– Vous continuez à vous produire malgré le dernier attentat à Sousse… Effectivement ! Je continue à monter sur scène aujourd'hui plus que jamais, c'est d'ailleurs un signe de résistance et la meilleure réponse à de tels actes. La Tunisie vit et vivra à travers nous et à travers le sourire à la bouche des Tunisiens. C'est le moment de travailler et de donner du bonheur à mon public, hier j'ai joué à Sousse dans un théâtre de 3000 places qui était archicomble. J'ai même été à Kairouan un jour après l'attentat et les Tunisiens étaient au rendez-vous. – Il était comment le public à Kairouan au lendemain de l'attentat ? Les Tunisiens étaient extraordinaires, ils dégageaient beaucoup d'émotion. Contrairement à ceux qui veulent semer la mort, la vie jaillissait du public. Et puis, sortir est devenu un devoir patriotique dans ces moments difficiles que traverse le pays. Le public, par ses cris, sa joie et son rire, a dit «vive la Tunisie ! Elle restera debout malgré tout». – L'état d'urgence décrété par le président tunisien influencera-t-il l'activité des spectacles ? Pas du tout, je donne des spectacles presque chaque jour. Ni le public n'a quitté les salles, ni les autorités ne vont pouvoir arrêter ça ! – Vous êtes l'une des premières célébrités tunisiennes à sortir publiquement à travers une vidéo postée sur Youtube pour dire «Dégage» au président déchu Zine el-Abidine Ben Ali. Quatre ans après sa chute, êtes-vous satisfait de ce que devient la Tunisie après lui ? Je ne parlerai pas de satisfaction. Je suis plutôt heureux de la révolution tunisienne qui n'est toujours pas achevée. La révolution ne se résume pas en l'évacuation d'un dictateur. La chute de Ben Ali est uniquement le commencement d'un lent processus de démocratisation. La Tunisie est aujourd'hui un pays instable économiquement, socialement… je trouve que la révolution est désormais culturelle. Mais si vous m'obligez à parler de satisfaction, je dirais que je suis satisfait de voir les Tunisiens parler de liberté et rêver de démocratie. – Vous êtes optimiste quant à l'avenir de votre pays… La Tunisie est un petit pays qui manque d'effectif. Nous ne sommes pas riches matériellement mais nous avons gagné l'amour de tout le monde. Même si ce qui se passe chez nous nous fait parfois peur, je reste optimiste et je compte sur le potentiel sympathique dont disposent les Tunisiens. – Vous êtes tout le temps dans la critique des politiques tunisiens ; votre satire n'a épargné personne : tous les dirigeants de la transition à la troïka et aujourd'hui Badji Caïd Essebsi… Les responsables, quels qu'ils soient, doivent comprendre qu'ils sont là pour la Tunisie et non le contraire, et à l'instar de tout le monde, ils seront critiqués. Ce sont après tout des fonctionnaires de l'Etat ! La plupart du temps, je fais dans la caricature pour les démystifier, et c'est grâce à l'ironie que nous allons éviter de créer d'autres dictateurs et des demi-dieux. Il faut dire aux dirigeants arabes que le monde a changé et qu'être en haut de la hiérarchie ne met pas à l'abri de la critique. Comme en France ou en Allemagne. – Pourquoi vous donnez l'exemple de ces deux pays européens ? Parce qu'ils sont plus démocratiques que les pays arabes. Une démocratie arabe n'existe pas ! C'est la guerre ou la dictature. En Tunisie, nous essayons de donner un exemple de liberté, et cela nous a fragilisés. Nous sommes devenus la cible de tous ceux qui craignent de voir notre exemple se reproduire chez eux. Si la Tunisie réussit, c'est tout le Maghreb qui sera touché. Moi, je souhaite que la démocratie règne partout dans les pays arabes et surtout dans le Maghreb. Mon souhait est de voir nos voisins et nos proches libres aussi. Parce que c'est toujours agréable de voir les gens libres et libérés. Non pas par la révolution, mais ils ont besoin tout comme nous de cet air de liberté. Même s'il y a une stabilité au Maroc et en Tunisie, on connaît la situation. Je souhaite que les Maghrébins puissent dire ce qu'ils veulent et ne plus voir les photos de leur président ou roi partout. – Vous critiquez les politiques pour plus de démocratie, qu'en est-il pour le gouvernement tunisien actuel ? Je commencerai par des moqueries sur l'âge de notre président qui est un «jeune» de 90 ans. Critiquer le gouvernement tunisien aujourd'hui passe d'abord par sa façon de communiquer. Parfois ils énoncent des phrases qui me laissent me poser des questions s'ils ont réellement un cerveau ! Et puis sur la lenteur dans les prises de décision. Il y a longtemps qu'on souhaitait le début du plan Vigipirate contre le terrorisme qui nous vient aujourd'hui de la Libye depuis que la France a mis le chaos là-bas et mis en place une fausse révolution. – Dans vos prestations, vous parlez souvent au nom du peuple… C'est mon rôle d'humoriste et mon devoir d'artiste, celui de parler au nom du peuple tunisien. Il est normal que je parle au nom de mon public que je dois refléter. Et puis je dois être à la hauteur des Tunisiens qui évoluent rapidement, surtout ces dernières années. Ainsi par le biais de l'humour je les défends et je leur fais oublier leur quotidien. – A quand un spectacle en Algérie ? Je suis conscient du public que j'ai en Algérie, je remarque l'accueil chaleureux qu'il me réserve lorsqu'il est parmi le public ici à Tunis. J'aimerais beaucoup venir en Algérie pour le rencontrer chez lui, néanmoins je n'ai jamais reçu d'invitation pour venir.