Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
Reportage CINQ MOIS APR�S LA R�VOLUTION EN TUNISIE
Grandes difficult�s et immenses espoirs
TOUFIK BEN BRIK, �CRIVAIN : �Je suis le candidat des jetables contre les notables�
De notre envoy� sp�cial Brahim Taouchichet Il est frappant de constater � quel point les Tunisiens mettent de l�orgueil dans cette r�volution qui a chass� un pr�sident que rien ne semblait pr�destiner � une fuite aussi honteuse.La fameuse avenue Habib-Bourguiba arbore sa gent f�minine comme pour exorciser les d�mons de l�ins�curit�, sujet qui accapare l�essentiel des pr�occupations des visiteurs �trangers. En jean moulant, poitrine g�n�reuse et fi�re, les cheveux au vent, les Tunisoises d�ambulent dans une insouciante coquetterie. Et si votre regard se fait trop insistant, ne croyez pas avoir affaire � une vierge effarouch�e ! Et ce n�est pas du tout par bravade qu�elles tirent leur �pingle du jeu dans ce duel silencieux. Cette assurance est le produit du bourguibisme. On imagine ainsi mal une remise en cause de ce droit de cit� de la femme tunisienne. Haut lieu de la contestation du r�gime, l�avenue Bourguiba offre un fort contraste : � son extr�mit� nord, un minist�re de l�Int�rieur sous haute protection au vu des blind�s de police et de la Garde nationale et les barbel�s. En face, ce sont des terrasses de caf� bond�es de couples plut�t d�contract�s, fumant et causant, et divers clients habitu�s des lieux. En ce 14 juin, cela fait d�j� 5 mois que la R�volution du jasmin qui a emport� Ben Ali et son r�gime tente de redonner une nouvelle physionomie, un nouveau visage � la Tunisie. Dans ce petit pays (162 155 km2 pour 10 200 000 habitants quand m�me !) tout va tr�s vite. Hommes politiques et animateurs de la soci�t� civile veulent s�engouffrer dans une br�che largement ouverte, contre toute attente, par une jeunesse insurg�e contre la mis�re et le d�ni des droits �l�mentaires. Expectative, espoirs Aujourd�hui, il s�agit de savoir comment traduire les immenses espoirs induits par la r�volution du 14 janvier dans une dynamique sociale et �conomique. Extraordinaire d�fi dont l�intelligentsia a conscience. Les d�bats passionn�s dans la sc�ne politique tunisienne rappellent � chaque instant cette r�alit� et surtout les enjeux, d�o� l�importance strat�gique de l��lection de l�Assembl�e constituante pr�vue pour le 24 juillet puis report�e au 23 octobre. La mission de cette assembl�e sera d��laborer une nouvelle Constitution �miroir des principes de la r�volution�, selon les termes du pr�sident par int�rim Fouad Mebazza�. Et comme chaque fois qu�une dictature tombe, les langues se d�lient, les bouches longtemps baillonn�es donnent de la voix. Il est frappant de constater � quel point les Tunisiens mettent de l�orgueil dans cette r�volution qui a chass� un pr�sident que rien ne semblait pr�destiner � une fuite aussi honteuse et dont on ne conna�t pas encore tous les tenants et les aboutissants. Pas pour longtemps ? D�j� le secteur de l��dition se lib�re de la censure, se voulant partie prenante de ces v�rit�s mises � nu de 23 ans de r�gne de Ben Ali. La presse foisonne de nouveaux titres, le nombre de partis politiques d�passe la centaine ! Les librairies � pas vraiment nombreuses par ailleurs � garnissent leurs devantures de �livres-�v�nements�, trop chers pour le commun des lecteurs, et autres titres tapageurs du style : La r�gente de Carthage, Notre ami Ben Ali �crits par des journalistes fran�ais, ou r�cents par des Tunisiens : Dans l�ombre de la reine-par le majordome des Ben Ali �dit� en France (en attendant le livre, en cours de r�daction, du garde du corps (et amant) de