semble que le français perd de son éclat, jour après jour. Statistiquement, le français est la langue officielle de 32 Etats. Il est placé au second rang dans les institutions et les forums à l'échelle internationale, mais il faut souligner que la langue française ne représente en fait qu'une partie de la civilisation universelle. C'est un moyen d'exprimer des idées, tout comme n'importe quelle autre langue. L'apport des écrivains d'outre-mer est tout aussi enrichissant. L'exemple frappant est celui de certains auteurs arabes dont Naguib Mahfouz, prix Nobel de littérature reçu en 1988, et l'écrivaine Assia Djebar qui fut élue à l'Académie française en 2005. Il n'est pas exclu que la langue française évolue suite au phénomène de la mondialisation. Il serait pour le moins irréaliste d'affirmer que cette langue est toujours à l'avant-garde. Traduction : un garant du plurilinguisme : En tant que jeune universitaire, je me suis intéressé à la littérature et au plurilinguisme. Il m'a semblé être dans mon intérêt de faire des recherches concernant la traduction des œuvres littéraires étrangères traduites en langue française. Je me suis posé cette question : quel est le but recherché dans cette traduction ? Une œuvre ne peut être appréciée que dans sa langue d'origine. Prenons l'exemple des chefs-d'œuvre écrits par William Shakespeare. Serait-il préférable d'apprendre l'anglais afin de mieux apprécier les classiques shakespeariens ou faut-il recourir à la traduction ? S'agissant du grand Shakespeare, la question reste en suspens. Je sais en revanche que le célèbre auteur colombien Gabriel Garcia Marquez a reconnu la «supériorité» de la version traduite vers l'anglais de son best-seller Cent ans de solitude, travail fait par Gregory Rabassa. La traduction a en ce sens permis à l'anglais de donner au roman une valeur beaucoup plus importante. La langue de Shakespeare a amplifié la portée d'un roman écrit en une langue dite gréco-romaine. Il serait profitable pour l'ensemble de la communauté intellectuelle de mettre en place un ensemble de règles à appliquer dans la traduction pour que celle-ci assure au mieux la coexistence plurilinguiste. Héritages linguistiques et culturels : A l'échelle individuelle comme à l'échelle collective et à travers différentes époques, l'homme a cherché à développer ses relations avec son semblable par le biais de plusieurs moyens de communication ; langage écrit ou langage parlé. Cette communication plurilinguistique lui permettait de préserver la diversité culturelle. L'exemple le plus significatif est celui de l'Andalousie multiethnique avant la Reconquista. Chaque communauté est soucieuse de préserver son héritage à la fois linguistique et culturel. Plusieurs communautés peuvent cohabiter ensemble dans une enceinte géographique donnée. Elles peuvent vivre en parfaite harmonie de par leur diversité culturelle. Les exemples nous sont donnés par les immigrés des Etats-Unis d'Amérique qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ont choisi de s'établir dans ce nouveau continent et d'y vivre ensemble en dépit de leurs divergences culturelles et linguistiques. Polonais, Irlandais, Chinois, Allemands et même Français ont formé un melting-pot tinté de contemporanéité. Généralisons le plurilinguisme par la citation de l'exemple antillais. La population qui vit dans cet archipel de la mer des Caraïbes forme un ensemble hétéroclite qui vit en harmonie. Rapprochement, mais à des fins économiques : De par son essence, une langue est un moyen de comprendre l'autre et lier avec lui des liens. Elle sert aussi à assurer des intérêts, notamment l'intérêt économique qui semble prendre le dessus sur toute autre forme d'humanisme. Actuellement, le monde composé de différents Etats forme une sorte de famille culturelle. Chacun de ces Etats par le moyen de sa langue officielle et par ses dialectes divers, contribue à ce qu'on appelle la civilisation universelle. Il n'en demeure pas moins qu'à travers leurs différences multiples, ces Etats ont tenté de s'unir économiquement et de se rapprocher les uns les autres. L'exemple illustrant cette idée est sans doute celui du marché commun européen qui vit le jour en 1957. Plurilinguisme, multiculturalisme et l'ostensible rapprochement entre les peuples : Dans une perspective internationale, certains gouvernements ont encouragé l'apprentissage de plusieurs langues dans leurs écoles, lycées et universités. Cette initiative ne peut être que louable et encourageante au vu de ses résultats immédiats et futurs. Les échanges interuniversitaires entre différents pays illustrent a fortiori l'impact positif du plurilinguisme ainsi que du multiculturalisme. C'est par l'acceptation de l'autre, par le respect mutuel et grâce aux dialogues interculturels que tout devient possible. Ali Boubidi (Deuxième Prix) * Une mention spéciale a été attribuée à Rachida Chahida Ababsa
