Dès que l'on se penche sur le statut de la femme en Algérie, on tombe inévitablement sur le Code de la famille. Alors que l'article 29 de la Constitution algérienne assure que les citoyens sont égaux «sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, d'opinion ou de tout autre condition ou circonstance personnelle ou sociale». Avec l'empierré sur le réconfort du code de la famille en septembre 2014 concernant les injonctions restrictives contre les violences subies par les femmes, les amendements restent insuffisants. L'héritage reste tributaire des textes suprêmes du Saint Coran. En somme, en Algérie, le code et le droit des personnes a pour pilier directeur la charia(1). Un sujet portant sur les valeurs et les droits des hommes au regard de la religion et de la Constitution. Une égalité cristallisée entre universalité et spécificité Les multiples réformes n'arrivent pas à instaurer une égalité entre les sexes dans tous les domaines. Egalité dans les droits humains oui, mais il semblerait impensable de mélanger les genres et les rôles. La loi sur l'héritage, par exemple, ne change pas, l'Algérie est un Etat musulman, selon la Constitution même, et il serait tabou de mettre en cause la loi coranique. Le premier précepte qui s'impose comme règle, dès qu'on invoque la question de l'héritage ou le droit successoral est le verset coranique : (Sourate IV, «Les Femmes-An-Nissa» verset 11: «En ce qui concerne vos enfants, Dieu vous prescrit d'attribuer au garçon une part égale à celle de deux filles». Cette règle peut-elle faire l'objet d'un débat national ? Et peut-elle être réformable à la lumière de la Constitution algérienne ? Une telle constatation n'est pas si simple, dans la mesure où un grand saut dans la voie de l'égalité entre les hommes et les femmes est en train d'être opéré, notamment dans les sphères des salaires ou l'accession au logement. Mais ces réformes ne règlent pas de manière définitive le code successoral parce qu'elles font cohabiter au plan normatif deux «systèmes» bien distincts : celui du principe de l'universalité, de l'égalité mais aussi celui du «respect de son identité nationale immuable» et de ses constances unificatrices, en l'occurrence la religion musulmane (art. 2). Un débat récurrent sur la compatibilité entre l'universalité d'un côté et la spécificité de l'autre. Pour autant, la question de l'égalité entre les hommes et les femmes n'est pas réglée : elle est toujours en instance. Mais elle peut demain se poser avec l'innovation introduite par la nouvelle loi dans le droit processuel algérien avec l'introduction de l'exception d'inconstitutionnalité au cours d'une procédure judiciaire (art. 133- art. 140). En attendant la loi organique de ce texte, laquelle doit déterminer les conditions et les modalités de son application, les interrogations de principe ne manquent guère. Comment cette juridiction va-t-elle statuer si elle est saisie par une femme s'estimant discriminée dans une succession du fait qu'elle n'a que la moitié de la part revenant à son frère ou à chacun des membres de sa fratrie ? A bon droit, elle va invoquer comme moyen à l'appui de sa requête le principe constitutionnel de l'égalité. Mais d'un autre côté, l'on ne peut évacuer que la haute juridiction ainsi saisie devra prendre en compte d'autres prescriptions constitutionnelles, notamment que «l'islam est la religion de l'Etat» (art. 2), ce qui peut conduire à en déduire que ce statut particulier de la religion musulmane en tant que productrice supérieure de normes juridiques ne peut que l'emporter en matière de droit successoral algérien. Le préambule de la Constitution traduit bien cette hiérarchie puisque la primauté sur le droit interne du pays ne peut prévaloir que «dans le respect de son identité nationale immuable» dont l'islam est le socle. C'est d'ailleurs dans cette même ligne que la Constitution précise encore que «les valeurs et les composantes fondamentales de son identité sont l'islam, l'arabité et l'amazighité». Héritage : Relire les versets Il faut le rappeler : c'est l'islam qui a