Le�la Trabelsi, l��pouse de l�ex-pr�sident Zine) et les ouvrages de trublion Taoufik Ben Brik : Le rire de la baleine, Chronique du mouchard, Une si douce dictature, Taoufik Ben Brik, pr�sident, Tunisie la charge, aux armes les oubli�s (Voir l�entretien). Vous ne serez pas surpris outre mesure par ailleurs de d�couvrir parmi tous ces titres �subversifs � le volumineux livre de notre ami Mohamed Benchicou Le mensonge de Dieu. Comme quoi le temps est � la r�volution m�me en mati�re de litt�rature maghr�bine. Tunis, la capitale, la bourgeoise, surprise un temps par le choc des �v�nements de janvier, bouscul�e par la foule d�affam�s surgis des tr�fonds du pays : Jendouba, Kessrine, Sidi Bouzid� (on d�couvre brusquement que 27% de Tunisiens vivent au dessous du seuil de la pauvret� ) reprend progressivement ses droits et se pose comme cadre naturel et d�avant-garde des grands d�bats politiques engageant toute la nation tunisienne. Parce que ce fut une lame de fond qui a emport� les fondations du syst�me Ben Ali, il n�est pas �tonnant de constater le degr� de politisation des Tunisiens et� leur compr�hension de la difficult� de sortir d�une situation �conomique catastrophique. Les chefs des familles qui bouclaient les fins de mois difficilement n�arrivent plus � joindre les deux bouts. Pourtant, les prix des fruits et l�gumes, des poissons, des viandes ne connaissent pas d�augmentation particuli�re comme nous avons eu � le constater. A tout le moins, l�g�rement plus �lev�s que chez nous. C�est une question de pouvoir d�achat et de source de revenus al�atoires. Officiellement, le dinar tunisien n�a pas �t� d�valu�, mais sa valeur a baiss� par rapport � l�euro dans le change officiel : 1euro = 1,96/98 DT et � Bab El- B�Har au march� de change parall�le, il est propos� � 2 DT. Il faut savoir que le revenu par t�te d'habitant en Tunisie est de 2 800 $ (En Alg�rie il est de 7 890 $ selon l'Organisation mondials de la sant� �OMS � sans commune mesure avec le Qatar : 70 650 $, les Emirats arabes unis : 52 000 $ ou le Koweit 43 000 $). Ils ne d�sesp�rent pas pour autant des retomb�es attendues de cette r�volution qu�ils ont souhait�e de tous leurs v�ux et dont ils se portent garants face aux tentatives de r�cup�ration par les RCdistes nombreux qui ne d�sarment pas. Ces derniers menacent, �uvrent � faire avorter la r�volution. En effet, rappelons que les troupes du RCD ( au pouvoir depuis 1956, date de l�ind�pendance de la Tunisie, aujourd�hui dissous) �taient de 1 million de militants r�partis sur 7 500 cellules de base et 2 200 cellules professionnelles (l��quivalent des BSP du FLN l�article 120). Il faut comprendre aussi par l� � quel point �tait fliqu�e toute la soci�t� tunisienne et la difficult� de se d�barrasser d�un passif aussi handicapant. La r�gle c��tait : hors du RCD point de salut ! La carte du parti �tait un coupe-fil infaillible qui ouvrait droit � de multiples avantages et opportunit�s. Les temps post-r�volution s�av�rent difficiles mais rien n�indique, comme nous l�avons vu, que les Tunisiens c�dent au d�couragement ou �prouvent de la nostalgie. C�est l�expectative, l�attente de lendemains meilleurs. Car pour l�heure, le tableau est plut�t sombre : 700 000 ch�meurs dont 69% de moins de 30 ans et parmi eux 170 000 universitaires. Par ailleurs, chaque ann�e ce sont 50 000 dipl�m�s qui d�barquent sur le march� de l�emploi sans perspectives. La situation se corse encore plus du fait du marasme �conomique. Les usines tournent au ralenti, pas d�investissements et par cons�quent des emplois qui sont perdus tandis que d�autres sont plong�s dans la pr�carit�. Et comme pour noircir un peu plus cette