Tel qu' annoncé, la semaine dernière, par Abdessalem Bouchouareb, ministre de l'Industrie, devrait être signé, ce lundi 20 juin, un accord «avec un partenaire étranger» portant réalisation d'un complexe intégré d'engrais phosphatés dans la localité de Oued Keberit (wilaya de Souk Ahras). Les travaux de cet important site industriel, pour lequel sont attendus des investissements s'élevant à plus de trois milliards, seront lancés en septembre 2016. L'entrée en production des trois unités de quelque 4500 tonnes/jour d'acide sulfurique, 1500t/j d'acide phosphorique et 3000 t/j de produits intermédiaires entrant dans le processus de fabrication de l'ammoniac, devrait être effective en 2019, a détaillé le ministre. Ce dernier n'a, toutefois, rien laissé filtrer sur le nom du «partenaire étranger» ou encore sur la constitution du futur tour de table. Ainsi, M. Bouchouareb, à l'instar de ses prédécesseurs, a préféré maintenir le suspense sur ce projet qui a fait couler beaucoup d'encre. A cela plus d'une raison : délocalisé d'une wilaya à une autre, Jijel, Tébessa, Annaba puis Guelma, il aura parcouru un long et laborieux périple avant d'élire domicile à Oued Keberit, entre El Aouinet, à une soixantaine de km au nord de la wilaya de Tébessa, et la wilaya de Souk Ahras. Aussi, outre moult atermoiements, c'est une valse de partenaires, issus d'horizons divers, avec des intérêts variés, qu'il aura connus depuis sa conception il y a presque une dizaine d'années, à l'initiative de Ferphos Group. Et, les derniers à avoir quitté la scène ne sont autres que les Qataris. En effet, le partenaire étranger qui scellera ce lundi un partenariat avec les Algériens et dont parlait le ministre de l'Industrie, n'est plus Qatar Petroleum International (QPI). Il y a près d'une année, la puissante compagnie intervenant dans l'industrie lourde (pétrochimie et hydrocarbures) avait, en effet, décidé de se retirer du projet algérien pour des «raisons internes à l'entreprise», avons-nous appris de sources proches du dossier. «En 2015, le Groupe qatari a fait l'objet d'une profonde opération de restructuration et de réorganisation. Il a également procédé à la révision de sa stratégie d'investissement à l'étranger. D'où son départ de Oued Kéberit», explique notre source. Or, nombreux sont les spécialistes dont le point de vue est tout autre. Surtout que le retrait de QPI est curieusement intervenu environ une année après que le Norvégien Yara, son fidèle allié, a décidé de s'en séparer. «Sans son principal partenaire Yara, Qatar Petroleum International savait qu'il lui est techniquement et technologiquement quasiment impossible de s'engager, en solo, dans un projet de l'envergure de Oued Keberit», estiment ces spécialistes interrogés. Ainsi, ajoutent-ils, «la perte d'un partenaire de la dimension de Yara -il est présent dans 50 pays et se distingue par un savoir-faire technologique mondialement reconnu dans l'industrie des fertilisants- avait fini par calmer l'ardeur des Qataris». Et, par son refus de lâcher du lest, QPI n'est pas parvenu à faire revenir sur sa décision le géant des fertilisants (il trône également sur les marchés mondiaux du négoce et du fret d'ammoniac avec plus de 4,5 milliards de dollars annuellement engrangés et 440 000t/an de capacités de transport) : «Si Yara International a opté pour la séparation, début 2014, c'est bien du fait d'un sérieux désaccord avec QPI autour du taux de participation dans le fort juteux projet de Oued Keberit.» Deux ans plus tard, serait-ce donc avec le Français Roullier -leader européen de l'agrochimie, de l'agroalimentaire ainsi que des technologies marines- ou des Chinois que s'associera l'Algérie pour la réalisation du complexe de transformation du phosphate, projet figurant, nous a-t-on dit, parmi les priorités présidentielles majeures. Zones d'ombre autour de la liquidation de Ferphos Group, l'initiateur du projet Autres changements, autres interrogations : aujourd'hui que le Groupe Ferphos a disparu -il a été dissous le 31/12/2015 et est en cours de liquidation- la partie algérienne qui émargera à l'accord d'aujourd'hui sera-t-elle composée du duo Asmidal-Somiphos ou Asmidal-Manadjim Aldjazaïr (Manal) ? Autant dire que beaucoup de zones d'ombre entourent à ce jour le projet. Sinon comment peut-on décider de la dissolution d'un groupe de l'envergure de Ferphos, connu et reconnu sur le marché international, au moment où se négocient, sont en cours ou en voie de lancement des projets hautement stratégiques pour le pays. «Cela fait des années que le Groupe Ferphos était dans le viseur de ceux qui cherchaient à le casser et ils ont malheureusement réussi : l'une des plus grandes entreprises du pays et l'un des premiers groupes miniers d'Afrique est actuellement en liquidation», déplore un ex-cadre dirigeant, avant d'ajouter : «Ceux qui en ont décidé ainsi, estimaient que le Groupe n'a pas lieu d'être ou d'exister. Toutes les filiales ont été récupérées par le Groupe industriel Manal.» D'ailleurs, poursuit la même source, «en marge de la dernière conférence annuelle de International Fertilizer Industry Association (IFA), qui s'est tenue à Moscou du 30 mai au 1er juin 2016, beaucoup de participants en ont longuement parlé». Le «fameux» projet «Complexe de Bouchegouf», devenu Oued Keberit, est-il pour quelque chose dans la dissolution de Ferphos Group ? Une mesure beaucoup