octroyé le droit à l'héritage aux femmes alors qu'elles en étaient privées à travers l'histoire. Plus encore, deux versets consacrent formellement le principe d'égalité : «Il revient aux héritiers hommes une part dans l'héritage laissé par leurs parents ou leurs proches, de même qu'il revient aux femmes une part dans l'héritage laissé par leurs parents ou leurs proches, et ce, quelle que soit l'importance de la succession, cette quotité est une obligation» (Coran, IV An-Nissa ; 7). «N'enviez pas les faveurs par lesquelles Dieu a élevé certains d'entre vous au-dessus des autres ; aux hommes reviendra la part qu'ils auront méritée par leurs œuvres et aux femmes la part qu'elles auront méritée par leurs œuvres» (Coran, IV, An-Nissa ; 32). Si ces deux versets précisent le droit égalitaire de la succession, d'autres vont plus loin dans les règles de partage. Comme l'a noté Asma Lamrabet(2), trois critères peuvent être retenus : le degré de parenté des héritiers avec la personne défunte, la position de la génération qui hérite, et la responsabilité matérielle de celui qui doit assurer la prise en charge de la famille. Asma Lamrabet relève aussi que la demi-part de la fille par rapport à son frère n'est qu'une exception au droit successoral de l'islam lequel consacre pas moins de trente situations où l'égalité est consacrée. La sœur a pratiquement une part avec un «montant net», alors que le frère dispose lui d'un «montant brut» puisqu'il doit prendre en charge tous les membres de sa famille, y compris la sœur. La famille était alors bien plus large, alors qu'aujourd'hui elle est nucléaire. Le droit successoral Dans les sociétés arabo-musulmanes, la question de l'égalité entre les sexes en matière de droit successoral reste un sujet sensible, voire tabou pour des raisons liées à l'interprétation dominante du texte coranique, mais aussi à des facteurs culturels et socioéconomiques. On constate, en effet, que les importantes réformes des codes du statut personnel qui ont vu le jour au cours des cinquante dernières années se sont limitées en matière de régime successoral à des détails qui ne changent rien à la distinction à l'égard des femmes dans ce domaine. D'aucuns diront que les principes composant le droit successoral en islam participent de préceptes coraniques clairs et que, par conséquent, on ne peut les modifier sans s'opposer à la volonté divine et heurter la conscience des musulmans. Il ressort des différentes sources anciennes que le régime successoral qui était en vigueur en Arabie au moment de l'avènement de l'islam était un régime pluriel et en pleine mutation. Plusieurs traitements furent ainsi réservés aux femmes selon les milieux sociaux. Les sources évoquent ainsi la règle selon laquelle on accordait en héritage au garçon l'équivalent de la part de deux femmes «au fils, une part équivalente à celle de deux filles».(3) Cependant, il semblerait que beaucoup de ceux qui mettent en cause la compétence de la femme dans l'islam, prenant de la différenciation dans l'héritage un moyen à cela, ne comprennent pas que la part de la femme équivalente à la moitié de celle de l'homme dans l'héritage ne représente ni un cas général ni une base régulière dans la répartition de l'héritage par l'islam pour tous les hommes et toutes les femmes. Dans certaines tribus arabes, comme le relate Tabari,(4) les biens d'un défunt reviennent à ceux parmi ses descendants qui pouvaient porter les armes et participer aux combats. Par ailleurs, dans certains milieux, les femmes disposaient de biens propres acquis par leur travail et/ou par la succession de leur père ou de leur époux. Khadija Bent Khouwailid, première épouse du Prophète (QSSSL), en est l'exemple le plus connu historiquement. Un message progressif et graduel Le Coran, comme l'avaient montré de nombreux penseurs musulmans modernes, n'avait pas pour objectif d'élaborer un code juridique apportant des réponses à tous les cas possibles. Il s'est contenté de donner des solutions à des problèmes partiels et concrets qu'affrontèrent les membres de la nouvelle communauté