L'année 2018 est à marquer d'une pierre blanche pour le secteur de l'industrie et des mines. Avec le débarquement d'un nouveau partenaire étranger, le mégaprojet intégré d'engrais phosphatés de Oued Kebarit (70 km au sud de Souk Ahras), si cher au président de la République et à son ministre de l'Industrie et des Mines, aurait toutes les chances de voir le jour. Tout est mis en œuvre, assure-t-on en haut lieu, pour que les Chinois du groupe Cetic, avec lesquels un accord de partenariat a été conclu le 26 novembre 2018, puissent mener à son terme ce vieux projet. Surtout que les enjeux au triple plan politique, économique et social sont déterminants. Il s'agit d'abord, pour Youcef Yousfi, de matérialiser, même avec un retard de près de… dix ans, un des engagements présidentiels. A la jeunesse de Souk Ahras et de Guelma, où il fut en tournée dans le cadre de sa campagne pour le troisième mandat, le président-candidat Bouteflika promit, fin mars 2009, des milliers de postes d'emploi une fois les chantiers lancés et la plateforme pétrochimique d'engrais phosphatés opérationnelle dès 2011, cette dernière étant, à l'époque, prévue à Bouchegouf (Guelma) avec la bénédiction du même M. Yousfi, fraîchement installé à la tête du ministère de l'Energie et des Mines. Au plan économique, ce méga complexe, version novembre 2018, devrait permettre à l'Algérie de hisser sa production en phosphate brut, qui peine à franchir le seuil des 1,5 million de tonnes/an, à 10 MT/an. Dans cette perspective, un appel d'offres international a été lancé le 18 novembre par l'Entreprise portuaire de Annaba (EPA) pour la construction d'un quai phosphatier, avons-nous appris de sources portuaires. Ce projet sera-t-il confié aux Chinois ? D'autant que, crise financière oblige, le projet pourrait bénéficier d'un financement chinois, sachant que l'Algérie, à l'instar du Maroc, du Ghana, du Togo et de la Libye, pour l'Afrique, et de la Serbie, pour l'Europe, ayant rejoint, à la mi-décembre, le club des pays membres de la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures (AIIB). Ou bien, le projet risquerait d'être «remporté» par le groupe ETRHB d'Ali Haddad, magnat incontesté des contrats publics de BTP, et consorts. En attendant de connaître l'heureux bénéficiaire, le ministère de l'Industrie et des Mines s'attelle à affiner sa feuille de route et à mobiliser ses troupes pour mettre sur pied, dans les nouveaux délais impartis, ce complexe intégré dont on attend beaucoup. Imbroglio autour du projet Outre les revenus en devises, 1,9 milliard de dollars/an, attendus de l'exportation d'engrais et autres produits dérivés, la portée du projet, en termes de développement et d'emplois, n'est pas des moindres. Réparti entre le gisement de Bled El Hedba, à Tébessa (2045 hectares), la plateforme de Oued Kebrit (1484 ha), celle de Hadjar Essoud, à Skikda (149 HA), ainsi que le port d'Annaba (42 ha), le complexe d'exploitation et de transformation du phosphate et du gaz, appelé à mobiliser des investissement de 6 milliards de dollars et dont la mise en exploitation, prévue pour 2022, devrait pourvoir le marché de l'emploi de pas moins de 3000 postes directs, alors que les chantiers de réalisation à travers les quatre wilayas assureront 14 000 autres postes temporaires, toujours selon la version 2018 de M. Yousfi. En l'espace de quelques jours, ce dernier a revu ses données. Intervenant, le 4 décembre sur les ondes de la Chaîne I de la Radio nationale, le patron du département de l'industrie et des mines rappellera l'importance dudit projet : «Les travaux de réalisation ont été récemment lancés à Tébessa à un coût de 1500 milliards de dinars où vont être transformés tous les engrais comme l'ammoniac et le phosphate à hauteur de 4 MT dont 3 MT exportables via le port de Annaba.» Des «travaux lancés», s'enorgueillissait-il, alors que la société mixte, fruit de ce nouveau pacte algéro-chinois, n'a même pas été créée. Il est, jusque à l'heure actuelle, question d'un simple accord que les trois futurs «associés», les groupes Asmidal/Manal pour la partie algérienne (51%) et les groupes Cetic/Wingfu pour la partie chinoise (49%) avaient signé à Tébessa, sous les applaudissements du Premier ministre, Ahmed Ouyahia. Mieux. Quelques mois auparavant, soit le 13 mai 2018, M. Yousfi avait déclaré depuis le complexe sidérurgique d'El Hadjar Annaba, où il était en visite de travail, que de ce projet de Oued Kebarit, nécessitant des investissements s'élevant, cette fois-ci, à plus de 10 milliards de dollars, est attendue l'augmentation des capacités de production des phosphates à 11 millions de tonnes. Une fois opérationnel «à l'horizon 2020», promettait-il, le nouveau complexe industriel intégré est susceptible d'offrir à l'Algérie des opportunités indéniables à l'international, des ventes d'au moins 3 MT d'engrais azotés et phosphatés, à même de la propulser au rang de pôle mondial à l'export : «C'est un projet hautement stratégique pour l'économie nationale. 