La mère et la fille. Sans le frère ni le père. Les victimes et les bourreaux. Le dernier livre de Leïla Marouane est un réquisitoire de l'Algérie indépendante. Que sont devenus nos idéaux ? Les femmes sont montées au djebel, ont posé des bombes, fabriqué des drapeaux durant la guerre de libération. Sept ans à souffrir avec les hommes, plus que les hommes. Puis, direction la cuisine et les cliniques d'accouchement. Puis, le code de la famille. Puis, tous les illuminés, barbus ou glabres, en tenue afghane ou en costume-cravate. La femme a cessé d'exister en 1962, un certain 5 juillet, pour servir l'homme. L'Algérienne est devenue mère, sœur, épouse féconde, mais jamais complice, jamais l'égale. Trahie par ses anciens camarades, embourgeoisés par le parti unique, trahie par ses sœurs de combat pour des postes dérisoires dans un appareil d'Etat englué par ses contradictions. Les fols espoirs des premières années d'indépendance se sont évaporés sur les coups de butoir des gardiens de la morale, ces conservateurs qui n'ont pas levé le petit doigt pendant la lutte, mais que le pouvoir a promus en défenseurs de notre identité. Leïla Marouane a choisi de montrer le combat de ces femmes à travers une mère et sa fille. Si la première semble résignée à son sort, un destin humiliant de servante, sa fille refusera la tyrannie du père, éduquée par la révolte sourde de sa génitrice. L'Algérie a engendré des monstres, couvé la haine. En choisissant d'être unijambiste en se privant de plus de la moitié de la société, elle n'a engendré que des malheureux. L'islamisme n' est pas né ex-nihilo. Il a trouvé un lit accueillant, douillet, qui ne demandait qu'à être utilisé et « les chasseurs de lumière » ne s'en sont pas privés. Le code de la famille a plus de 20 ans. Autant d'années d'humiliation et de mépris. Pas seulement pour les femmes. Dénier à l'autre le droit d'exister c'est préparer son propre anéantissement. Leïla Maraouane a opté pour un style vif, alerte, nerveux. Des morsures salvatrices. Son écriture résonne comme une colère, une rébellion contre une injustice dont nous sommes tous responsables. Plus qu'un cri d'alarme, ce livre est une ode à la révolte. Pour que l'Algérie décide enfin de marcher sur ses deux pieds. Pour que les femmes gomment le mot soumission de leur vocabulaire. Pour que les hommes découvrent aussi qu'elles sont des femmes comme les autres.