musulmane. Il cherchait avant tout à faire avancer les principes d'équité et de justice dans une société où le régime de transmission des biens et les conditions sociales des femmes étaient loin de répondre à de tels principes. Dans ce domaine, comme dans d'autres, le message coranique fut progressif et graduel. Ainsi, en cette période et suite aux revendications des femmes nouvellement converties, le Coran a commencé d'abord par interdire aux musulmans de se transmettre les femmes en héritage : «Vous qui croyez, il n'est pas pour vous licite d'hériter des femmes contre leur gré ou de leur soulever des difficultés pour leur ravir ce que vous leur avez donné.» (Sourate IV, 19). Il va ensuite opérer une réelle rupture avec les coutumes anciennes en posant, de manière forte et précise, le droit de toutes les personnes (hommes, femmes adultes, jeunes…) à l'héritage. C'est le sens du verset suivant : «Aux hommes une quotité de ce qu'auront laissé leurs père, mère et proches. Aux femmes une quotité de ce qu'auront laissé leurs père, mère et proches. Peu ou beaucoup, c'est quotité d'obligation» (Sourate IV,7). L'islam, contrairement à la pensée juridique dominante, et comme l'a écrit Tahar Haddad,(5) «n'a pas fait de la part moindre des femmes un fondement de l'ordre de ses principes intangibles», comme en témoignent les nombreux cas d'égalité successorale entre les hommes et les femmes. Aux yeux de Haddad, l'enseignement pour tous est fondamental pour qu'un pays progresse, et il encourage toutes les femmes non seulement à fréquenter l'école, mais aussi à prendre une part plus active dans la société. Quant au fameux verset : «Dieu vous recommande, en ce qui concerne vos enfants, aux garçons l'équivalent de la part de deux femmes» (Sourate IV, 11) que les exégètes traditionnels avaient pris l'habitude d'isoler de son contexte, il change de sens dès qu'on le relie à une série de versets relatifs aux droits et à l'autonomie financière des femmes. Le Coran (Sourate IV, 34) fait de la prise en charge des besoins de l'épouse et de la famille (nafaqa) un devoir qui incombe à l'époux. Ainsi, en garantissant à la femme une part de l'héritage et en la déchargeant de la nafaqa,(6) l'islam introduit un équilibre dans le régime de répartition et de transmission des biens dans une société tribale où l'économie était basée surtout sur la conquête et la distribution du butin. Mais les jurisconsultes (fuqaha) ont interprété le verset précité (dit celui de la qiwama)(7) dans le sens de la justification de la supériorité des hommes sur les femmes et de l'élargissement de leur tutelle hors du cercle familial pour englober l'espace et les fonctions publics. Au-delà des cercles des féministes, de nombreuses voix s'élèvent aujourd'hui en Algérie comme dans le monde arabo-musulman pour demander une révision du droit successoral dans le sens de l'égalité entre les hommes et les femmes. C'est là l'exigence éthique d'une vraie fidélité au message coranique dans les sociétés contemporaines où les femmes travaillent de plus en plus à la fois au foyer et à l'extérieur, contribuent aux revenus de la famille et assurent au même titre que les hommes la nafaqa (subvention). Ne dit-on pas dans la science des fondements du droit islamique (‘ilm usul al-fiqh),(8) que la règle doit changer en fonction de l'évolution des conditions des gens pour garantir leur bien (maslaha)(9) !
Notes : 1- Représente diverses normes doctrinales, sociales, culturelles, et relationnelles édictées par la «Révélation». Le terme utilisé en arabe dans le contexte religieux signifie : «chemin pour respecter la loi [de Dieu]» 2- Asma Lamrabet, 2012, Femmes et hommes dans le Coran : Quelle Egalité ? Editions Albouraq 3- Sourate An-Nissa (les femmes) verset 11. 4- Jami al-bayan «kfi ta'wil al-Qur'an, Tafsir El Tabari (838-923) 5- Tahar Hadda, 1929, pamphlet «Notre femme dans la loi et la société» (Imra'atunâ fi'shari'a wa'l-mujtama). Tunisie. 6- Subvenir aux besoins de sa famille 7- L'autorité de l'homme sur la femme 8- La science des fondements du droit islamique 9 – Un bien.