Y a-t-il des moyens pour contrôler les dépenses publiques en Algérie ? En théorie, il est toujours possible de contrôler les dépenses publiques de l'Etat. Les moyens institutionnels sont nombreux et divers. La Banque centrale, le Parlement, le Sénat, la Cour des comptes sont des institutions pouvant assurer à la fois la cohérence et la « rationalité » des dépenses budgétaires du gouvernement, agissant au nom de l'Etat. En Algérie, ce n'est malheureusement pas le cas pour plusieurs raisons. La Banque centrale d'Algérie n'est plus indépendante. Elle a perdu de fait son autonomie par les ordonnances de 2001 et 2003 qui ont battu en brèche la loi sur la monnaie et le crédit de 1990. Ces ordonnances n'ont d'autre objectif que l'assujettissement du pouvoir monétaire au pouvoir politique. Elles rappellent la sinistre la loi de finances complémentaire (loi n°65-83) du 8 avril 1965 qui stipule que « sont abrogées les dispositions relatives au mode de réalisation et aux limites de pourcentage et de durée (…) Ce mode de réalisation et ces limites (sont) désormais déterminées par le président de la République » ! Le Parlement et le Sénat, en Algérie, sont, de l'avis de la majeure partie des Algériens, des institutions qui ne constituent plus un contre-pouvoir. Le triste épisode du dernier amendement de la Constitution le prouve amplement… En fait, le contrôle des dépenses publiques ne peut s'exercer que dans le cadre d'un modèle politico-juridique assurant une véritable représentativité de la société, la séparation des pouvoirs et le contrôle populaire des institutions. Ce n'est pas le cas en Algérie, dont le régime est qualifié d'autoritaire. Le Parlement algérien est-il efficient ? Joue-t-il son rôle de contrôle ? Le Parlement algérien n'est nullement efficace en termes de contrôle du moment qu'il est réduit à une chambre d'enregistrement qui entérine les décisions de l'Exécutif. Ceci est l'avis même de ceux qui y siègent. L'institution parlementaire en Algérie n'a plus de sens. Elle n'existe que pour ravaler la façade d'un régime autoritaire qui se donne l'image d'une démocratie, certainement pour l'opinion internationale. C'est ce que l'on appelle une « démocratie de façade ». La Cour des comptes a-t-elle les moyens de contrôler les dépenses publiques ? Théoriquement, la Cour des comptes a les moyens juridiques pour intervenir. C'est une instance de contrôle, mais à l'instar de toutes les institutions, son pouvoir n'est que formel… Comme souligné précédemment, l'Etat, en Algérie, se différencie de l'Etat moderne même s'il lui emprunte certaines de ses structures et ses modes d'organisation et de fonctionnement. En ce sens, rappelons les propos ô combien significatifs du chercheur algérien Ahmed Dahmani qui souligne : « Au niveau institutionnel, le principe de séparation des pouvoirs (législatif, judiciaire et exécutif) a toujours été retenu, mais dans la pratique, le pouvoir réel, déterminant, s'est toujours exercé en dehors des structures et institutions officielles, apparentes, affichées… » L'Algérie est au bas du tableau en matière de transparence budgétaire. Quelles sont ses lacunes, selon vous ? Le manque de transparence est une des principales caractéristiques des régimes autoritaires. L'Algérie n'échappe pas à cette règle. Les grands projets de l'Etat s'accumulent de manière incohérente et les surcoûts sont légion. Cela peut-il être interprété comme un gaspillage des deniers publics ? La question des surcoûts et du gaspillage des deniers publics est le résultat automatique du fonctionnement global de l'économie. Plus précisément, de la nature des relations entre le politique et l'économique en Algérie. Le régime politique, pour assurer sa survie, empêche l'économie de s'émanciper. Cette soumission volontaire du champ économique au politique explique le double échec du projet de développement lancé dans les années 1970 et de toutes les entreprises de réforme entamées ces 30 dernières années. Sinon, comment expliquer que malgré ses discours, l'Etat n'arrive pas à réformer l'économie en vue de passer d'une économie rentière à une économie productive ? La réponse se trouve dans la nature de l'Etat lui-même et ses relations avec la société. Toute réforme économique en Algérie se traduirait fatalement par la remise en cause radicale des pouvoirs entre la société civile et l'Etat. Ce que ce dernier ne veut pas. C'est pourquoi il se contente de ce rôle d'interface entre le marché interne et le marché international, en s'appuyant uniquement sur la rente pétrolière. L'expérience du gouvernement réformateur de M. Hamrouche est là pour nous rappeler que le régime politique s'opposera à toute initiative visant le rééquilibrage des rapports de force entre la société civile et l'Etat. La primauté du politique sur l'économique est une constante dans l'histoire de l'Algérie. Le renversement de cette tendance est possible mais elle dépend de la prise de conscience généralisée de la société et des véritables cercles de décision au sein du régime ; il va falloir que tout le monde accepte de sacrifier ses intérêts immédiats pour l'avenir à moyen et à long termes du pays. Malheureusement, nous sommes encore loin de cette perspective. Est-il possible de contrôler ce qui est appelé « le train de vie l'Etat » ? Dans le cadre du modèle politico-idéologique de l'Algérie actuelle, cela est impossible. Il faut au préalable « déprivatiser » l'Etat, le « civiliser », ce qui signifie la mise sous l'autorité civile de toutes les institutions.