situation, la crise libyenne a renvoy� chez eux 35 000 Tunisiens. Autre coup du sort, les milliers de r�fugi�s sur sa fronti�re ouest� G8, avoirs de Ben Ali et plan Marshall Talon d�Achille de l��conomie tunisienne, le tourisme (priv� � 100%) est selon ses promoteurs menac� de faillite. L�artisanat est sinistr� et les secteurs para-h�teliers comme les circuits touristiques sont par cons�quent durement touch�s et en rade. �2011 sera une ann�e blanche�, dit-on. A la m�dina de Tunis, Hammamet, Sousse, Monastir, Sidi Bou Sa�d, nous avons �t� confront�s � un spectacle affligeant de commer�ants oisifs. Fid�les au poste comme � leur habitude, ils font preuve d�une patience � vous draper d�humilit�. Le c�ur n�y est pas. �Vous �tes Alg�riens ! Venez, vous �tes nos fr�res, on vous fera les meilleurs prix.� Mais cet enthousiasme tombe net vu notre peu d�empressement � acheter quelque bibelot. Dans les souks bien calmes, on n�entend plus les habituels coups r�p�t�s du martelet de l�artisan, l�invite bruyante du proprio d�une �choppe. A Hammamet, un jeune commer�ant nous avoue que son chiffre d�affaires du jour se r�sume � un seul et unique article vendu 20 DT. A Sousse, un autre commer�ant, visiblement bien inform�, nous fait part de sa conviction que pour s�en sortir il faut des solutions � l��chelle maghr�bine. �Nous avons le tourisme, l�Alg�rie le p�trole et le Maroc le phosphate !� Un son de cloche que nous entendrons ailleurs aussi. Na�vet� renversante aliment�e par le discours officiel ou conviction qu�il faut chercher ailleurs qu�en Tunisie des opportunit�s de travail et donc de vie ? A travers les art�res des m�dinas, peu de t�tes blondes. C�est vrai que c�est ainsi en basse saison, mais est-ce la seule raison ? �On croyait que les touristes auraient un �lan de sympathie pour la destination Tunisie apr�s la r�volution. Or, c�est tout le contraire qui s�est produit�, dit le pr�sident de la F�d�ration tunisienne des agences de voyages. En l�absence d�une strat�gie de relance de ce secteur, c�est la guerre froide entre les services de l�Etat et les professionnels qui prennent malgr� tout leur mal en patience. Mais pour combien de temps encore ? Pour relancer l��conomie, il faut � court terme, selon le Premier ministre Beji Ca�d Sebsi, 5 milliards de dollars pour des besoins �valu�s � 25 milliards $. La presse tire la sonnette d�alarme et parle de la n�cessit� d�un plan Marshall (200 milliards $ en monnaie d�aujourd�hui) pour la Tunisie. Au dernier sommet du G8, auquel elle a �t� convi�e, la Tunisie n�aura finalement que la modique somme de 3,5 milliards $� � partager avec l��gypte, pour sa phase de transition d�mocratique pour la p�riode 2011-2013. Objet de toute l�attention de l�Occident, la R�volution du jasmin devra se contenter de promesses d�aides � d�faut d�engagements concrets. Grandes sont aussi les illusions quant � la possibilit� de r�cup�rer les avoirs de Ben Ali dans les banques en Europe� et ailleurs. Apr�s les effets d�annonce (divulgation des avoirs tenus au secret), ces m�mes banques vont-elles vraiment l�cher le morceau ? Les avoirs de Ben Ali dans les banques suisses sont estim�es � 500 millions d�euros. Des pr�c�dents quant � la restitution inaboutie de l�argent gel� de dictateurs d�chus incitent au doute. C�est l�avis de l�ancien d�put� et sociologue suisse Jean Ziegler exprim� aux Tunisiens : �Pour r�cup�rer les biens spoli�s � la Tunisie et d�pos�s en Suisse, il faudrait que les l�gislations des deux pays en mati�re de malversations bancaires et financi�res soient conformes, ce qui n�est pas le cas aujourd�hui. Il faudrait aussi prouver le rapport entre ces fonds et leurs provenances par des pratiques mafieuses ou dans le cadre du blanchiment d�argent, ce qui n�est pas �vident.