Avec l'émergence du «tout connecté», nous sommes envahis d'images, de vidéos et informations provenant du bout de la terre. Ce flot envahissant laisse peu de place à l'analyse ou à une quelconque tentative de compréhension. En fait, on ne nous laisse que peu de choix : le pouce vers le haut, on aime ; vers le bas, on n'aime pas ; même verdict pour les peuples, les communautés ou tout simplement l'étranger. Ils sont classés soit avec les bons soit avec les méchants. Les médias ne sortent pas indemnes de ce consumérisme effréné de l'information, ils sont condamnés à n'effleurer que partiellement les sujets abordés quitte à stigmatiser l'autre, sous peine de subir les lois implacables du marché et dépérir. Evidemment, dans de rares moments de lucidité, nous nous révoltons contre cet état de fait que nous alimentons consciemment ou inconsciemment car nous transposons à l'information nos habitudes du fast-food et du prêt-à-porter. Face à cette situation, notre salut pourrait bien venir du plurilinguisme associé pour l'occasion au «tout connecté». Apprendre une nouvelle langue n'est plus ce grand projet pour lequel il faut mobiliser énormément de temps et d'argent. La Toile foisonne d'offres qui vont du raisonnablement sensé à l'incroyablement farfelu où on vous promet de parler couramment une nouvelle langue en une semaine. L'autre avantage du tout connecté est sans conteste l'émergence des sites de réseaux sociaux et professionnels, mais celui que je préfère le plus ce sont les journaux en ligne, que ce soit de la presse ou des blogs personnels. En un clic, ils vous permettent de faire une intrusion dans n'importe quel coin du monde, et là, vous mettez un visage à cet étranger, qui soudain ne vous fait plus peur, vous vous rendez compte que lui aussi a une famille et comme vous, il aime ses enfants, vous réalisez aussi que du traitement manichéen de l'information jaillit du gris, beaucoup de gris, le sujet devient plus complexe, nécessitant un effort supplémentaire de compréhension, mais cet effort n'est possible que grâce à vos dons plurilingue qui, nul doute, vous aideront à appréhender cette diversité culturelle si importante dans l'apaisement des tensions et la compréhension mutuelle entre les peuples. Mais paradoxalement, dans un Net de plus en plus dominé par la langue anglaise, le plurilinguisme ne trouve plus sa justification. L'anglais est devenu une langue hégémonique, qui certes facilite cette quête de découverte de l'autre mais qui nous pousse à la facilité. Que vous soyez en Chine, à Singapour ou dans les pays du Golfe, désormais tout le monde parle la même langue. Par pragmatisme, l'anglais a pris le dessus en étant la deuxième langue de beaucoup de peuples, faire l'effort d'apprendre une autre langue pour communiquer avec ces derniers dans leur langue maternelle permet un contact plus intense et nous fera mieux découvrir l'histoire et les codes culturels de ces peuples. Dounya Frah (Troisième Prix)
Tant Algérienne née en Algérie les premiers mots que j'ai prononcés étaient bien évidemment en arabe, ceux-ci me suffisaient totalement pour communiquer avec mon entourage, jusqu'au jour où mon amie d'antan revint de son année passée à l'étranger. Ce jour-là, mon orgueil de petite fille de 5 ans en prit un grand coup. Mon amie s'exprimait en français et j'étais incapable de comprendre un seul mot de ce qu'elle me disait. Un fossé venait de se creuser entre nous. Profondément vexée et bien déterminée à le remplir, je rentrai à la maison et exigea qu'en aucun cas on ne devait s'adresser à moi dans une langue autre que le français. Chanceuse, mon entourage était francophone, rajoutant à cela la technologie que j'avais à ma disposition (télévision, ordinateur), cette langue qui m'était si étrangère devint