A l'instar des expériences précédentes, cette relation interactive établie avec les lecteurs a été un concours précieux pour l'élaboration de ma petite réflexion. Je leur en sais gré pour cet enrichissement et pour tous leurs témoignages qui me dépassent et me confondent. Aujourd'hui, nous évoquons le troisième volet du triptyque. Celui du dépassement. Parce qu'il est temps de dépasser, et nous l'avons souligné à maintes reprises, la «raison religieuse dévote». Il est temps d'en finir avec «la pensée magique» et d'endiguer la déferlante du charlatanisme qui gangrène les esprits dans les mosquées et via les canaux satellitaires. Mais s'il ne devait y avoir qu'un seul domaine qu'il faut dépasser ce serait celui des systèmes juridiques dont les fondements théologiques sont de plus en plus ébranlés. En effet, la production du droit ne peut plus être, de nos jours, arrimée à des concepts théologiques vermoulus et minés par la vision fixiste et surannée de la société. Il est des cas où le droit corsète, régule et libère la société. Comme il en est d'autres où l'évolution de la société impose un accompagnement juridique que la fameuse charia dans son corpus actuel n'a pas prévu. Aussi, s'agit-il de dépasser finalement la «juridicisation» de la révélation coranique. Il n'y a aucune cohérence ni intelligence à essayer d'y référer par des distorsions singulières le droit maritime, le droit des assurances ou celui des arsenaux nucléaires, par exemple. Depuis le code de la route jusqu'au droit de la militarisation de l'espace en passant par celui d'internet ou celui des effets du génie génétique, ce sont des législateurs humains qui produisent du droit positif. Certes, on pourra toujours arguer qu'ils le feront toujours en s'adossant à des principes métaphysiques transcendants, mais il n'en demeure pas moins que la norme juridique est une émanation rationnelle de l'esprit des hommes pour s'appliquer aux hommes. A cet égard, dans une démocratie saine, ce qui a été fait par des hommes pourra être défait par d'autres hommes pour peu que le jeu démocratique soit constructif et cherche l'intérêt général. En évoquant la raison, il ne s'agit pas de magnifier outre mesure celle qui, instrumentale, ne nous avait pas prémunis contre le nazisme ni le bolchévisme, ni le totalitarisme. Il s'agit enfin de dépasser la raison raisonnante elle-même, froide et duale, à double critère fonctionnant avec un tiers exclu. L'esprit humain aiguisera, pour notre temps, une nouvelle raison. Ce sera l'émergence d'une rationalité méta-moderne. Elle assumera le bien et le mal. Elle subsumera la violence et l'insécurité. Elle comprendra la mystique au-delà de l'utile et de l'inutile. A l'ère de la révolution numérique et de l'interaction des blogosphères, la raison émergente saura allier, à la fois, les ressources inventives de la technoscience, de l'intelligence artificielle et de la nanotechnologie avec la soif inextinguible de spiritualité et l'invariant besoin de transcendance. Elle permet surtout la critique de la norme juridique en contextes islamiques. Cette critique est nécessaire et salutaire. Et, les tenants de l'application de la charia dans son sens drastique ne trouveront rien à appliquer si ce n'est, in fine, la minoration de la femme, dans les questions relatives au statut personnel et à la dévolution successorale. Ce qui est foncièrement inique de nos jours et attentatoire à la dignité humaine dans sa composante féminine. Et il n'y a aucune raison de l'accepter. L'humanisme d'expression arabe qui a prévalu en contextes islamiques doit être réactivé. En dignes héritiers d'Al Asma`î, d'Al Jahiz, de Miskawayh et de Tawhidi, nous devons œuvrer pour remembrer beaucoup de sociétés disloquées et aider les peuples qui ahanent sous des servitudes renouvelées à s'affranchir par la connaissance en laissant place à la beauté et à l'intelligence.