10 milliards de dollars d'investissements, ce n'est pas rien. Il va nous permettre de nous désengluer de la rente pétrolière, de développer notre agriculture, d'assurer notre sécurité alimentaire et de créer des milliers de postes d'emploi. Nous avons des réserves prouvées et expertisées (2 milliards de tonnes) qui peuvent faire de notre pays un pôle mondial d'exportation de phosphates et ses dérivés avec des revenus en devises se chiffrant en centaines de millions de dollars/an», se réjouissait-il. Déjà en décembre 2010, M. Yousfi, qui succéda à Chakib Khelil, s'empressa d'annoncer le démarrage de la première ligne de production du complexe, initialement projeté en partenariat entre Sonatrach (25%), Ferphos Group (26%) et le pakistanais Engro (49%), pour le deuxième semestre 2011, et ce, avant même que la question du choix du site d'implantation de la plateforme ne soit tranché. Le 20 juin 2011, alors en visite à Oued Kebarit, le ministre avait appelé les responsables de Ferphos Groupe et ceux de la SNTF à «synchroniser leurs actions pour renouveler les wagons de transport de phosphate pour les besoins du complexe devant entrer en fonction en 2015 et qui regroupera trois unités, la première produira 4500 t /j d'acide sulfurique, la deuxième 1500 t/j d'acide phosphorique et la troisième 3000 t/j d'ammoniac». Il n'en fut, encore, rien. Entre-temps, la bataille faisait rage entre les pays producteurs d'engrais phosphatés, puisque jusqu'à 2011, le contexte mondial était des plus favorables, une demande en explosion, surtout en Asie et en Amérique latine, une offre très limitée et des stocks mondiaux en épuisement. Tant de facteurs qui auraient pu offrir à notre pays des possibilités indéniables de s'implanter durablement sur le marché international et d'y occuper une place de choix. Navigation à vue A l'inverse, notre voisin de l'Ouest, en bon visionnaire, avait mis au point un plan d'investissement de 7 milliards de dollars dans la perspective de renforcer ses capacités de production et d'exportation. Un plan qui s'était traduit par la mise sur pied de quatre nouvelles usines d'engrais phosphatés d'une capacité de 1 MT/ an chacune. De l'ordre de 8,5% pour les engrais et 30% pour le phosphate brut, les nouvelles capacités devaient hisser les parts de marché du royaume à des niveaux plus élevés dès 2015. A cette date, l'Algérie naviguait toujours à vue. Prenant le relais, Abdesselam Bouchouareb fera d'autres nouvelles promesses. Le 12 juin 2016, depuis le même site de Oued Kebarit où il était de passage, M. Bouchouareb fera part de la signature, le 20 juin, d'un nouvel accord avec un nouveau partenaire étranger, mais, cette fois-ci, sans Ferphos Group, que le ministre avait décidé de dissoudre, pour des considérations occultes, fin décembre 2015. «Les travaux de réalisation du complexe pour lequel seront déployés des investissements de 3 milliards de dollars débuteront effectivement en septembre 2016. L'entrée en activité officielle interviendra en 2019, soit une année avant la date initialement programmé», insistera l'ex-ministre, vantant, lui aussi, les «mérites» du projet et la démarche présidentielle, avec «l'emploi de 5000 personnes lors de la phase de réalisation et 2500 autres lors de son entrée en service, en plus des revenus de plus de 1,5 milliard de dollars. Aussi, ce projet va concourir de manière significative à la diversification des exportations hors hydrocarbures ainsi qu'à la sécurisation des besoins de l'agriculture nationale en engrais ; 300 000 à 400 000 tonnes/an». L'année 2019 vient de débarquer et pas l'ombre d'un pas n'a été concrètement franchi. Mieux, la valse des «partenaires» étrangers risque de durer encore longtemps. Et, aujourd'hui que l'ambition algérienne a grossi davantage, les capacités théoriques dont devaient initialement être dotées les trois unités à mettre sur pied, à savoir plus de 4500 tonnes/jour d'acide sulfurique, 1500t/j d'acide phosphorique et de 3000 t/j de produits intermédiaires entrant dans le processus de fabrication de l'ammoniac, nécessitant la transformation jusqu'à 05 MT de phosphates, ont doublé. Idem pour les investissements de 1 milliard de dollars en 2007, puis 5,7 milliards en 2016, ils sont passés à 10 milliards en 2018. Autant dire qu'au fil des années, ce projet, devenu une particularité mondiale, a connu moult péripéties. Délocalisé d'une wilaya à une autre, Jijel, Tébessa, Annaba, puis Guelma, il aura d'abord parcouru un long et laborieux périple avant d'élire domicile à Oued Keberit, entre El Aouinet, à une soixantaine de km au nord de la wilaya de Tébessa, et la wilaya de Souk Ahras.