� Mais au plan interne, le sentiment, sans �tre pour autant bruyant, d�une grande lib�ration chez le Tunisien est manifeste : �Nous avons gagn� la libert� de parole�, nous dit un chauffeur de taxi de Hammamet Yasmine. Opinion identique � Monastir, ville natale de feu Habib Bourguiba �le combattant supr�me�, aujourd�hui r�habilit�, le clan Ben Ali l�ayant remis� aux oubliettes. Sur la belle esplanade du mausol�e �cras�e de soleil, de jeunes gar�ons et filles. Ils viennent visiter le p�re de l�ind�pendance de la Tunisie. Mausol�e gard� et tr�s bien entretenu faut-il le souligner. Monastir r�habilit�e � l�image du buste de son enfant prodige � l�entr�e du jardin public. Les frasques de Le�la Trabelsi A d�faut de grives, il faudra se contenter de merles. C�est ainsi que l�on pourrait qualifier l�atmosph�re politique interne. Si les d�bats sur les prochaines �lections alimentent la chronique dans le mouvement associatif, mobilisent les nombreux partis qui ont vu le jour, c�est incontestablement les histoires croustillantes du clan �Ben Ali et les quarante voleurs� qui tiennent encore le haut du pav�. Elles d�voilent chaque jour les preuves de la voracit� de Zine El- Abidine qui �aime par-dessus tout l�argent�, nous dit-on. Il serait, selon nos t�moins, d�une cupidit� maladive. Dans cette d�rive totalitaire, il aurait m�me affirm� : �Tout ce qui t�appartient m�appartient sur le sol et dans le sous-sol !� Et ce fut la r�gle durant ses 23 ans de r�gne. Avec sa femme Le�la Trabelsi, �La r�gente de Carthage�, le tandem finira par faire de la Tunisie un bien personnel. Parvenu au sommet du pouvoir et profitant de la sant� d�clinante de son mari � qui se r�fugie dans la drogue dure (coca�ne) �, au fil des ans Le�la Trabelsi mettra en place un puissant r�seau mafieux o� les acteurs seront exclusivement les membres de sa famille. Quiconque tentera de r�sister � ses convoitises sera bris�.Il en est ainsi de la belle villa sur la corniche de Sidi Bou Sa�d qu�elle prend de force (pour sa fille Nesrine) parce que ses propri�taires ne voulaient pas vendre ! Dominant Port El-Kantaoui (Sousse) : la Baie des Anges. Une r�sidence de plusieurs hectares y a �t� construite par� l�arm�e (!) pour le petit-fils (6 ans) de Ben Ali. Le m�me Ben Ali entrera dans une col�re noire lorsqu�il apprend qu�un jeune internaute de la famille Ben Zined de Hammamet est entr� dans son site personnel. Cette audace sera fatale au jeune homme. Dans cette ville touristique de r�f�rence (et dans d�autres villes), les insurg�s prendront d�assaut et d�truiront les somptueuses villas du clan Ben Ali-Trabelsi. Aujourd� hui, les portes de tous ces palaces sont mur�es. On sait que 25 h�tels du clan ont �t� mis sous scell�s par le gouvernement. Nul besoin de chercher � distinguer la part du vrai de la l�gende tant c�est flagrant et facilement v�rifiable s�agissant de l�immobilier en particulier. Honnie par-dessus tout : Le�la Trabelsi. Ses frasques r�v�l�es au grand jour et dont se d�lectent les Tunisiens auront au moins le m�rite de faire baisser la pression sur le gouvernement provisoire. Pour les damn�s de la terre tunisiens, l�on tente de trouver une ouverture dans les horizons bouch�s de l�emploi. Pour certains, vivement la fin de �Kadhafou� � sobriquet dont affublent les Tunisiens Moammar Kadhafi. Ils sont convaincus qu�avec le Conseil national de transition (CNT), ils auront beaucoup � gagner. C�est pourquoi ils sont massivement pour la fin de Kadhafi. Et d�ailleurs, le drapeau des insurg�s libyens, d�ploy� dans un kiosque � journaux de l�Avenue