bientôt celle que je maîtrisais le mieux. J'ai pu donc continuer à avoir de longues conversations avec mon amie et bien d'autres personnes. Quelques années plus tard, ce fut lors de mon premier voyage que je me rendis compte que malheureusement pour moi, ce n'était toujours pas suffisant. Malgré ma maîtrise de l'arabe et du français, je ne prononçais aucun mot dans la langue la plus parlée à travers le monde : l'anglais. Ceci me coûta d'ailleurs la seule amie que j'avais réussi à me faire durant mon séjour, cette dernière avait fini par se lasser de ne s'adresser à moi qu'en utilisant des signes. Qui pourrait l'en blâmer d'ailleurs ? Voilà donc comment je me retrouvais avec une nouvelle muraille à abattre. Sans fausse modestie, il me plaît de dire que mes travaux avancent bon train. Lorsque j'ai été capable d'indiquer son chemin à un touriste et à soutenir une conversation lors d'un dîner, j'en sautais presque de joie. J'ai maintenant l'impression d'être initiée à une partie du monde qui, quelques années avant, m'était totalement inconnue. Venons-en maintenant à «la diversité» ! Voilà un mot qui n'est malheureusement pas très répandu dans les rues de notre pays. Ce n'est donc que lors de ma première visite dans l'une des plus célèbres villes du monde que j'en compris le sens. A Paris, ce mot est inscrit sur chaque visage, chaque vêtement, chaque restaurant, chaque mot prononcé. Une Espagnole et une Indienne qui se saluaient en anglais pour ensuite aller dîner dans un restaurant chinois, des couples mixtes avec un bébé d'une nationalité différente se baladaient dans les rues ! Je n'en revenais pas ! Le plus étonnant est que toutes ces différences affichées ne représentaient aucun obstacle à la cohabitation et à la bonne entente. Au contraire, elles étaient stimulantes, pleines de charme et m'ont permis d'ouvrir mes yeux et mon esprit et de sortir de mon cocon. Le monde est aujourd'hui devenu un petit village où les habitants se disent bonjour dans plus d'une langue. Mon expérience, aussi peu riche qu'elle puisse être, m'a donc prouvé que parler plus d'une langue nous permettait de communiquer les uns avec les autres et que nos différences, loin d'être des tares ou des excuses pour justifier des conflits, étaient au contraire un moyen de nous rapprocher. Pour ma part, un monde où la diversité, quelle qu'elle soit, n'existerait pas ne mériterait pas cette appellation, car comme on le dit si bien : «Il faut de tout pour faire un monde». Naïla Ouzir (Quatrième Prix ex aequo)
Le 28 février 2015, une vidéo a créé un grand buzz sur les réseaux sociaux. Il s'agissait de l'annonce de l'inauguration par les étudiants de «la placette de l'amour» à Tizi Ouzou et, cela après qu'un étudiant, le 16 février sur cette même placette, s'était agenouillé devant sa dulcinée pour lui demander de devenir sa femme ! En décidant d'inaugurer «la placette de l'amour» à Tizi Ouzou, des étudiants ont tenu, à leur manière, à rendre hommage à ces amoureux courageux de l'avoir fait publiquement dans une région et dans une ville marquées par un conservatisme séculaire : par ce geste, le futur jeune couple a bravé les interdits culturels et cassé des tabous ! En inaugurant la placette, des étudiants ont rendu hommage à leur courage en marquant leur différence et en la revendiquant pacifiquement et, enfin, le «Collectif d'étudiant(e)s progressistes», choqué par les réactions violentes suscitées par la vidéo, a organisé une marche «pour l'amour, la tolérance et la paix» au campus Bastos à Tizi Ouzou ! De tous ces bouillonnements entre action et réaction, je ne peux que me réjouir des avancées non seulement en matière de tolérance et aussi d'égalité, car d'une manière générale, les médias ne véhiculent que les informations liées aux maltraitances faites aux femmes, à l'immobilisme de la société et aux «prétendus ultras conservatismes» des jeunes : alors, merci à tous ces jeunes, qui s'exprimant dans un cocktail de leurs trois langues (français, kabyle et arabe), pour nous avoir apporté «ce petit je ne sais quoi» qui fait ce qu'ils sont et qui a fait souffler sur notre toile un vent vivifiant d'espoirs d'amour, tolérance et paix ! Merci à eux de m'avoir replongée dans ma découverte l'été 2014, de Stina, cette jeune étudiante chanteuse finlandaise, passionnée par la chanson kabyle découverte au