Prévue et programmée en 2013, cette rencontre scientifique n'est donc point une initiative dictée par la conjoncture économique liée aux turbulences du marché pétrolier et ses incidences sur la situation financière et budgétaire du pays ; elle s'inscrit dans un cursus de master traitant de la problématique du développement territorial. Il n'est pas, toutefois, anodin que cette thématique autant que le master lui-même, lancé en 2010, soit l'émanation d'un climat d'inquiétude générale de l'opinion publique algérienne relative à l'économie du pays, relayée par certains médias et quelques débats universitaires. Fait d'apparence paradoxale en Algérie, la perspective de l'avènement d'une économie plurielle alternative à celle mono exportatrice d'hydrocarbures s'éloigne au fur et à mesure qu'on en parle et la réclame ! Qu'à cela ne tienne, il faut remettre l'ouvrage sur le métier, il y va de l'avenir de plus en plus proche de nos enfants. Il est vrai aussi que l'irruption du débat plus ou mois biaisé sur le gaz de schiste depuis quelques mois remet en selle cette problématique et confère un peu plus de pertinence aux différentes contributions proposées dans ce colloque. Celles-ci, classées par rubriques ou axes thématiques par le comité scientifique, révèlent déjà, au-delà de l'obsédante question de la rente pétrolière et gazière, celle plus prometteuse de la variété, de la multiplicité et surtout du caractère renouvelable des ressources territoriales. Mieux encore, il en ressort l'idée, voire le constat fait à partir d'expériences de terrain algériennes et surtout étrangères, que tout territoire, fut-il d'apparence pauvre et désertique, est susceptible de recéler des ressources appréciables, pour peu que ledit territoire ne soit pas déclassé au nom d'une hiérarchie administrative de ressources ou de leur exploitation sur la base de leur seule rentabilité immédiate ou de sa valeur marchande. De même qu'il apparaît que la dimension strictement économique de la ressource n'est pas toujours la plus importante, contrairement à ce que l'on croit d'ordinaire. Cela est assez explicite dans les différentes communications, dont moins de la moitié porte sur des problématiques économiques, encore que rares sont celles qui pourraient être ainsi catégorisées de façon stricto sensu ! En témoignent les intitulés des séances plénières : Gouvernance territoriale, capital social et développement 1- Développement local et attractivité territoriale 2- La culture et le patrimoine comme ressources pérennes du développement touristique 3- Ressources spécifiques et approches comparatives du développement 3- Dans quelles mesures, les villages, les petites et moyennes villes (l'essentiel du paysage urbain algérien) fortement inscrits dans l'histoire et la culture locales permettent-ils l'émergence et la production de ressources territoriales ? 4- Relations économie-globale – économie locale et renouvellement de la ressource : quelles coopérations et synergies à mettre en œuvre en Algérie ? 5- Gouvernance territoriale, culture, tourisme, patrimoine, villages… Autant de notions et de concepts qui ne relèvent point, à première vue, de la vision économique classique fondée sur la mobilisation de facteurs de production (financiers, physiques, technologiques), facteurs qui seraient porteurs en eux-mêmes de dynamisme économique sans ancrage territorial, institutionnel et anthropologique. Le colloque avait ainsi pour objectif de remettre à l'honneur le territoire en tant que lieu de vie, de mise en valeur de richesses insoupçonnées, de mise en œuvre de projets innovateurs, d'émergence d'acteurs territoriaux et partant de développement économique et socioculturel. Le tout s'inscrivant dans une optique modeste du «Small is beautiful» (E. F Schumacher, 1979) ou du développement à petite échelle, à la dimension géophysique des territoriales et de leurs composantes socio-anthropologiques. Il veut mettre en lumière une idée qui a fait ses preuves ailleurs et qui tarde à se manifester en Algérie : il n'y a point de territoires sous-développés et condamnés à le rester, il n'y a que des territoires sans projets ! Et dans ce constat fait par les socio-économistes de proximité, on sait depuis au moins D. North (2005) que c'est la qualité ou la défaillance des institutions (étatiques, sociales, mentales…) qui sont à l'origine et pour une large part dans la situation de développement ou de sous-développement. Considérant cette donnée politico-institutionnelle et culturelle, la question de la ressource devient secondaire ou plus exactement potentielle. Elle émerge, acquiert de la consistance et mise en valeur ou à l'inverse ignorée, gaspillée et dévalorisée selon les projets mis en avant par les acteurs et les institutions locales et nationales. Dans cette perspective, les acteurs