de France, est vendu 10 � 18 DT selon le format. Des graffitis sur les murs de la m�me avenue expriment ces sentiments : Kadhafi, un danger pour la Tunisie. Au sommet de l�Etat, la rupture avec le pouvoir libyen actuel semble consomm�e. Plus qu�une question de jours pour que la Tunisie d�aujourd�hui proclame sa reconnaissance officielle du Conseil national de transition libyen. �Kadhafi nous a tellement fait de mal�, dit-on ouvertement partout en Tunisie. La revanche des exclus Nombreux sont les Tunisiens des villages de l�int�rieur � venir s�installer dans les grands centres urbains et y d�velopper un commerce informel. C�est ce que nous avons pu voir dans le souk de la m�dina de Sousse. A Tunis, ils sont install�s � Bab El-B�har, au pied de la Casbah. Pareil � l�avenue Charles De Gaulle et � la rue d�Espagne o� l�animation y est grande, rappelant, aussi bien par les articles propos�s � la vente que par l�animation, Bab El-Oued, Bachdjarah, Bouma�ti (El-Harrach) avec les corbeilles � pain et les �tals de fruits et l�gumes en moins. Il y a tout un bric-�-brac de produits chinois �tal�s � m�me le sol ou sur des �tals de fortune. Ces �trabendistes� ne sont pas inqui�t�s et encore moins pourchass�s par les policiers qui veillent seulement � ce que ces commer�ants d�un genre nouveau ne �colonisent� pas les all�es de l�avenue Bourguiba et son prolongement l�avenue de France, vitrine de la Tunisie moderne. Un jeune vendeur de cigarettes, � peine install�, est tr�s vite �d�m�nag� � par des policiers tout sourire. Rappelons que la saisie de la marchandise de Mohamed Bouazizi a mis le feu �� la r�volution ! Dans cette m�me avenue, il y fleurit aussi un autre genre de commerce. R�cemment, une campagne de �moralisation� des islamistes tunisiens a �t� men�e � grand bruit � Tunis et dans d�autres villes, imposant la fermeture de maisons de tol�rance. Il n�emp�che, des rabatteurs fort discrets proposent des �papichate� pour vous accompagner � un d�ner ou pour une nuit, pour des s�ances de massage ! Bref, c�est � la carte. Celui que nous avons pris pour un d�s�uvr� d�sireux de nouer conversation avec les touristes nous explique qu�il fait ce �travail� parce qu�il ne peut pas vivre avec une mensualit� de 400 DT� L��quation islamiste Longtemps �touff�s ou pouss�s � l�exil depuis Bourguiba, les islamistes qui voient d�un tr�s mauvais �il la lib�ration de la femme tunisienne reviennent � la charge avec des chances suppos�es de gagner les prochaines �lections. Certes, on ne voit pas les barbes-claquettes-gandoura plut�t effac�s. Ghanem Ghennouchi ne veut pas se placer dans la course aux pr�sidentielles. Il l�a dit publiquement. �Double langage !� dit-on dans le camp des d�mocrates qui se m�fient de lui. La question de l�islamisme traverse les pays musulmans et la Tunisie n�y �chappe pas. Pour Mehdi Mabrouk, sociologue, membre du Parti d�mocratique progressiste et de �l�Instance sup�rieure pour la r�alisation des objectifs de la r�volution� : �Il faut cr�er un climat qui aide les islamistes � opter pour la mod�ration et � �voluer. Le rejet �pidermique des mouvements islamistes et leur pr�sentation syst�matique comme �tant l�ennemi � abattre ne peut que favoriser leur durcissement et leur radicalisation. � A cet �gard, il serait int�ressant de voir comment le �g�nie� tunisien � compte tenu des exp�riences arabes � n�gociera l�avenir. C�est vrai que dans la rue, les commerces, les souks de m�dinas, on remarque de plus en plus des t�tes voil�es de jeunes filles sans le caract�re ostentatoire de la tenue. Approch�es par nos soins, elles se justifient par le besoin de spiritualit�. Signe des temps, le portrait de Ben