contact des Kabyles d'Helsinki. Son engouement l'a conduite au début à interpréter magistralement les chansons de Taous Amrouche, Slimane Azem et d'autres interprètes puis, l'année dernière, à visiter la Kabylie pour mieux s'imprégner de sa culture en sillonnant ses sites historiques et culturels. Mais ce sont ses photos sur le lieu où s'est tenu le Congrès de la Soummam ou encore dans l'enceinte de l'université de Béjaïa, qui par le buzz produit sur facebook ainsi que sa réponse à la question : «Maîtrisez-vous la langue kabyle ?» d'un journaliste de Kabyle News. «Malheureusement non. Je comprends ce que je chante et c'est le plus important pour moi pour le moment. Le tamazight est une très vieille langue qui date de milliers d'années, le fait d'avoir appris des mots est un grand honneur pour moi qui m'ont profondément interpellée sur l'héritage culturel et les place et rôle de la langue ! En effet, aujourd'hui, lorsque je regarde autour de moi, je m'aperçois avec bonheur de la réalité de la mixité culturelle qui se propage de plus en plus vite dans les pays du Sud et peut- être un peu moins dans ceux du Nord, mais qu'importe, l'essentiel c'est que la mixité culturelle se diffuse. Et pour l'illustrer mon propos sur le fait que ce n'est pas un hasard si nous avons ou fait notre rôle, les cultures ou une part des cultures dont nous parlons les langues, je prendrais l'exemple de la fête de la Saint-Valentin, qui du pont des cadenas symbole de l'amour aux autres représentations (les roses, les festivités, etc.) que notre société traditionnelle adopte progressivement depuis qu'elle en comprend mieux la symbolique et le sens en termes de bien-être et de rencontres apaisées! Ceci me renvoie tout naturellement au fait que la mondialisation culturelle pour le commun des mortels se traduit en général par l'homogénéisation des modes de consommation et d'habillement ainsi que par la prédominance de la langue anglaise dans la communication. Certes, la langue anglaise est devenue indispensable aux échanges commerciaux entre des partenaires de tous les coins de la planète et nécessaire pour accéder aux savoirs qu'elle véhicule tant culturels que scientifiques, mais qu'adviendrait-il de notre richesse culturelle si le monde entier parlait une seule langue ? A ce sujet, une recherche menée par S. Robert a démontré, comme l'affirme Georges Mounin, que la langue maternelle ou langue première influe sur notre mode de pensée et notre vision du monde. Cela signifie que ceux qui apprennent de nouvelles langues ont, non seulement acquis les outils linguistiques de ces dernières, mais aussi des compétences socioculturelles qui ont modifié leur façon d'être et leur ont appris à penser autrement. A partir de là, nous en pouvons déduire, premièrement, qu'effectivement parler une seule langue dans le monde conduirait à voir les choses de la même façon, à penser, à réfléchir et raisonner uniformément, ce qui nous amènerait vers une globalisation appauvrissante et réductrice tant en termes de créativité, de débat, de progression et, par conséquent d'ouverture, ce qui est contraire aux défis du XXIe siècle qui visent l'émergence d'une nouvelle approche de la notion d'identité où l'identité est perçue comme la somme de toutes nos appartenances, et au sein de laquelle l'appartenance à la communauté humaine, prendrait de plus en plus d'importance, jusqu'à devenir un jour l'appartenance principale, sans pour autant effacer nos multiples appartenances particulières c'est-à-dire aller de la diversité à l'universalité ! Deuxièmement, le plurilinguisme est une condition nécessaire à la diversité culturelle puisqu'il influence les pensées et les comportements et il favorise la compréhension, le respect et la tolérance des autres cultures. En effet, parler une autre langue c'est comprendre l'autre, sa culture véhiculée et sublimée par la musicalité des mots de sa langue (merci à Stina de m'avoir mis le doigt sur ce point…) en autorisant le rapprochement et l'acceptation de l'autre tel qu'il est avec ses différences qui petit à petit deviennent sources de richesses pour lui et pour soi. Ainsi, il n'est pas exagéré de dire que le plurilinguisme est aux cultures leur nouvel espace, comme l'illustre si bien l'éducation interculturelle bilingue menée au Pérou qui visait initialement à intégrer les populations