territoriaux sont, a priori, plus disposés pour définir et porter ces projets dès lors qu'ils sont censés être plus ancrés dans leur territoire et donc plus aptes à assurer sa pérennité. Ce qui renvoie à la question de la nature de la gouvernance territoriale, autre point crucial abordé dans le colloque. Car la gouvernance territoriale joue un rôle essentiel dans la détermination des ressources et leur mise en exploitation dans le cadre de projets territoriaux. Dans ce cadre, la ressource a toutes les chances d'être appréhendée comme un potentiel renouvelable et précieux à entretenir et non comme un stock de matières ou de facteurs de production à «consommer» jusqu'à épuisement (C. Courlet, 2008). La notion de matière ou de facteur de production inclut, bien entendu, la dimension immatérielle qui est souvent déterminante, notamment la culture locale (expérience, savoir-faire, histoire, intelligence sociale…). D'où le concept de patrimoine auquel le colloque a accordé une importance non négligeable, appréhendé comme une ressource multiforme à même de constituer un atout appréciable dans l'image et la force d'attractivité territoriale. L'activité économique souvent associée au patrimoine est le tourisme (autre concept inconnu dans les cursus d'économie en Algérie et largement évoqué dans le colloque). Cette activité est, en effet, le biais par lequel le patrimoine se donne à voir comme ressource territoriale dans sa double dimension matérielle et immatérielle. Le patrimoine, s'il est inventorié, protégé et classé, peut se déployer au-delà de sa valeur historique et culturelle, comme une importante richesse économique et devenir un facteur de développement global, économique, social, culturel, scientifique… Marqueur culturel indélébile, il donne au territoire une image à même de lui conférer une originalité, voire un avantage comparatif ou tout du moins un caractère attractif. Le colloque, de façon délibérée, a insisté sur le rôle du patrimoine et du tourisme dans le développement économique. En France, grâce d'abord à André Malraux qui a entrepris d'inventorier et de protéger le patrimoine français dans toute sa diversité en vue de sa valorisation, le tourisme est devenu un secteur économique de premier plan, au même titre que les secteurs classiques : l'industrie et l'agriculture. Plus de 80 millions de visiteurs étrangers procurant à l'économie française des milliards d'euros (total des recettes touristiques : 77 milliards d'euros en 2013, soit 7% du Pib). Le génie de Malraux est d'avoir perçu que le patrimoine, au-delà de sa valeur identitaire et civilisationnelle, est aussi une richesse économique ; les châteaux, les musées, les cathédrales, les vins, les fromages, la gastronomie français, etc., participent tous de cette richesse, raison pour laquelle ils font l'objet d'une politique de valorisation suivie et rigoureuse. Beaucoup d'autres pays ne sont pas en reste. L'Espagne avec ses plages, ses arènes et… ses clubs de football, l'Egypte avec ses pyramides pharaoniques, l'Italie et la Grèce avec leurs monuments historiques, etc., pour n'évoquer que les pays méditerranéens, ont su développer une économie touristique grâce à leur patrimoine. Ces différents exemples montrent que tous les territoires recèlent de ressources semblables, complémentaires ou spécifiques, susceptibles de constituer un soubassement à une politique de développement local, pour peu que ces ressources souvent «invisibles» parce que «petites» et sans grande portée stratégique soient mises en valeur dans la perspective d'une vision territoriale et non fonctionnelle de la vie économique (P. Aydalot, 1985). Il s'agit aussi de mettre un terme à la primauté accordée au macro-économique pour donner plus de considération au micro-économique fondé sur des moyens et des acteurs de niveau infranational. A ce niveau, les biens patrimoniaux seraient mieux appréciés en tant que source d'attractivité, voire même des éléments participant à la productivité générale du territoire. Dans cette optique, les espaces n'ont point pour seule vocation de mettre à disposition des facteurs de production mais des avantages comparatifs que ce territoire petit ou grand peut offrir en mobilisant son histoire, sa culture et son identité spécifique. C'est dire, en définitive, que le développement local est d'abord une démarche relationnelle et synergétique entre un espace, des acteurs, une culture et des ressources avant d'être un montage administratif, financier et technique. Cela demande la mise à l'écart de la vision de l'allocation des ressources pour laisser place à celle de la mobilisation, voire de la création de ressources endogènes et vernaculaires. Mais une telle option exige un autre paradigme de développement et surtout un nouveau mode de gouvernance nationale et territoriale.