Ali qui tapissait les �difices publics, les magasins jusqu�� la moindre boutique � et qui paraissaient �tre une marque de fabrique tunisienne depuis feu Bourguiba � ont disparu. Pour l�heure, il est une question lancinante : le red�marrage d�une �conomie �phagocyt�e par le clan Trabelsi-Ben Ali�. Plus facile � dire qu�� faire vu le manque de ressources. Les jeunes Tunisiens ont fait la r�volution. D�autres jeunes harraga tunisiens fuient le pays� Il reste que partout o� nous ont men� nos p�r�grinations, nous avons relev� l�opinion tr�s favorable des Tunisiens quant � la position de l�Alg�rie � l�endroit de la R�volution du jasmin. B. T. TOUFIK BEN BRIK, �CRIVAIN : �Je suis le candidat des jetables contre les notables� C�est dans le hall du vieux et n�anmoins imposant h�tel Africa, situ� en plein centre de la capitale Tunis, avenue Habib- Bourguiba, que nous l�avons fortuitement crois�. Il venait tout juste de terminer un entretien pour une t�l� en cette fin d�apr�s-midi de jeudi 9 mai. Sans lui laisser le temps de souffler, d�un bref signe nous lui signifions notre int�r�t � prendre langue avec lui. Puis c�est sans transition que nous prenons place aux c�t�s de celui qui fut la �b�te noire� du pr�sident d�chu Ben Ali et son irr�ductible opposant. Harc�lements permanents, prison, Toufik Ben Brik ne c�dera jamais. Au contraire, il redouble de t�nacit� dans sa d�nonciation du syst�me Ben Ali et toutes les horreurs qui lui sont attach�es dont la torture qu�il subira par sa police (ce qui n�est pas la moindre des atrocit�s). Gr�ve de la faim r�p�t�e, alerte � l�opinion publique font de lui le loup blanc dans cette Tunisie de Ben Ali, l�homme � abattre qui ne veut pas renier ses convictions ou qui fut tent� par l�exil. Auparavant �vit� comme la peste, il est d�sormais la coqueluche des m�dias �trangers. Il reste toujours aussi critique parce qu�il est, dit-il, d�un �r�alisme amer�. Il s�explique dans cet entretien � Tunis pour le Soir d�Alg�rie . Le Soir d�Alg�rie : Monsieur Toufik Ben Brik c�est pour un entretien, je suis un journaliste alg�rien� Toufik Ben Brik : En g�n�ral je n�accorde d�interview que pour les m�dias �trangers. J�ai un m�pris incommensurable pour la presse tunisienne, car il n�y a pas de journalistes en Tunisie. Si en Alg�rie on a tu� des journalistes, en Tunisie, on a br�l� au napalm le m�tier. Qu�en est-il de la r�volution tunisienne aujourd�hui ? La r�volution a �t� fauss�e d�s les premiers jours. Je vous invite � revoir le film Il �tait une fois la r�volution. La chute de Ben Ali n�a pas �t� voulu seulement par le peuple mais a �t� le produit du syst�me lui-m�me. En 23 ans de r�gne, Ben Ali est devenu le grain de sable qui faisait grincer le m�canisme du syst�me. Pour s�en d�barrasser il a fallu l�apport du peuple et de la rue survolt�s. Le syst�me �tait bas� sur l�argent, le fusil, l�administration et les m�dias. Mais en se d�barrassant de Ben Ali, le syst�me s�est retrouv� face � un gros caillou. Aujourd�hui, nous avons un gouvernement qui ne gouverne pas. Allez juste en dehors de Tunis et vous constaterez l�absence de l�Etat. Parce que c�est ainsi en p�riode de transition ? Non. Il ne s�agit pas de cela. On n�est pas sur la m�me longueur d�onde� Des �lections l�gislatives sont pr�vues pour le 23 octobre prochain... Ce sont des �lections fauss�es de prime abord. Rien n�est pr�par� pour leur r�ussite. En France, Victor Hugo dit qu�il faut pr�parer les urnes mais avant la presse doit jouer le jeu, car chaque jour elle veille sur le respect de la confiance mise dans les �lus. Or, aujourd�hui, cette presse comme tous les autres pouvoirs est d�tenue par les orphelins du syst�me Ben