autochtones des Hauts-Plateaux puis les populations amazoniennes dans la construction d'un Etat culturellement pluraliste. Mais quels merveilleux termes que ceux de «culture» et«diversité culturelle», car si le terme «culture» recouvre les valeurs, les croyances, les convictions, les langues, les savoirs et les arts, les traditions, les institutions et modes de vie par lesquels une personne ou un groupe de personnes exprime son humanité et les significations qu'elle ou il donne à son existence et à son développement, «la diversité culturelle» renvoie à la multiplicité des formes par lesquelles les cultures des groupes et des sociétés trouvent leur expression. Ces expressions se transmettent au sein des groupes et des sociétés et entre eux. Et, aujourd'hui, je prends mieux la juste mesure de l'intérêt porté par l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (l'Unesco) à la sauvegarde de cette richesse pour le dialogue considérée comme patrimoine de l'humanité, facteur d'épanouissement, de cohésion sociale, voire universelle, de développement et surtout de paix ! Etrange cheminement qui fut le mien depuis cette vidéo de la demande en mariage Bastos en ce jour du 16 février 2015, qui m'amène à intégrer les histoires de ma grand-mère kabyle aux messages et positions de l'Unesco qui tous deux, chacune dans sa langue, m'ont enseigné que la violation des droits culturels provoquent des tensions et conflits identitaires, principales causes de la violence, des guerres et du terrorisme ! Mais, je reste convaincu qu'au-delà des apparences de la mondialisation, la décrivant comme une culture hégémonique et dominante, un brassage interculturel où la volonté de partage bien parlée et donc bien mieux comprise permettra – même au travers d'un usage généralisé de l'anglais – à chacun d'entre nous de vivre et de protéger pacifiquement son identité, de sa langue et de jouir des richesses de notre nouveau monde interconnecté sans complexe où le plurilinguisme constitue le creuset du vivre ensemble grâce aux réseaux sociaux et où s'épanouissent les langues et les cultures, chacun où il se trouve, échange sans barrière culturelle ou sans frontière avec son frère humain même s'il se trouve à l'autre bout de la planète, et qu'importe qu'ils parlent ou pas une langue commune, Google Translate est là pour assurer le trait d'union. Ce fut mon cas, moi le Kabyle issu d'une Algérie plurielle multiculturelle, qui m'a permis d'être ce que je suis, c'est-à-dire celui pour qui le plurilinguisme est à la culture et à la paix, ce que le pluripartisme est à la démocratie. Et, je ne peux pas terminer sans adresser mes plus profonds remerciements à ce jeune couple de m'avoir fait vivre cette insoupçonnée aventure de l'amour, de la tolérance, de la paix ! Achour Oudjedi (Quatrième Prix ex aequo)
ABABSA Rachida Chahida Boycotter la francophonie tout en revendiquant être le premier pays francophone après la France. Stratégie algérienne par excellence. On y retrouve un peu les gestes des fellagas qui repoussaient le soldat français pendant la guerre de Libération mais aussi les gestes de ces présidents, bien que libérateurs de l'Algérie, avaient un penchant pour la France. Comment l'expliquer ? Un poison français semble circuler dans les veines de l'Algérie. Le refus d'adhérer à la francophonie afin de faire du français une partie intégrale de l'Algérie a engendré un désir populaire de contrer l'ambiguïté d'El Mouradia. Tentative populaire ratée ! Le peuple algérien est bien plus ambigu que ses gouverneurs. Si le français est indispensable en Algérie « tel l'oxygène dans l'air », les réactions remettent en cause cette nécessité. Ceux qui parlent français sont ou des frimeurs ou des cultivés, cela dépend. Ceux qui ne l'utilisent pas soit ils n'appartiennent pas à ce siècle ou alors ce sont des braves refusant l'influence de la France, de l'Occident. Ces réactions varient en fonction de ceux qui réagissent, et ceux qui réagissent diffèrent en fonction de la zone géographique. Le Club des Pins n'est pas Bab El Oued ! Le pluralisme linguistique qui existe en Algérie est pour certains le fruit d'une stratégie française visant à subordonner l'Algérie. Pour eux, les français n'ont toujours pas digéré la perte de l'Algérie. «La langue française est un butin de guerre», disait Kateb Yacine! Pour