La hausse substantielle des prix des hydrocarbures qui a procuré au pays près de 200 milliards de dollars de réserves de change au cours de ces quinze dernières années aurait, dans ce cas, suffi pour la régler. La crise de l'économie algérienne mais, plus largement encore de la société dans son ensemble, est aussi et avant tout une crise systémique qui ne peut être dépassée que par une rupture radicale avec un mode de gouvernance qui a atteint ses limites. Ce constat aujourd'hui largement admis aussi bien par les opérateurs économiques que par la classe politique algérienne, est que le système du marché fonctionnant sur des règles universelles constitue depuis la fin des années 70' l'unique voie à suivre pour intégrer autant que possible le pays dans l'économie mondiale. Un certain nombre d'actions ont certes été entreprises dans le sillage de la réforme économique de 1988, mais l'instabilité politique, le manque de ressources budgétaires et les problèmes sécuritaires qui ont troublé le quotidien des Algériens durant plus d'une décennie ont considérablement ralenti la mise en œuvre des ajustements structurels et du coup compromis la transition à l'économie de marché. Avec le retour de la stabilité, toute l'énergie des pouvoirs publics aurait dû se focaliser sur la poursuite et l'approfondissement des réformes devant permettre aux entreprises algériennes d'émerger dans une économie sans frontières fortement concurrentielle. La volonté d'œuvrer résolument dans cette voie a malheureusement manqué aux autorités politiques algériennes qui ont vite sombré dans la facilité en raison de l'excès d'aisance financière induit par une envolée des prix du pétrole qui durera plus d'une décennie. Quelles que soient les spécificités du pays qui l'adopte, l'économie de marché est en effet universellement basée sur un certain nombre d'invariants qui la caractérisent. L'Algérie s'est attelée tout au long de ces quinze dernières années à donner un contenu concret à certains éléments de base de l'économie de marché, comme la vérité des prix, la concurrence interbancaire, la promotion de l'investissement privé national et étranger, la prédominance économique du secteur privé, la promotion d'un Etat régulateur dont l'action ne doit jamais aller à l'encontre des règles du marché, etc. Bien des réformes parmi lesquelles des décisions ayant provoqué de grands bouleversements dans la conduite de l'économie ont été mises en œuvre souvent avec beaucoup de courage, mais les retards pris à réformer d'autres secteurs complémentaires donnent à l'action gouvernementale une impression de désordre et d'incohérence ayant débouché sur une économie de marché encore immature pouvant être remise en cause du jour au lendemain par une autorité politique qui refuse de se démocratiser et qui peut de ce fait décider d'une chose et son contraire sans en aviser. Cette forme de gouvernance est de nature à fragiliser les acquis des réformes qui peuvent être remis en cause au moyen de lois de finances annuelles et complémentaires, comme c'est le cas depuis quelques années. L'état incomplet et non irréversible du système de marché algérien pose, à titre d'exemple, un sérieux problème à l'industrie algérienne dont la réhabilitation reste aujourd'hui encore tributaire d'une politique industrielle qui tarde à être formulée avec précision, du fait qu'elle dépend étroitement d'un certain nombre de réformes indispensables qui ne sont pas encore mises en œuvre. L'impératif de mise à niveau de notre industrie avec l'industrie mondiale impose pourtant un redéploiement de l'outil de production national, qu'il faudra réaliser, certes avec méthode, mais aussi et surtout avec une certaine célérité que ne permet malheureusement pas la conjoncture actuelle. Pour ce faire il aurait effectivement fallu que l'Algérie dispose d'un chef d'Etat en pleine possession de ses moyens physiques, une Constitution définitivement arrêtée et un gouvernement ayant les coudées franches pour agir. Beaucoup de temps a ainsi été perdu. La transition d'une économie de commandement à une économie d'initiative n'est effectivement pas une tâche facile dans les pays sous-développés, notamment quand ils ont, comme le nôtre, une longue tradition de gouvernance autoritaire de surcroît engluée dans des problèmes de clientélisme et de corruption alimentés par la rente pétrolière. La constitution de fortunes sans cause et les habitudes rentières héritées de l'ancien système constituent autant d'obstacles qui retardent son avènement. Passer outre ces obstacles de façon autoritaire, comme a tendance à le faire l'actuel chef de l'Etat à coups d'ordonnances présidentielles et de conseils des ministres restreints peut effectivement faire avancer les choses, mais à condition que l'élaboration des textes d'ordonnances et les décisions prises à l'issue de hauts conseils soient précédées de larges débats avec les acteurs concernés. Concoctées en vase clos, comme c'est actuellement le cas, les textes de lois ont, comme on peut le constater, peu de chance d'être appliqués car immédiatement contestés par ceux qui sont précisément chargés de les appliquer.