plus politique qu'économique, dit-on. Car d'après des sources bien au fait du projet, le départ du qatari QPI et après celui du pakistanais Engro, expliquent en partie la décision. Avec la défunte Ferphos, il était initialement question de créer en 2008 une joint-venture impliquant le groupe Engro Chemical of Pakistan (en association avec des sociétés japonaises et koweitiennes). Peu de temps après, conformément aux nouvelles orientations introduites consistant en la reprise par l'Etat algérien de la majorité dans le capital des entreprises en partenariat étranger, le partage des actions de la société algéro-pakistanaise avait été révisé non sans l'intégration du groupe pétrolier et gazier Sonatrach au titre de nouveau partenaire. Ce qui avait amené les trois parties à convenir d'un nouveau tour de table : des prises de participation à hauteur de 25, 26 et 49 % respectivement consacrées à Sonatrach, Ferphos et Engro. Les trois partenaires s'étaient alors engagés à lancer les travaux en juillet 2009 pour que soit opérationnelle, au deuxième semestre 2011, la première ligne de production. Engagements restés malheureusement lettre morte, le pakistanais Engro s'y étant retiré du fait des retards provoqués par la partie algérienne. Fin 2011, se murmurait son remplacement «inattendu» par des Qataris et des Norvégiens. En effet, alors que la partie algérienne était en pleine consultation, pendant toute l'année 2012, avec 5 colosses de l'industrie d'engrais mondialement connus -français, allemand, pakistanais, russe et indien- et qui étaient en passe d'aboutir, il avait été décidé, sur injonction ferme de la plus haute administration du pays, d'y mettre un terme. Pourquoi ? Début janvier 2013, soit au lendemain de la visite en Algérie de l'ex-émir du Qatar, Hamad ben Khalifa Al-Thani, le nom de Qatar Petroleum International (QPI) avait fait irruption. Pour la réalisation de ce pôle industriel appelé à transformer quelque 40 millions de tonnes (MT) de masse rocheuse (phosphate) nécessaires à la production de 3 MT de Diammonium- phosphate (DAP) /an, l'Algérie avait finalement opté pour deux partenaires stratégiques, le Qatar et la Norvège. Une démarche concrétisée par un accord en ce sens, signé à la hâte à Doha le 24 mars 2013, par le Groupe Manadjim Aldjazair (Manal), propriétaire de Ferphos Group et la Holding Asmidal. Ce qui, à l'époque, n'avait pas manqué de susciter des interrogations auprès de certains membres influents de l'International Fertilizer Industry Association (IFA) ainsi que des experts avertis de FMB Group, une maison d'édition basée à Londres, référence mondiale dans tout ce qui a trait à l'actualité de l'industrie des engrais, de leur commerce international et de leurs marchés. Nombreux étaient également les observateurs nationaux, bien au fait des rouages de la filière, à se demander : «Quelles sont les véritables motivations ayant présidé au choix de QPI, d'autant qu'il était intervenu en l'absence de toute procédure d'appel d'offres international ni de consultation directe ?». 5 millions de tonnes de production dans une première phase Il faut dire que les enjeux pour l'Algérie étaient de taille : outre les plus de 1,2 milliard de dollars/an de ressources en devises attendues, les près de 6000 emplois directs et indirects qu'il va générer, le complexe pétrochimique s'inscrit dans la politique publique visant à développer le potentiel minier national. L'objectif majeur étant de hisser la production actuelle de phosphate à hauteur de 5 MT en vue de satisfaire la demande internationale et les besoins internes, surtout en termes d'engrais : actuellement, notre pays importe en moyenne 300 000 T/an pour les besoins de l'agriculture nationale, et ce, depuis l'arrêt de production de l'unité de feue Asmidal-Annaba qui fournissait le marché locale jusqu'en 1995. «Ce complexe de Oued Kéberit assurera la production de divers dérivés du phosphate dont des engrais et contribuera à la stabilisation de leurs prix de sorte à appuyer le développement de l'agriculture », a insisté la semaine dernière M. Bouchouareb. A l'instar de ses autres collègues du Gouvernement, le ministre a fini par admettre, décrue des revenus pétroliers oblige, qu'il est grand temps de se libérer du paradigme rentier. Car, au moment où ses concurrents arabes directs comme le Maroc, la Tunisie, l'Egypte ou encore la Jordanie enrichissent et transforment sur place en produits plus rémunérateurs l'essentiel de leurs productions respectives, l'Algérie se contente d'exporter son phosphate à l'état brut. En œuvrant à concrétiser la plateforme pétrochimique de Souk Ahras, les pouvoirs publics semblent avoir pris conscience des lourdes conséquences de ce mauvais choix. L'Algérie exporte une grosse part de sa production de l'ordre de 1,5 MT/an de phosphates. En prévision du pôle industriel de Oued Kebérit, la production devrait, dans une première phase, se hisser à 5 MT pour passer au double à l'horizon 2020. Sous pression tous azimuts, notamment du ministère de tutelle, aux fins de faire du projet présidentiel une réalité, dans les délais impartis, la société des mines de phosphates - Somiphos Tebessa - a été contrainte de renforcer sa flotte minière. Elle devrait acquérir des engins d'extraction, gros tonnages, commandés récemment auprès d'un constructeur européen. L'enveloppe oscillerait entre 10 et 15 millions d'euros.