d'autres, c'est une conséquence logique et même naturelle aux 132 ans de présence française en Algérie. La question qui se pose «sommes-nous en quête d'identité, sommes-nous perdus dans ce monde «occidentalisé» ou «turquisé» ? Et la langue arabe dans tout ça, dans toute cette stratégie, rappelons que nous ne maîtrisons pas l'arabe convenablement comme les Syriens ou les Yéménites pourtant des pays aussi sous influence mais ayant su garder cette notoriété. Ah cette notoriété, c'est comme une belle femme, chacun veut la garder à ses côtés. Ainsi, dirait un enfant du Québec de trois ans à sa mère : «Maman pourquoi au Québec nous parlons français alors qu'a Toronto ils parlent anglais ? Ils et nous sont pourtant du même pays. Poser la question autrement, c'est comprendre le très bas niveau des français en anglais en France ? L'université de Laval a le sponsor suivant : offrez-vous l'Amérique du Nord en français.» Pour l'Algérie, ça pourrait être «découvrez l'Algérie en Français mais sans la francophonie»… Paradoxe ! Oui et non. Il existe un seul lycée étranger à Alger et c'est un lycée français ; les dirigeants algériens excellent dans le roulement du «r» ironiquement. Au final, on utilise l'identité linguistique comme une arme à double tranchant : culturelle et politique. Le Maroc et la Tunisie, nos homologues maghrébins, ne nous ont pas suivis, ils adhèrent à la francophonie. Peut-être que notre pétrole nous permet de monter un peu sur nos chevaux et de se passer de cette francophonie ! Certains diront que l'adhérence du Maroc et la Tunisie est un peu une obligation, comme le touriste français, tout en se réjouissant de la nature sublime et des plats épicés, doit absolument retrouver sa langue, sa culture son identité. Nature oblige. Au final, si les relations entre la France, le Maroc et la Tunisie s'apparentent comme des couples un peu plus homogènes que le couple franco-algérien, la France est la première à bénéficier de toutes ces relations. C'est l'homme, le chef de famille, le manager sur tous les plans et l'actionnaire puissant qui reçoit la plus grande part d'un délicieux gâteau. Côté Occident, le peuple français et le leader français se suffisent à eux-mêmes. Quoique la communauté maghrébine, importante minorité musulmane, commence sérieusement à inquiéter les écrivains, les chroniqueurs, les politiciens et le citoyen tout simplement. L'essai de Zemmour, le roman de Houellebecq, les déclarations controversées de Kamel Daoud, l'attentat de Charlie Hebdo, les actes islamophobes et, et… d'autres événements qui ne font que d'envenimer le couple franco-maghrébin. Mais pas seulement, un couple bien plus grand est en jeu, le mariage entre l'Orient arabo-musulman et l'Occident ne fait pas l'unanimité dans les deux familles. Un couple malade, oscillant entre union et divorce. Qui dit réconciliation dit coopération et qui dit coopération dit union. Sauf que la coopération culturelle existe, certes, mais la réconciliation culturelle non, loin de là ! L'Occident et l'Orient ne se mélangent pas, c'est un peu comme l'huile et l'eau. L'Occident étant plus lourd, flotte au dessus de l'Orient léger… La diversité culturelle n'y est pas ou sinon y aurait-il quelques bulles d'eau dans l'huile et quelques bulles d'huile dans l'eau ? La diversité culturelle que certains glorifient est éphémère, elle est suivie de fanfares médiatiques pour l'exagérer ! On cite les dialogues de tous genres, de toutes dimensions socioéconomique, sociopolitique, politico-économique, politico-religieux, à tel point qu'on en perd et la signification et l'authenticité. Dialogue entre Occident et islam, dialogue entre christianisme, judaïsme et islam, partenariats socioéconomiques entre l'Algérie et la France, partenariats méditerranéens, dialogue franco-maghrébin, forums entre les USA et islam. Bref ! On joue avec les mots sans règles du jeu et la construction de nouveaux mots nous amuse, islamophobe, islamiste, islamisme, les acronymes aussi : Daech, CNT, ASL… Les événements et leur rapidité nous rendent indifférents. Décapitations, conflits ethniques et religieux, massacres d'enfants font et doivent désormais faire partie de l'histoire du XXIe siècle. Le concept des forces du mal que Bush avait introduit après le 11 Septembre paraît perpétuel. La paranoïa d'Al Qaîda il y a une décennie et celle