Leïla Marouane signerait, là, un livre « décoiffant » au titre pour le moins racoleur. Dans le paysage littéraire algérien, une nouvelle voix trace son chemin de manière constructive, de façon ascendante et, surtout, en étant iconoclaste, différente, car elle bouscule les us et coutumes, dépoussière les vieux meubles, en un mot, elle fait le ménage dans le champ du roman algérien. L'écrivaine algérienne, Leïla Marouane, « décoiffe » avec son tout dernier roman, sorti au mois d'août, La vie sexuelle d'un islamiste à Paris, que j'ai lu sous un soleil torride. Tout un programme, croustillant de prime abord, politique, on pourrait le déduire. Osé, le titre interpelle car il ne peut être anodin ni être choisi à la légère. Et, justement, il prend à contre-pied tout lecteur qui ne s'intéresse à la fiction que pour son côté sociologique ou politique. Une partie de l'histoire annoncée n'aura pas lieu, car l'islamiste est sorti du « droit chemin », celui qui mène au paradis. L'ex-islamiste, donc, personnage principal du roman, parle à la première personne. Il a plutôt des problèmes à régler, des fils à démêler avec sa mère, originaire de Blida, « la ville des Roses et de Jean Bensaïd, alias Jean Daniel », mais aussi des contraintes sociales et des traditions étriquées qui ne laissent aucune possibilité à la liberté personnelle de s'exprimer. Le rapport œdipien entre le fils et la mère est la clé du roman. Le défi de Leïla Marouane est de camper un personnage masculin. Le « je » masculin devient sulfureux car c'est la romancière qui entre dans la psychologie d'un homme. Nous avons été habitué, en littérature algérienne, aux romanciers qui rentrent dans des personnages féminins, comme Rachid Boudjedra ou Boualem Sansal, d'autres qui prennent même des pseudonymes féminins, comme Yasmina Khadra, qui est, du reste, implicitement mentionné dans le roman pour son indélicatesse et, apparemment, son mépris pour la romancière Loubna Minbar qu'il accuse de ne pas être assez algérienne. Une écriture de mise en abyme où le texte se rapporte à son auteur. En effet, la lecture devient stimulante quand on devine que Loubna Minbar n'est autre que Leïla Marouane qui crée, donc, son propre personnage et insère, ainsi, une partie de sa vie dans le roman. La lecture de deux de ses romans me confirme que chaque page et chaque ligne respirent une algérianité à fleur de peau. Encore faudrait-il définir ce qu'est « être Algérien ». Machisme étonnant ? Leïla Marouane démontre, de toute évidence, qu'elle connaît la psychologie des hommes de son pays. Ce roman marquera un tournant dans la littérature algérienne, pour ceux qui veulent bien s'y attarder. Pour la première fois, une romancière algérienne casse un tabou, celui d'éviter d'inscrire dans un texte littéraire la sexualité crue, l'acte sexuel, la description du sexe de l'homme ou de la femme, sans que l'on tombe dans le roman pornographique, que l'on s'entende bien ! Leïla Marouane est la première romancière à le faire, sans fausse pudeur, sans vulgarité. Les scènes s'inscrivent dans une intrigue bien construite, et s'adaptent à la psychologie du personnage principal. Ainsi, le lecteur se retrouve à lire des pages crues qui s'insèrent subtilement dans un ensemble qui révèle avec force les jeux interdits d'une société pour qui la virginité doit être une valeur sûre et fondamentale avant le mariage. La romancière dévoile au grand jour les choses tues. Elle connaît le monde féminin, le monde sclérosant de ses sœurs algériennes, et elle en joue pour produire des scènes d'une crudité hallucinante qui parleraient à plus d'un et plus d'une. Je reviens à la relation étouffante des mères algériennes vis-à-vis de leurs garçons qu'elles ne veulent pas lâcher, « la prunelle de leurs yeux », l'émerveillement de leurs jours. La psychologie de la mère algérienne, accaparatrice et étouffante, comme les mères juives, dit-on, est portée à son paroxysme dans ce roman où les appels téléphoniques de la mère deviennent des obsessions, où le fils tente désespérément de s'extirper, non seulement de sa mère, mais aussi de l'islamisme rigoureux d'une famille bigote dont il veut s'éloigner pour pouvoir, justement, vivre sa vie d'homme en tant qu'individu. Ce roman pose, me semble-t-il, toute la question du libre arbitre, de la décision du choix personnel de vivre sa vie, sans s'inscrire obligatoirement dans un carcan religieux ou social. D'autre part, le roman exprime avec nuance la relation humaine existante entre l'Algérie et la France que l'on ne peut occulter : « Pour nous, les Algériens, Paris n'avait pas de secret … Alger était le prolongement de Paris, et Paris recevait les ondes et les échos d'Alger, comme si le sirocco soufflait sur les arbres des Tuileries … ». La question de l'identité est posée avec brio dans ce roman perturbant. La voie royale serait peut-être l'acceptation de soi, l'appartenance à un monde multiple — une richesse — ce qui n'est pas un vain mot. Leïla Marouane, La vie sexuelle d'un islamiste à Paris. Ed. Albin Michel, Paris. 2007.