Ali qui fonctionnait sur les �trois� : parti-p�gre-police. Il s�agit de lobbies d�argent djerbien, sfaxien, sah�lien (Sousse), tunisois et aussi le lobby d�argent d�outre-mer. Le climat politique a besoin d�hyper-confiance et il n�y a rien de cela. On vient de d�couvrir que 27% de Tunisiens vivent au-dessous du seuil de la pauvret�. On d�couvre un Etat clochardesque. Ici � Tunis, vous vivez � Philadelphie (NDLR : ville des Etats-Unis). Vous quittez Tunis c�est Ebolie. Connaissez-vous les autres villes qui ont march� sur Tunis un certain janvier ? Connaissez-vous Kessrine, Sidi Bouzid, Seliana, Jendouba ? En fait, je me demande comment tous leurs habitants ne sont pas des harraga et ce qui les retient dans ces villes tristes, mornes et ali�n�es. Alors des �lections pour quoi faire ? C�est l�aboutissement de cette r�volution trahie. Ils ne peuvent faire que cela pour sortir de l�engrenage, de cette situation de non-droit, d�ill�gitimit�. La Tunisie est devenue un non- Etat. Cela ne vous emp�che pas de postuler � la pr�sidence de la R�publique ? Non, non. Attendez, j�ai �t� pi�g� par CNN. C�est vrai que je suis l�homme le plus populaire ici en Tunisie qu�ils le veuillent ou non. Je l�ai fait contre ceux qui viennent sur des chars d�Al Jazeera, de la France, de l�Arabie Saoudite et m�me de l�Alg�rie. Je suis contre les Chalabi, de nom irakien mais tunisiens. Je suis le candidat des jetables contre les notables, le candidat basan� contre les candidats blancs aux yeux verts. Je suis un Morales (NDLR : pr�sident de la Bolivie) et un Lula (NDLR : ex-pr�sident du Br�sil et ansien syndicaliste). J�aimerais dire aux Tunisiens : �I have a dream� d�un Martin Luther King et surtout d�Abraham Lincoln. Vous �tiez harcel�, mis en prison, mais aujourd�hui vous �tes l� (dans le hall de l�h�tel Africa) et vous vous exprimez librement. Je n�ai jamais arr�t� de m�exprimer. Il n�y a pas de flics qui vous surveillent... S�exprimer oui, mais o� est la libert� ? J�ai lu un article �L�expression nue�. Il est dit : je vous vole l�expression et je vous laisse la libert� et faites-en ce que vous voulez. La libert� d�expression je l�ai comme un sixi�me doigt, rachitique� (gros �clat de rire). Comment voyez-vous la situation pr�sente ? Moi je dis que l� o� il y a la pauvret�, il y a crime. A se demander comment les gens ne s�entretuent pas. Il faut voir la d�tresse de ces gens-l�. Ils ne vivent pas, ils n�existent pas. C�est pourquoi ces gens attendent beaucoup de la r�volution... J�aimerais croire que cette r�volution a �t� faite pour apporter le bonheur. On a peur de ce mot inscrit dans la Constitution am�ricaine du XVIIIe si�cle. Or, on est en train de recr�er la d�tresse et la tristesse. Vous semblez tr�s pessimiste... Je suis r�aliste, d�un r�alisme amer. Ni optimiste ni pessimiste. Quelles seraient alors, selon vous, les perspectives d�avenir ? Je ne sais pas comment nous allons nous en sortir. Peut-�tre faudra-t-il un plan Marshall. La Tunisie est un pays profond�ment tiers-mondiste. C�est comme le Titanic, beau et clinquant vu de l�ext�rieur mais coule au premier iceberg heurt�. Il y a de plus en plus de harraga... Tous les Tunisiens veulent foutre le camp d�ici. Les Tunisiens auraient pu accepter leur mis�re mais dans la fiert� et l�orgueil. Qu�on leur donne la libert� de choisir ceux qui vont les gouverner. Qu�on ne leur vole pas leurs r�ves. Toufik Ben Brik bient�t en Alg�rie ? Moi j�aimerais bien mais Bouteflika m�a interdit l�entr�e par deux fois. En Tunisie, il y a ceux qui veulent que je parte, mais je ne c�derai pas. J�ai �crit un livre �dit� en Alg�rie, seul pays o� je pourrai aller car je m�y sens chez moi.