de Daech aujourd'hui ont fait du monde arabo-musulman une région à purifier, à nettoyer, à démocratiser. Une région arriérée démocratiquement et un peuple dans l'ignorance. On ne fait pas d'amalgame, attention ! Mais on mélange quand même. Le Printemps arabe a pourtant prouvé que le peuple arabe peut se démocratiser mais les chefs arabes n'aspirent point cette nouvelle mode. L'Occident semble du même avis. Du coup, le peuple arabe fait face à une nouvelle tyrannie, avec la bénédiction de l'Occident. Le peuple arabe est condamné à un sort : choisir entre dictateurs arabes ou terrorisme, mais jamais les vœux souhaités par Bouazizi. Nature de la cause ? Culturelle. Contre-révolutions, coups d'Etat, morts, blessés, dialogues «nonsense» et débats vains… Comme dit Hillary Clinton, le prix de la démocratie est cher ! Au même prix pour tous les peuples ou un peu plus cher pour le peuple arabe ? Qui fixe les prix ? Question de culture ? Oui ! Même si les différents programmes américain, britannique et autres comme le MEPI, Young Arab Voice, les bourses pour former les jeunes Arabes au leadership démocratique… Rien ne peut mélanger les deux, l'Occident flotte toujours au dessus de l'Orient. L'islam compatible avec la démocratie, c'est ce qu'Alain Juppé, David Cameron, Barack Obama et bien d'autres chefs occidentaux avaient crié haut et fort, à chaque apparition, à chaque discours, dans chaque communiqué. Peut-on sonder les cœurs et les têtes. Oui, cette fois oui ! Car ce que ces leaders cachent, d'autres le disent ouvertement ! La démocratie ne peut être compatible qu'avec la civilisation judéo-chrétienne. La civilisation arabo-musulmane, pour eux, semble rejeter la démocratie. Dans cette région, l'islam semble le législatif, l'exécutif, le judiciaire, le religieux, le tout les jours ! Par conséquent, sans démocratie, cette région restera arriérée. Tout ceci place l'Occident comme maître et l'Orient comme élève désobéissant, au visage matinal et à la coiffure déséquilibrée, se plaçant au fond de la classe. Rien ne peut mélanger les deux, l'Occident flotte toujours au-dessus de l'Orient. L'Occident dit à l'Orient suis-moi, l'Orient refuse ! L'Occident dit à l'Orient donne-moi de tes richesses, de ton peuple, l'Orient refuse. L'Occident a su alors que l'Orient ne pouvait jamais devenir l'Occident et vice-versa. Alors la mondialisation, aux mains des Occidentaux, a exporté les rêves occidentaux, occidentalisant alors l'Orient. Encore une fois raté ! Bien que l'air de l'Occident semble omniprésent, les maisons, les rues, les têtes, l'Occident a fait ses conquêtes vestimentaires, alimentaires, culturelles, on préfère Coca-Cola à Selecto, on préfère les jeans aux abayas, on préfère la liberté occidentale à la tyrannie arabe… On, on… ! Une fois que l'Occident est parvenu à tout cela, il a voulu aller plus loin, atteindre la religion. Alors dessinons Muhammad! Et, coup de théâtre ! Mohammed est bien au dessus de toutes ces influences, il est plus lourd que l'huile, plus beau que toute autre beauté. Ne touche pas à mon Prophète, dit l'un, soutenons notre Prophète dit l'autre, prêts à verser votre sang pour Mohammed, demande le peuple. Oui, répondent les chefs arabes ! Seule fois où le peuple et l'autorité sont d'accord ! Mohammed, quel homme fut plus grand, se demandait Lamartine ! Il réussit à unir les cœurs quand les idées divergeaient, quelle sagesse ! Quelle intelligence ! L'union spirituelle que Mohammed avait initiée il y a quatorze siècles n'a rien perdu de son actualité. L'islam éradique tout. Une force qui semble au-delà de toutes les forces, les conversions en masse inquiètent ! Des mouvements pour contrer l'islamisation de l'Europe Pegida et autres. L'Occident se dit : sans cette religion, l'Orient se serait assujetti entièrement ! Alors, l'Occident tente de perpétuer la division de l'Orient. La division de l'autre fait la force d'autrui ! Alors il s'acharne et l'Orient se défend, il conquiert et l'Orient résiste, il domine et l'Orient se renforce, il efface et l'Orient réécrit, il envahit et l'Orient repousse… L'un contre l'autre fait que rien ne semble atténuer les conflits et les divergences : ni le pluralisme linguistique ni la diversité culturelle. Samuel Huntington l'a bien prophétisé, le siècle dernier : le clash des civilisations. Et ce n'est que le début.